L'affaire Piastri impliquant Alpine et McLaren fit les choux gras de la presse durant l'été 2022. Le champion de FIA Formule 2 2021, longtemps lié à l'équipe française, a finalement fait ses débuts avec McLaren en 2023. Une décision rendue sans contestation possible par le bureau de reconnaissance des contrats, le CRB.
Un organisme qui rappela à certains de vieux souvenirs et pour cause, cet acronyme s'était retrouvé sur le devant de la scène dix-huit ans plus tôt, à peu près à la même période de l'année. Avec cette fois-ci, non pas un rookie pris entre deux feux mais un pilote confirmé et futur Champion du Monde : Jenson Button.
Au centre de l'attention
Le pilote anglais fut régulièrement un sujet de discussion privilégié avant que ce conflit n'intervienne. Son engagement par Williams en 2000 à seulement 20 ans fit déjà la une : un débutant si jeune et inexpérimenté lancé dans la cour des grands, c'était l'exception et non la règle comme aujourd'hui. Il fit taire les sceptiques avec ses belles performances, avant que ceux-ci ne reviennent à la charge en 2001 suite à une deuxième saison compliquée chez Benetton. Surtout avec un Flavio Briatore aussi bienveillant avec ses pilotes en difficulté qu'un inspecteur des impôts lors d'un redressement fiscal...
Button se rappela au bon souvenir de tous en 2002. Il devint un outsider privilégié derrière le Top 3 constructeur et finit d'ailleurs meilleur des autres au championnat, devant l'estimé Jarno Trulli. Mais à cet instant, Renault avait déjà décidé de se séparer du Britannique. Fidèle à son habitude, Briatore privilégia les pilotes naviguant dans sa sphère managériale et promut un certain Fernando Alonso au poste de titulaire aux côtés de Trulli.
S'il eut le nez particulièrement fin avec le recul, dans un premier temps ce transfert fut accueilli avec une fraîcheur polaire par beaucoup de médias, les anglais en première ligne. A cet instant, Button avait démontré des progrès certains et rappelé ses capacités d'origine, quand Alonso était certes prometteur mais au potentiel encore incertain. Ce fut tout bénéfice pour BAR, trop content de récupérer un pilote de ce calibre.
David Richards – ex-directeur de Benetton en 1998 – signa Button moins de quarante-huit heures après l'annonce du constructeur français. L'équipe se débarrassait progressivement de l'héritage Pollock/Reynard des débuts et après une saison 2003 encore transitoire, elle toucha enfin au but en 2004.
Faute de remporter la victoire que ses créateurs envisageaient dès la saison initiale – vierge de tout point au final... – la BAR 006 enchaîna les podiums avec onze occurrences en dix-huit courses, dont dix pour son premier pilote. Button vengea l'affront de 2002 en ouvrant son compteur de Top 3 en Malaisie, signa sa première pole à Imola et passa fort près de la plus haute marche à Monaco.
Ajoutons à cela un comeback magistral à Hockenheim, passant de treizième au départ après pénalité moteur à deuxième à l'arrivée. Le tout non sans avoir couvert le dernier tiers à moitié étranglé par son casque, dépassant Fernando Alonso – belle ironie encore – pratiquement à une main !
"La continuité est très importante"...
Après Hockenheim, la F1 prenait sa pause estivale. Budapest devait aussi bien signer la rentrée des classes que l'ouverture de la bien nommée « silly season » côté transferts. L'équipe au centre des discussions était alors Williams et ce depuis le début de saison. Juan-Pablo Montoya avait en effet déjà signé pour McLaren en 2005 et Ralf Schumacher n'était plus en odeur de sainteté auprès de Frank Williams et Patrick Head.
Beaucoup de noms circulèrent, notamment Jacques Villeneuve, alors en année sabbatique. Mark Webber devint rapidement un favori des observateurs et ils virent juste dans le cas de l'Australien : son contrat Jaguar le laissait libre d'engagement et il possédait un profil de pilote très apprécié par le duo Williams/Head.
