La crise sanitaire actuelle a mis à mal les finances de certaines équipes, notamment Williams. Après des intentions de céder toute ou partie de son équipe, la famille Williams a trouvé un repreneur en Dorilton Capital, et ils ont lâché les commandes de Williams Racing à l'issue du Grand Prix d'Italie à Monza. Et ce n'est pas une première dans leur histoire...
Depuis son divorce avec BMW fin 2005, Williams n'a plus jamais retrouvé son statut de top team acquis à la fin des années 70. Certes, l'équipe connut quelques sursauts salvateurs, notamment en 2012 avec son dernier succès puis de 2014 à 2016 avec des podiums réguliers. Reste que beaucoup se doutaient de la suite des événements en ces temps de plus en plus punitifs pour les indépendants. Les sponsors ont déserté, les pilotes payants se sont relayés, et lorsque Williams fit l'impasse sur les premiers tests de la saison 2019, pour ensuite reconnaître son manque de pièces de rechange lors de l'ouverture à Melbourne, le spectre de la disparition refit surface. Tels Lotus, Brabham et Tyrrell à l'époque.
Les observateurs les plus expérimentés eurent sans doute l'impression d'un retour à la case départ. Car au cours de ses premières années, Frank Williams devait économiser le moindre centime pour mener à bien son équipe. Non sans quelques sacrifices...
Tenter le diable... en le tirant par la queue
Pour pouvoir mener à bien sa carrière en sport automobile, en tant que pilote d'abord, patron d'écurie ensuite, Williams avait monté une entreprise de pièces détachées, qui de fil en aiguille, finit par revendre des monoplaces. Non sans que Frank fasse démonter puis remonter ces véhicules en prétendant qu'il s'agissait de nouveaux modèles à certains clients. L'un d'entre eux conserva la même monoplace trois ans de suite, convaincu qu'il en changeait chaque année !
Ainsi, à quel point Frank Williams était-il fauché lorsqu'il s'aligna pour la première fois sur une grille de départ de Formule 1 en 1969 ? Lors de la présentation de sa Brabham-Cosworth (achetée pour 3 500 livres d'époque), Frank s'arrêta ensuite dans un bar avec le journaliste Mike Doodson, censé prévenir la presse locale de l'arrivée en compétition de Frank au plus haut niveau. Sauf qu'au moment de payer les consommations, seul Doodson avait de la monnaie...
On pouvait penser qu'avec ses premières récompenses en 1969 – deux podiums – et la popularité grandissante de son pilote et ami Piers Courage, l'attention et l'argent viendraient assez vite. Hélas en 1970, le choix du châssis Dallara en collaboration avec De Tomaso s'avéra un désastre à tous points de vue. Non seulement la 504 était inconduisible mais Courage perdit la vie dans un crash à Zandvoort. A partir de là, Frank jura de ne plus jamais s'attacher de près à un pilote.
Tragi-comédie à l'italienne
En attendant, les collaborations avec divers fabricants de châssis s'enchaînèrent, avec très peu de succès, sinon aucun. Il n'eut pourtant pas que de mauvaises monoplaces. En 1971, March proposa ses 711 qui pouvaient briller, comme le prouva Ronnie Peterson dans l'équipe officielle (vice-champion cette année-là). Mais Frank n'avait pas les moyens de développer ces châssis... ou de les proposer avec toutes les pièces nécessaires. Il devait même démarcher depuis une cabine téléphonique, faute de pouvoir payer les factures de sa ligne !
En 1972, son sponsor Politoys, un fabricant de jouets italien, mit davantage d'argent pour la conception de la FX3, le premier châssis non client de Frank. Elle ne courut qu'à Silverstone avant de finir coupée en deux dans un accident. Ensuite s'invitèrent Rivolta et Marlboro qui modifièrent cette monoplace à peu de frais pour 1973. Toujours pas de lumière au bout du tunnel, mais beaucoup d'huissiers qui sonnaient aux portes des ateliers. Un manège qui dura jusqu'en 1975.
Pour perdurer aussi longtemps en compétition, sa propre femme participa à l'effort financier, au point de vendre son appartement. Parfois, l'aide vint contre son gré : dans le documentaire Williams, on rapporte qu'elle lui donna huit livres pour acheter des provisions, lesquelles servirent plutôt à acheter des bougies Champion ! Même Ginnie reçut des chèques en bois de son mari, au point que plus aucune banque ne voulait lui parler. Il ne surprendra donc personne que les deux époux durent emprunter à des proches pour célébrer leur mariage.
Ce manque de succès était tel que le paddock finissait par en rire. Il n'était pas rare que le pilote change d'une course à l'autre selon la taille de sa valise de billets. L'apothéose fut atteinte en 1975 avec dix engagés sur la saison ! Certains n'hésitaient pas à lâcher « Pour ruiner ta carrière, pilote une Williams » ! Pourtant certains grands noms firent leurs classes avec Frank comme Carlos Pace ou Jacques Laffite, qui lui offrit son premier podium officiel au Nürburgring en 1975.
