La saison 2002 a marqué la mémoire collective des fans de Formule 1 dans le mauvais sens du terme : Ferrari et Michael Schumacher dominèrent comme rarement le championnat, les courses devinrent de plus en plus monotones et la Scuderia ne se privait pas de jouer avec la morale sportive comme lors du final du Grand Prix d'Autriche. Après cela, les observateurs ne voulaient qu'une chose : passer rapidement à la saison 2003.
Pour relancer une discipline qui avait besoin d'un bon électrochoc, la Fédération Internationale de l'Automobile décida de prendre plusieurs mesures drastiques. Elle envisagea même sérieusement de recourir aux handicaps de poids et aux échanges de pilotes entre équipes !
Si ces extravagances furent vite oubliées, la FIA finit par modifier le format des qualifications : on passa de la séance d'une heure avec douze tours à deux séances avec un seul tour rapide. Pour éviter que les pilotes ne se marchent sur les pieds, l'ordre de passage était décidé selon le classement du championnat du monde pour le vendredi et selon le classement inversé de cette première séance le samedi.
Le barème de points allait concerner les huit premiers pour la première fois de l'Histoire de ce sport, les consignes d'équipes furent bannies (en théorie) de même que la voiture de réserve (sauf cas d'urgence) et une séance d'essais semi-privée prit place les vendredi matins. Enfin, les autorités commencèrent à penser à allonger la durée de vie des composants principaux tels que le moteur et la boîte de vitesses afin de réduire les coûts. Cette tendance débuta dès 2004.
Du côté de la concurrence, on ne voyait pas ces changements d'un bon œil alors que certains étaient destinés à redistribuer les cartes dans la lutte pour le titre. Le problème étant que la Fédération avait pris ces mesures sans consulter les équipes au préalable, violant ainsi les fameux Accords de la Concorde qui exigeaient l'unanimité pour ce type de décisions. McLaren et Williams décidèrent alors de porter plainte contre la FIA ! L'affaire resta sans suite mais cela témoignait bien l'état de crise que traversait la Formule 1.
Le Rouge à Melbourne
En dépit de ces oppositions, les rivaux de la Scuderia travaillèrent dur pour la rattraper le plus vite possible, si bien que McLaren n'allait dévoiler son nouveau modèle que plus tard dans la saison, tout comme Ferrari... sauf que la MP4/18 n'allait jamais se montrer en course, n'étant pas prête à courir.
Au moins, le modèle intérimaire avait fait d'énormes progrès, de même que la FW25 de Williams ou la R23 de Renault, en dépit du moteur à 111° encore un peu juste dans tous les domaines. Il y avait donc bon espoir au moment d'arriver à Melbourne. Sauf qu'une fois le drapeau à damier abaissé le samedi après-midi, on crut vivre un cauchemar : la première ligne était 100% rouge ! Schumacher avait signé la pole devant Rubens Barrichello. Montoya sauvait l'honneur avec la troisième place, mais à une seconde du meilleur temps. On prend les mêmes...
C'était derrière qu'il fallait détecter les surprises avec les Sauber quatrième et septième, les BAR-Honda sixième et huitième, la Toyota d'Olivier Panis cinquième tandis que les Renault partiraient dixième et douzième et les McLaren onzième et quinzième.
Kimi Räikkönen fut la première victime du nouveau format en partant au large dans son tour lancé. Il allait même partir des stands car les monoplaces devaient demeurer en parc fermé après la qualification et ne pas être retouchées avant la course en dehors de réparations non évitables. McLaren argua que la sortie de son nouveau Finlandais Volant nécessitait bien quelques coups de tournevis et optèrent donc pour ce sacrifice. Minardi fit encore mieux.
Consciente que ses monoplaces allaient s'élancer dernières, l'équipe les fit rentrer aux stands à la fin de leur tour rapide pour ne pas avoir à siéger en parc fermé et tout modifier, notamment en cas de changement climatique. Manœuvre interdite dès la prochaine course pour éviter toute récidive.
Or justement le dimanche, la pluie avait bien humidifié la piste alors mais le soleil pointait à nouveau le bout de son nez à l'heure du départ. Choix cornélien par conséquent, entre les pneus pluie et les gommes pour piste sèche.