Button fut également cité assez tôt dans l'année, eu égard à son passé avec Williams. Une piste progressivement abandonnée au fil des mois, au vu des performances de BAR et de l'apparente alchimie liant son pilote et l'équipe. Et Jenson n'avait pas manqué de le souligner début juillet :
« Une chose importante est de se sentir désiré. J'ai connu une situation difficile chez Renault et que [BAR] soit une équipe britannique aide sans doute. Cela aide à comprendre comment sont les gens, cerner leurs émotions. Vous ne pouvez pas changer d'équipe sans arrêt, la continuité est très importante au sein d'un team comme pour les pilotes. Et je suis très heureux ici. » (The Independant)
Et pourtant, le 5 août, une semaine avant la reprise de la saison en Hongrie, l'Anglais fut officialisé pilote Williams pour 2005 aux côtés de Webber, retrouvant l'équipe de ses débuts ! Dans sa déclaration accompagnant l'annonce, Jenson loua les ressources et les investissements de l'équipe, qui faisaient d'elle la meilleure plate-forme possible pour servir ses ambitions de titre mondial.
Ainsi Button quittait BAR, qui recueillait enfin les fruits de ses efforts, pour Williams, qui payait les pots cassés de son nez « raie manta » (abandonné définitivement au Hungaroring). Ce transfert ne semblait pas faire sens et Jenson refusa d'élaborer sur la question en conférence de presse, renforçant la stupéfaction. Comment celui qui se disait très heureux et confortable chez BAR quelques semaines plus tôt, rappelant l'importance de la continuité et parlant même d'une « équipe familiale » a ainsi pu retourner sa veste ?
En vérité, le silence de Button ce week-end fut exigé par son équipe afin de mieux négocier la question avec Williams en coulisses et éviter toute complication superflue. Car non seulement Button quittait BAR, mais contractuellement, il était en théorie encore associé à ce team pour 2005 ! Selon BAR, l'option qu'ils détenaient sur Button pour l'année suivante fut activée le 20 juillet, soit avant l'annonce Button/Williams du 5 août. D'où le début d'un bras de fer juridique entre les deux parties.
David Richards lui-même n'avait pas vu venir ce coup. Il apprit la nouvelle non pas par Jenson mais via un fax envoyé par Williams ! « Ce n'est pas le comportement à adopter dans une organisation où vous pensez avoir noué des liens étroits entre vous » dira t-il dans le podcast « Bring Back V10s » du média The Race. Il ne put rencontrer Button que trois jours après l'officialisation du transfert, et pour cause : Button avait éteint son portable. Richards en vint à contacter avec insistance sa compagne du moment, Louise Griffiths, non sans moult reproches...
Vices de procédure
Il avait néanmoins reçu des signes avant-coureur quant à une possibilité de départ. Pour commencer, Byfield et Button déploraient depuis des mois le non respect d'une clause du contrat 2003. Celle-ci prévoyait une prime de 30 000 dollars par point marqué. Avec dix-sept unités en tout, Jenson devait toucher autour de 510 000 dollars mais il n'avait reçu qu'une partie de cette somme. Le changement du barème de points pour 2003 – annoncé après la signature du contrat BAR/Button – en était la cause : selon l'ancien barème, Jenson n'aurait marqué que six points, d'où une rémunération moindre.
Mais surtout, les agents du pilote britannique cherchaient à obtenir des garanties sur l'avenir de l'écurie, notamment son association avec Honda, avec une insistance qualifiée d'« étrange » par le directeur général de BAR. Richards en vint même à consulter un avocat afin de comprendre le jargon et les intentions de ses interlocuteurs.
A les entendre, BAR n'était pas une équipe d'usine, et Honda était simplement leur fournisseur moteur, non un partenaire privilégié. Contrairement à... Williams avec BMW. C'est sur cette distinction en particulier que son agent principal, John Byfield, estimait avoir trouvé une échappatoire quant au contrat liant Button à BAR.
En effet, BAR annonça la prolongation de son association avec Honda jusqu'en 2007 durant le week-end du Grand Prix d'Allemagne, le 23 juillet. Or le 20, lors de la rencontre entre Button et Richards où l'option de BAR fut en théorie activée, cette information n'avait pas été communiquée à Jenson. Et Byfield en conséquence avait conseillé à son pilote de rester silencieux afin de se garantir une porte de sortie. Ce que nia Richards, évoquant une connaissance de l'information par Byfield le 25 juillet, avec souscription par écrit deux jours plus tard.