Williams était même surnommé « Wanker », l'équivalent britannique de « branleur ». Un sobriquet que Frank reprit à son compte puisque la Politoys de 1972 fut nommée ainsi en privé. Selon Mike Doodson, ces échecs à répétition étaient en grande partie dû à Frank qui refusait de déléguer et s'appropriait toutes les tâches d'importance, y compris celle d'ingénieur de course en dépit de ses limites mécaniques évidentes.
Crier au loup
Bien entendu, Frank Williams accumula les dettes avec une telle dynamique, et arriva à une impasse. Or parmi ses créanciers comptait un investisseur du nom de Walter Wolf, un autrichien qui fit fortune au Canada grâce à la vente de foreuses pour l'extraction de pétrole. Passionné comme Frank, il ambitionnait de détenir sa propre équipe. Mis au dos du mur, Williams accepta de céder 60% de son équipe en échange de l'effacement de sa dette. Ainsi en 1976, il était question de Wolf-Williams, avec l'un propriétaire et l'autre seulement directeur général.
Pour bien faire, Wolf racheta la Hesketh 308C de l'équipe qui révéla James Hunt et amena son concepteur Harvey Postlethwaite pour occuper le rang de designer. Un poste qui était à l'origine prévu pour celui qui fut son n°2 cette année-là, un jeune ingénieur bourru du nom de... Patrick Head. Frank lui proposa de seconder Postlethwaite ou de partir avec 500 livres. Étant aussi fauché que son patron, Head resta, ce qu'il reconnut être l'une des meilleures décisions de sa vie. Ce qui devait être dans sa tête qu'un job de six mois s'allongea au delà de toute imagination...
En attendant, cette Hesketh 308C n'était pas l'excellent modèle qui remporta le Grand Prix des Pays-Bas 1975. C'était une version qui ne servit que pour deux courses en fin d'année, sans grand succès, et fut modifiée avec forte maladresse pour 1976. Ainsi même un pilote chevronné comme Jacky Ickx ne parvint pas à la hisser dans les points. Pire encore, il manqua sa qualification à domicile à Zolder. Wolf comprit alors que l'équipe ne pouvait pas être bien gérée avec deux patrons.
Et du jour au lendemain, Frank Williams n'eut même plus accès à sa propre usine. Il était même « banni » de celle-ci pour reprendre les termes de l'employé qui lui indiqua que toutes ses affaires avaient déjà pris la porte...
On prend les mêmes...
Wolf lança officiellement sa propre équipe en 1977. La superbe WR1 dessinée par Postlethwaite et pilotée par Jody Scheckter remporta sa première course en Argentine. Une monoplace issue des ateliers qui portaient encore le nom Williams quelques mois plus tôt, tandis qu'aucune voiture baptisée de la sorte n'avait foulé l'asphalte du circuit Oscar Galvez. Frank Williams en fit une dépression, « restant six semaines en pyjama » raconta sa femme bien après. Les époux se sentaient tout deux floués de voir leurs efforts ayant servi les desseins d'un autre.
Williams repartit donc de zéro. Sans les dettes d'autrefois certes mais la vente de ses parts ne suffisait pas à financer une nouvelle équipe. Remotivé par son ami Dave Brodie, il entra en contact avec le pilote Patrick Neve. Le belge comptait divers soutiens, dont les brasseries Belle-Vue et la compagnie aérienne saoudienne Saudia Airlines, aboutissant à un financement de 185 000 livres. Suffisant pour acheter une ancienne March 761 à Max Mosley... qui était en vérité un plus ancien modèle que l'on avait repeint et réparé au fil des ans ! Toute ressemblance... Sans surprise, aucun point ne vint agrémenter la saison 1977.
Qu'importe, au moins on retrouvait le nom Williams Grand Prix Engineering dans le paddock, avec donc Patrick Head dans ses rangs. Il rappela d'autres ingénieurs qui avaient traîné avec Wolf tels que Frank Dernie et un certain Ross Brawn. Frank avait appris de ses erreurs et déléguait enfin les tâches. Si Neve et Belle-Vue quittèrent l'équipe en fin d'année, Saudia Airlines accrut son apport financier, d'où l'arrivée de la fameuse livrée blanche et verte. Cette connexion avec le Moyen-Orient amena TAG (Technologies d'Avant-Garde), entreprise de la famille Ojjeh qui avait aussi quelques billets à placer. Ce n'était pas la seule famille du coin à s'inviter sur la carrosserie par ailleurs...
Cela étant, il put enfin concevoir sa première F1 100% maison (de nom et d'origine) pour 1978, la FW06. Une monoplace très performante en soi mais dépourvue de l'effet de sol que Lotus imposait alors comme l'arme absolue. Aussi la fiabilité n'était pas parfaite. Mais son pilote Alan Jones, vainqueur sur Shadow sous la pluie autrichienne l'année précédente, était parmi les pilotes les plus acharnés qui soient et connut avec Williams la combinaison idéale. Après quelques belles performances non récompensées parmi les leaders, il parvint à finir deuxième à Watkins Glen. Le même circuit où Piers Courage était monté une dernière fois sur le podium.
En 1979, la FW07 à effet de sol devint la meilleure voiture du plateau et remporta cinq victoires. On ne riait plus de Williams. Il n'y avait plus de « wanker » qui tienne. Williams était devenue une équipe gagnante.