Dans le premier camp figuraient David Coulthard, les Sauber et les BAR, les Williams, Renault, Räikkönen et Panis optèrent pour les pneus « slicks », bien que toujours rainurés à l'époque. Ferrari choisirent eux les pneus intermédiaires que Bridgestone maîtrisait si bien. Le début de course semblait leur donner raison puisqu'ils prirent des poignées de seconde d'avance dans les premiers tours. Sauf que la piste sécha assez vite, éliminant momentanément les pilotes chaussés de gommes sculptées de l'équation, y compris Schumacher.
BAR allait d'ailleurs tristement se distinguer lorsque ses deux pilotes s'arrêtèrent en même temps au deuxième pitstop suite à un souci de radio, problème qui leur avait déjà coûté des podiums. Pour ne rien arranger chez Ferrari, Barrichello avait volé le départ et s'accidenta au moment d'apprendre sa pénalité. En vérité le Brésilien souffrait à cause de son système HANS, cette nouvelle protection du cou qui était encore très inconfortable pour certains pilotes mais qui allait vite prouver son efficacité.
Safety-Car à Melbourne
La Safety Car dut même intervenir deux fois, comme il était de tradition à Melbourne, suite aux sorties des rookies qu'étaient Ralph Firman (Jordan) et Cristiano Da Matta (Toyota), avant que le héros local Mark Webber ne casse la suspension de sa Jaguar. Le mauvais timing de la voiture de sécurité n'arrangea pas les affaires de Ralf Schumacher, bloqué derrière son équipier Montoya aux stands, et les Renault, qui se retrouvèrent en queue de peloton.
Le classement changea donc souvent au fil des tours, pour le plus grand plaisir des téléspectateurs. Les McLaren se retrouvèrent même à jouer les premiers rôles alors que DC dut passer les pneus secs dès le deuxième tour et que Räikkönen partait des stands ! Kimi menait même un temps l'épreuve tout en résistant à Schumacher, l'Allemand devant faire un crochet par le gazon du premier virage lorsque son rival tint sa ligne jusqu'au bout. Hélas, il avait aussi dépassé la vitesse maximale aux stands, d'où un drive through l'excluant de la lutte pour la victoire.
C'est peu après que survint le deuxième coup de théâtre : entre son frottis-frotta avec Räikkönen et une sortie large au même endroit que ce dernier la veille, Schumacher perdit ses déflecteurs latéraux qui se mirent à pendouiller sur sa Ferrari !
Pour des raisons de confort du pilote aussi bien que de sécurité (on lui présenta le drapeau noir et orange pour la peine), il s'arrêta pour corriger le tir et repartit... derrière Räikkönen. Montoya récupéra donc la tête, lui qui avait mené le plus grand nombre de tours. Hélas, le Colombien était imprévisible dans tous les sens du terme et il surprit son monde par un tête-à-queue au plus mauvais moment ! S'il se remit dans le bon sens, Coulthard était passé.
Opportuniste en diable après une course d'attente, l'Ecossais n'allait pas laisser passer sa chance et tant mieux car ce fut là sa dernière victoire en carrière. Avec Montoya et Räikkönen l'accompagnant sur le podium, il s'agissait d'un Top 3 100% Michelin et il fallait remonter à fin 1999 et le mémorable Grand Prix d'Europe pour retrouver un Grand Prix sans pilote Ferrari sur les trois marches.
Schumacher sauva la quatrième place, ce qui eut son importance au final. Derrière, Renault finirent cinquième et septième, permettant au jeune Fernando Alonso de marquer ses premiers points. Nul ne se doutait (hormis son équipe peut-être) que l'Espagnol allait faire bien mieux par la suite, ne serait-ce qu'au Grand Prix suivant. Entre les monoplaces françaises, Heinz-Harald Frentzen fit parler l'expérience pour Sauber et Ralf Schumacher sauva le dernier point.
Melbourne avait rassuré les observateurs : la Formule 1 pouvait toujours offrir du grand spectacle, ce que la saison 2003 confirma par la suite en dépit d'un nouveau titre du Baron Rouge et de sa Scuderia.