Cette fameuse option devenait caduque à partir du 31 juillet. C'est ainsi que Williams s'infiltra dans la brèche, avec Byfield leur annonçant la disponibilité de Button. Une surprise pour Frank Williams, qui n'avait pas prévu Jenson dans ses plans initiaux, ignorant les détails susmentionnés. En revanche, Williams avait conservé une option sur le Britannique depuis son engagement initial en 2000, option renouvelée en 2002 lors du transfert Renault/BAR. D'où les bruits récurrents du retour de l'enfant prodigue à la maison, y compris en début d'année 2004.
Honda de son côté nia la version du clan Button. Le 10 août, le constructeur déclara dans The Telegraph qu'il était au courant de l'intérêt d'autres équipes pour Jenson mais que Honda avait donné à ses agents toutes les garanties qu'ils exigeaient, et ceux-ci l'avaient eux-mêmes confirmé au terme de leurs discussions. Parmi ces garanties se trouvaient l'exclusivité du moteur Honda pour BAR, assurée depuis 2003, et une hausse continue de ses performances année après année. Un entretien produit deux semaines avant la prolongation du contrat BAR-Honda.
«Nous pensions avoir assez d'arguments pour aller de l’avant » estima le vice-président de Honda Racing de l'époque... Otmar Szafnauer ! Décidément, la Formule 1 maîtrise encore mieux l'ironie que ses pilotes tiennent un volant...
"Les questions morales partent en fumée"
Le paddock se divisa entre incongruité et pragmatisme selon les sensibilités. Dans la première catégorie, Juan-Pablo Montoya, l'un des pilotes remplacés par Button. Le Colombien considéra ce choix comme « fou» au vu des performances actuelles des deux équipes, notamment à Hockenheim. « Avec BAR, il a terminé deuxième malgré une pénalité de dix places. Comment pouvez-vous avoir la tête ailleurs après ça ? ».
Le grand argentier Bernie Ecclestone ne resta évidemment pas muet. Il prit directement le parti de David Richards, car «ce n'est pas comme en football. J'aime à penser que nos joueurs se tiennent à leurs engagements et promesses. Jenson a une obligation morale de rester. Mais quand les agents, les promesses et de grosses sommes d'argent entrent en jeu, les questions morales partent en fumée ». Parole d'expert.
Pat Symonds (Renault) se montra plus rationnel en évoquant les futurs changements techniques prévus pour 2005. Selon lui, dans ces circonstances, des équipes mieux établies comme Williams en tireraient un meilleur parti que d'autres. « Quand des changements arrivent, vous avez besoin de ressources côté recherche et développement, pour garder le cap. Dans ce cas, un team bien établi n'est pas un mauvais choix ».
Un avis partagé par Mike Gascoyne (Toyota) « Un pilote tourné vers l'avenir va penser à Williams en dépit de leur mauvaise passe. Il va penser que Williams va revenir en force, qu'ils l'ont toujours fait et le feront toujours. Donc je peux comprendre »
Bien entendu, en attendant que le contrat Button-Williams soit ou non désavoué, les rumeurs changèrent de garage pour se concentrer sur BAR. Et certes, pour ne pas perdre la face, David Richards écarta publiquement toute autre éventualité que Button en tant que pilote du futur baquet n°3. « Quand un problème comme celui-ci devient public, vous devez faire face avec votre équipe, leur prouver que vous vous battez bec et ongles avec eux. C'était mon rôle ».
En vérité, il se devait d'assurer ses arrières. La perte de Button représenterait un camouflet médiatique important pour BAR comme Honda, sans compter l'actionnaire BAT (British American Tobacco). Exemple parmi d'autres : le vrai/faux transfert d'Adrian Newey chez Jaguar en 2001 accéléra la chute de Bobby Rahal en tant que team principal, avec Niki Lauda prêt à bondir au moindre écart.
Le journaliste Renaud de Laborderie précisa que BAT demanda explicitement à Richards de ne rien céder à Williams et de garder une réserve sur le terrain médiatique. « Au moindre indice d'intérêt de sa part pour un coureur « extérieur », il aurait trahi un manque de confiance en la cause de BAR-Honda vis-à-vis de Button » dit t-il dans son Livre d'Or annuel.
