La présentation des nouvelles monoplaces est toujours un moment très attendu par les fans. C'est le jeu annuel : détecter les principales excentricités aérodynamiques et observer un changement de livrée, ou l'absence de changement. Lorsque BAR a franchi ce cap en 1999, l'ex-équipe Tyrrell n'a pas fait les choses à moitié...
Certains regrettent déjà les présentations en grande pompe, tel Benetton fanfaronnant à Venise ou Jordan paradant sur la Place Rouge. D'autres équipes ont varié les plaisirs, entre l'usine de Valenciennes pour Toyota ou la patinoire géante pour Sauber. Mais en dépit du manque d'excentricité actuel, les fans sont toujours aux aguets lorsqu'une équipe change de couleurs ou quand un nouvel arrivant présente sa livrée.
En effet, le team doit construire son identité et la décoration joue un grand rôle dans cette construction. Du rouge flamboyant de Ferrari au jaune exubérant de Jordan, en passant par le gris clinique de McLaren et les multiples couleurs de Benetton rendant hommage à son slogan, il n'est pas rare que l'on associe une couleur à une équipe. Donc, lorsque British American Racing officialisa son rachat de Tyrrell en 1999, il fallait frapper fort. Cela tombe bien, c'était leur intention.
De toutes les couleurs
BAR ne voulait pas avancer à petits pas. L'équipe fondée par Craig Pollock, le manager de Jacques Villeneuve, et Adrian Reynard, le concepteur de châssis éponyme, n'avait plus aucun lien avec Tyrrell. Les anciens acolytes d'Oncle Ken avaient de toute façon trouvé refuge dans le projet Honda. Pollock n'hésita donc pas à recruter dans toutes les équipes, de chez Jordan (Andy Green) à Ferrari (Willem Toet) en passant par Williams (Jock Clear).
Bien entendu, le patron a attiré dans ses rangs son protégé, le champion 1997 Jacques Villeneuve, désireux de se lancer dans un nouveau défi. Pour le compléter fut choisi Ricardo Zonta, champion F3000 la même année et pilote d'essais McLaren. Enfin, le moteur Supertec (ex-Renault) allait propulser les 001.
Le ton était donné dès la présentation le 6 janvier 1999, ce à tous les niveaux. Pollock souhaitait remporter une victoire là où Reynard pensait à cette éventualité dès l'ouverture en Australie ! Et comme si ce discours n'était pas déjà assez gonflé, les 500 journalistes présents constatèrent avec stupeur que les deux monoplaces étaient de couleurs différentes ! En effet, Villeneuve était en combinaison rouge et blanche, tel un paquet de cigarettes Lucky Strike tandis que Zonta s'habillait de bleu 555.
Le choix n'était pas innocent : si BAR s'appelait ainsi, c'est en raison du principal bailleur de fonds, British American Tobacco. Le groupe détenait déjà Player's, la marque qui accompagnait Jacques Villeneuve durant sa carrière américaine. N'ignorant pas l'extraordinaire exposition qu'offrait la Formule 1, BAT imposa alors à son équipe de faire la publicité de ces deux marques.
Le grand fossé
Sauf que nous étions en 1999. Une époque où la FIA avait déjà spécifié noir sur blanc que chaque monoplace d'une équipe devait revêtir la même livrée. Max Mosley accusa l'équipe de jeter l'opprobre sur son sport en violant le règlement en toute impunité. La Fédération voulut même infliger une pénalité, sinon une interdiction de courir à l'équipe si elle insistait dans cette voie. Quelle fut la réponse de BAR ?
Porter plainte auprès de l'Union Européenne pour atteinte aux règles de la libre concurrence ! Le team tapait là où ça faisait mal, l'UE ayant toujours vu d'un mauvais œil le comportement de ce sport face à la concurrence. Les deux entités allaient d'ailleurs s'opposer au cours de l'année.
Reste que BAR débutait et Pollock aussi. Entrer dans un tel bras de fer avec les autorités d'entrée de jeu ne pouvait lui rendre service. Il lui fallait montrer patte blanche s'il voulait être accepté par les siens. Il retira alors la plainte, arguant que ses avocats l'avaient devancé sans consultation, et présenta ses excuses à la FIA. Celle-ci oublia ses menaces de sanction, tant que BAR abandonnait son projet de deux livrées différentes.
BAR décida donc de couper la poire en deux... presque littéralement. En effet, ses voitures allaient revêtir les deux livrées à la fois, 555 à droite et Lucky Strike à gauche, avec une fermeture éclair dans le sens de la longueur pour séparer les deux entités ! Cela aboutit à l'une des livrées les plus originales qui soit, saluée par les uns, conspuée par les autres, dont Villeneuve.
Faux départ
Cette histoire aboutit à une ironie suprême. L'équipe avait entamé la saison avec une ambition démesurée teintée d'une certaine arrogance avec ses deux livrées. Elle l'acheva avec un zéro pointé à cause d'une fiabilité déplorable. La livrée coupée en deux symbolisait elle la dissension constante entre Pollock et Reynard, qui n'arrangea en rien la situation. Lucky Strike finit par s'imposer à partir de 2000 et resta en place jusqu'à l'interdiction de la pub tabac en Union Européenne en 2005. Les Grands Prix de Chine firent exception : Lucky Strike n'y était pas vendue, d'où le remplacement par... 555 !