Ce dimanche, l'accident impliquant Fernando Alonso et Esteban Gutierrez n'était pas sans rappeler un autre accrochage spectaculaire survenu quinze ans plus tôt sur le même circuit et au même virage. Or, ce crash a autant mis en lumière les progrès de la sécurité en Formule 1 que les ceux qui restaient à accomplir.

Le 4 mars 2001, Melbourne accueillait déjà le premier Grand Prix de la saison. Michael Schumacher remettait son titre en jeu avec sa Ferrari face aux McLaren-Mercedes de Mika Hakkinen et David Coulthard, tandis que le plateau comptait l'arrivée de jeunes pousses nommées Juan-Pablo Montoya, Fernando Alonso et Kimi Räikkönen. Si les deux derniers dépassèrent toutes les prévisions de l'époque, c'était bien le premier qui concentrait toutes les attentions grâce à son palmarès exemplaire et sa personnalité haute en couleur. Du côté des équipes, Renault marquait son retour semi-officiel en motorisant Benetton, pour mieux s'implanter en 2002. Enfin Michelin revenait pour concurrencer Bridgestone, ce qui provoqua un bon spectaculaire des performances : Schumacher améliora le meilleur chrono de 3,5 secondes par rapport à l'année précédente !
Si l'Allemand domina la course pour ce qui allait être un avant-goût de sa saison, si Montoya fit une belle remontée jusqu'à la troisième place et si Kimi Räikkönen marqua un point dès son premier Grand Prix (sur tapis vert certes), personne n'avait le cœur à sourire de sa performance. Après un travers au deuxième tour, la Williams-BMW de Ralf Schumacher se retrouvait à la portée de la BAR-Honda de Jacques Villeneuve. Rarement le dernier à hésiter au moment de tenter une manœuvre de dépassement, le Québécois s'apprêtait à doubler le frère de son meilleur ennemi au troisième virage, là où il avait déjà enfumé Damon Hill pour ses débuts en 1996. C'est alors que la BAR percuta la Williams et s'envola pour percuter le mur de gauche et partir dans une grande cabriole.
Dans l'accident, la monoplace perdit toutes ses roues mais la cellule de servie resta intacte, si bien que Villeneuve sortit sans mal de son épave, ne déplorant que quelques douleurs au ventre après coup. Par contre, une de ses roues folles s'était nichée dans l'ouverture d'un grillage destiné à faciliter l'intervention d'un commissaire de piste et faucha l'un d'entre eux, Graham Beveridge. La Safety Car intervint le temps de nettoyer la piste et de permettre son transfert à l'hôpital sans danger, mais le bénévole ne survécu pas au choc. La course continue malgré tout mais une chape de plomb était tombée sur l'Albert Park, d'autant qu'il s'agissait du deuxième commissaire mortellement blessé par une roue baladeuse en moins d'un an. En fin d'année précédente à Monza, un carambolage à la deuxième chicane avait épargné les pilotes impliqués mais pas Paolo Ghislimberti. Ce que les caméras n'avaient pas manqué de capter...

Les deux pilotes se rejetaient mutuellement la responsabilité de l'accident mais il semblait plus évident qu'il s'agissait d'un incident de course. Martin Brundle avait connu à cet endroit une belle frayeur, lors de la première édition du Grand Prix à Melbourne et fit remarquer que les murs assez rapprochés de la piste et l'ombre des arbres rendaient plus difficile l'estimation du point de freinage. Pas de quoi blâmer le circuit qui ne fit jamais réellement de vague au niveau de sa sécurité, ce qui est assez flatteur pour un circuit semi-permanent. Par contre, d'autres paramètres rentrèrent en ligne de compte, notamment la faiblesse des attaches de roue. La FIA avait pourtant renforcé leur résistance pour qu'elles puissent endurer une force d'une tonne mais tous ces efforts s'avérèrent vains une fois la BAR encastré dans le mur.
Le problème étant que les commissaires ne dépendaient pas de la FIA, puisqu'ils étaient des passionnés bénévoles et non des employés de la Fédération, si bien que l'organisme n'avait pas pris la peine d'améliorer leur sécurité comme il le fit pour les pilotes. Le président Max Mosley se fendit de commentaires peu reluisants où il prétendait que «les commissaires sont seuls experts en matière de sécurité et nous suivons leurs conseils. Nous n'avons pas de règles pour eux, ce sont plutôt eux qui décident, sous leur propre responsabilité ». Beaucoup virent ça comme une manière de se dédouaner de toute responsabilité et de sous-entendre que ce décès était en partie dû à une éventuelle imprudence du commissaire... En dépit de toutes ces années pour améliorer la sécurité, un certain dédain hérité des années passées demeurait. En vérité, au delà de la résistance insuffisante des câbles de roue, comme pour beaucoup d'accidents tragiques, le hasard fit très mal les choses : une roue d'un diamètre de 38 cm réussit à s'engouffrer dans une ouverture de.. 40 cm.
Heureusement, la FIA corrigea le tire après coup et les câbles de roues devinrent de plus en plus résistants. Si d'autres violents accidents n'empêchèrent pas l'envol de certaines d'entre elles, comme lors du crash de Robert Kubica à Montréal en 2007 ou de Daniil Kvyat en qualifications l'an passé à Suzuka, d'autres cas témoignèrent des progrès réalisés. En 2003, Ralph Firman cassa sa suspension en bout de ligne droite au Brésil mais la roue resta attachée à la Jordan. Idem en 2005 lorsque le plat provoqué par Kimi Räikkönen finit par user le bras de suspension juste avant la première épingle du Nurburgring. Christijan Albers et Nick Heidfeld partirent en tonneaux en 2006 mais sans perdre leurs roues. La McLaren de Fernando Alonso ne fit heureusement pas exception à ce niveau.
Si aucune roue folle n'a touché de commissaire depuis ce triste jour de 2001, le Grand Prix du Canada 2013 prouva qu'il suffisait de peu de choses pour engendrer un drame : alors qu'il évacuait la Sauber d'Esteban Gutierrez, Mark Robinson trébucha et fut tué par la grue qui dégageait la monoplace. Triste de penser qu'il faille attendre ce genre d'incidents pour rendre hommage aux commissaires. Et pourtant, c'est aussi à eux que nous devons l'amélioration des conditions de sécurité en Grands Prix. Ne les oublions pas.