Ce qui n'empêcha pas diverses tractations et considérations, juste au cas où.
Villeneuve ou Häkkinen de retour en F1 ?
Évidemment le nom d'Anthony Davidson circula du côté britannique et pas que par esprit patriotique : il était le pilote d'essais de BAR et sa participation aux essais du vendredi n'était pas négligeable dans les performances de l'équipe cette saison. Mais il n'avait qu'un intérim chez Minardi en 2002 comme seule expérience en course. Et avec un Takuma Sato certes talentueux mais irrégulier et encore inexpérimenté, cette promotion aurait plutôt handicapé BAR. Il fallait donc non seulement un pilote performant et expérimenté, mais un nom vendeur. Comme celui autour duquel le projet BAR s'était construit ?
Parce que oui, en dépit d'une inimité criante avec David Richards, de performances de plus en plus décevantes, et d'un départ anticipé de son propre chef fin 2003, Jacques Villeneuve se considéra publiquement comme le candidat idéal au baquet BAR ! «Nous avons connu des différends, mais je pense que nous pouvons dépasser cela. Je suis certain que nous serons capables de travailler ensemble afin de faire avancer l'équipe, car BAR est vraiment une équipe de pointe » osa le Québécois dans les colonnes du Sun.
Il persista auprès d'Autosport « BAR a besoin de quelqu'un qui peut s'adapter rapidement à l'équipe. J'étais présent durant les pires moments et au final ça reste une histoire inachevée, donc je suis très motivé ». Le tout non sans préciser que son manager Craig Pollock ne prendrait pas part aux négociations, évitant de ce fait des tensions superflues. Pour rappel, Pollock était un des fondateurs de BAR avant son renvoi en début d'année 2002...
Mais là encore, si le retour de Jacques en F1 provoquerait un fort engouement médiatique, BAR n'en sortirait pas gagnant pour autant « Son retour serait davantage perçu comme une régression pour une entité qui a accompli tant de progrès cette année » dira le journaliste Walter Buchignani dans la Gazette de Montréal. De plus, des cadres de BAR, BAT et Honda manifestèrent leur rejet de cette éventualité, déçus par le manque d'implication du champion 1997 en terme de marketing. Au final, Villeneuve signa avec Sauber pour 2005 avant même que le conflit BAR/Williams/Button soit résolu, comprenant que Richards n'allait pas dévier de sa ligne directrice.
Un autre Champion du Monde retraité fut davantage considéré par BAR : Mika Hakkinen. En cette saison 2004, le Finlandais avait sérieusement préparé son retour à la compétition après deux ans de hiatus et Williams comme BAR s'étaient renseigné sur la question. Selon Mika, les contacts commencèrent dès le mois d'avril.
Or le fait que Williams lui préféra Button (et Webber) fit comprendre que l'équipe avait des doutes sur la capacité du double champion du Monde de retrouver son niveau d'antan. Et BAR insista sur la validité de son contrat avec Button. Comme Mika n'était pas disposé à « mendier un volant » selon ses propres termes, il abandonna son projet de come-back et se dépensa plutôt en DTM.
D'autres pilotes rendirent public leur intérêt pour le baquet BAR comme David Coulthard, libre de tout engagement. Dès la conférence de presse du Grand Prix de Hongrie, l'Ecossais fit sa meilleure publicité « Je suis extrêmement motivé. Je suis le deuxième pilote le plus victorieux de la grille aujourd'hui et ce n'est pas arrivé par accident, mais par talent et un dur labeur. J'espère que ça sera pris en considération et je vais continuer de miser là-dessus ».
Non sans ajouter avec une pointe d'humour « Je n'ai pas de femme ou d'enfants [à l'époque], je n'ai pas d'engagement sur mon agenda en dehors de la course, des tests et de l'entraînement. Au pire, je devrais me souvenir de la date d'anniversaire de ma petite amie plus tard dans l'année ! »
Cet espoir fut semble t-il douché à Spa. Son manager Martin Brundle eut vent des intentions de Richards qui était de recruter un pilote vainqueur en 2004. En Belgique, Coulthard avait manqué une possible victoire suite à une crevaison alors qu'il était dans la roue de son équipier et vainqueur du jour, Kimi Räikkönen. « Aujourd'hui, David a perdu bien plus qu'une course » dira Brundle.
Un pilote à priori non candidat au baquet BAR fut par contre contacté par Richards : Rubens Barrichello. Outre ses qualités de pilote, son profil sud-américain plaisait beaucoup à BAT. Hélas, il était encore lié à Ferrari et le prix à payer pour le délivrer de cet accord était bien supérieur au montant que BAR était disposé à engager. Nul ne pouvait se douter que les deux parties se retrouveraient pour 2006...
BAR l'emporte... pour l'instant
Face à cette situation, BAR et Williams s'entendirent au moins sur un point : l'arbitrage du CRB. Le Contract Recognition Board est une instance indépendante fondée en 1992 en Suisse spécialisée dans la validation ou l'invalidation des contrats. C'est le seul organisme reconnu par la FIA et les équipes pour régler ce type de conflits.
Et le 20 octobre, quelques jours avant le dernier Grand Prix de la saison à Interlagos, le CRB rendit enfin le verdict tant attendu. Jenson Button resterait finalement chez BAR. Le bureau confirma que le nouvel accord BAR-Honda fut validé bien avant l'échéance de l'option sur Button.
On apprit entre autres que l'inquiétude quant à la nature de l'alliance BAR-Honda – simple fournisseur moteur ou vrai partenaire à long terme – provenait d'une clause qui devait spécifier les caractéristiques du bloc fourni. Une clause datant de 2002, à l'époque où Honda motorisait à la fois Jordan et BAR de façon égalitaire, d'où le besoin de développer sur ces caractéristiques.
Or à partir de 2003, BAR devint le seul partenaire de Honda, rendant cette clause caduque. L'option de Williams ne pouvait donc s'exercer : celle-ci n'était valable que si Button était libre ou son équipe finissait en dehors du Top 4 constructeur. Aucune des deux conditions n'était remplie.
Button admit par la suite avoir été induit en erreur pour son transfert avorté. Fin novembre, il confirma à demi-mot avoir suivi l'avis de ses agents. « Je ne suis pas familier avec les aspects juridiques de ces choses [les négociations] donc il me fallait écouter ce que des gens avaient à dire » (The Guardian)
Plus tard dans F1 Racing, il développa sa pensée : «J'aurais peut-être dû y regarder à deux fois lorsque nous avons abordé certains points précis […]. Je ne referais pas certaines choses aujourd'hui, ou je les ferais différemment. Elles étaient dues au manque d'expérience ou à de mauvais conseils. Une de mes erreurs a été de ne pas discuter avec David Richards ou avec l'écurie avant de me lancer dans cette aventure, pour leur dire de quoi il retournait ».
Dommages collatéraux
Désavoué par sa tentative avortée, John Byfield fut logiquement congédié par Button, les dommages en terme d'image étant assez conséquents. Il avait reconnu auprès de Richards qu'il s'était servi de petites erreurs de l'équipe pour faire signer Button ailleurs. Tout cela conforta Richards dans l'idée que le cadre managérial faisait passer son intérêt personnel avant celui de Button.
Mais plus surprenant, lorsque Honda officialisa sa participation dans l'écurie en devenant propriétaire à hauteur de 45%, la nouvelle s'accompagna du renvoi de David Richards ! «Nous sommes particulièrement reconnaissants envers David Richards pour avoir contribué à ces progrès et permis de passer à la prochaine phase de développement de l'équipe » dit l'autre actionnaire British American Tobacco dans son communiqué officiel. Comme si le Britannique n'avait eu à remplir qu'une mission transitoire et n'était jamais destiné à amener BAR/Honda au titre mondial !
Avec une prise de pouvoir symbolisant la fin définitive de l'ère Pollock-Reynard (les deux fondateurs étaient toujours actionnaires jusqu'alors), on aurait pu penser que Richards resterait la figure de proue, surtout après la progression spectaculaire de 2004. Mais cette performance accéléra au final son départ, puisque Richards accomplit en trois ans un programme à l'origine étalé sur cinq saisons. Et le Britannique savait qu'en cas de prise de pouvoir de Honda, il serait amené à quitter son poste.
Certains firent le lien entre l'impact négatif de l'affaire Button et son renvoi. En vérité, la personnalité très affirmée de Richards risquait d'attirer davantage l'attention sur sa personne que sur le constructeur en cas de succès. Sans parler de sa vision personnelle du management qui pouvait froisser les hauts placés nippons, ce que Richards admit lui-même « J'étais employé par l'autre actionnaire BAT, et je n'ai pas beaucoup écouté ce que Honda m'a demandé de faire. Je ne me serais pas du tout intégré dans cet environnement » admit le Britannique dans le podcast Bring Back V10s en 2021.
Il n'était donc pas si surprenant que Honda engage un de ses employés de Prodrive, Nick Fry, pour lui succéder. Ainsi Honda faisait une transition en douceur sans un directeur d'équipe « star » qui reléguerait le constructeur au second plan.
"Buttongate", le retour
Malgré le verdict du CRB, le « Buttongate » n'était pas conclu. Il ne venait que d'achever sa première saison. Durant la seconde, on comprit que Williams n'avait guère abandonné son projet de recrutement de Button, pour 2006 cette fois, car Jenson avait bien signé un contrat de plusieurs saisons avec l'équipe. Il ne pouvait juste pas s'appliquer pour 2005.
Or son contrat 2005 avec BAR spécifiait une porte de sortie qui ne nécessitait aucune interprétation : si après le Grand Prix de Turquie, Button avait marqué moins de 70% des points du leader du championnat, il serait libre de tout engagement avec BAR. Williams retrouverait alors sa primauté sur son ancien poulain.
Une condition remplie puisqu'au soir de cette course, Button ne comptait que 23 unités contre 95 pour Fernando Alonso, soit péniblement plus de 20%. Entre temps, BAR connut une autre polémique, celle du double réservoir qui lui valut une disqualification à Imola et une exclusion des deux Grands Prix suivants. Enfin, Button dut patienter jusqu'à la dixième course pour marquer ses premiers points de la saison ! De quoi pousser Jenson vers la sortie ?
Pas du tout ! Williams était sur le point de divorcer avec BMW – qui racheta Sauber – alors que BAR allait bientôt devenir une équipe Honda à part entière. Et 2006 devait marquer une nouvelle ère côté motorisation avec l'adoption des V8 au détriment des V10. L'équipe d'usine idéale devenait BAR/Honda, et non plus Williams, qui perdit ce statut en devenant client de Cosworth.
Dans ce contexte, Jenson décida finalement durant l'été de rester à Brackley, mettant en avant l'engagement de Honda comme une des raisons principales de son revirement. Un engagement qui lui fut communiqué après avoir signé son contrat Williams, avoua t-il durant le Grand Prix de Hongrie.
«J'ai fait l'erreur de signer un contrat si tôt, j'ai été mal avisé, mais ça reste au final ma responsabilité [...]. Je n'ai pas simplement changé d'avis d'une année à l'autre […] Afin d'être compétitif l'année prochaine, chaque équipe doit être associée avec un constructeur pleinement investi. La situation a beaucoup changé avec Williams depuis l'an passé », allusion évidente au départ de BMW. Jenson restait en effet cohérent avec ses désirs déjà affirmés en 2004, à savoir être engagé avec un grand constructeur pour viser le titre mondial.
"Jenson n'est pas à vendre"
Mais toujours lié à Williams via les conditions spécifiées précédemment, il se devait de se désengager de l'entité de Sir Frank s'il voulait aller au bout de sa logique. Or Williams ne voulait rien céder. « Jenson n'est pas à vendre, aucun montant ne nous fera changer d'avis» fit comprendre Sir Frank. «Williams a un contrat en béton, sans clause de sortie, c'est clair et facile à comprendre. Il est nécessaire de bien saisir le sens du mot « engagement ». Une fois que vous avez donné votre parole, vous devez la respecter […]. Vous avez besoin de la loi et l'ordre, surtout en F1».
Le grand patron clama qu'il en faisait une affaire de principe, non sans lâcher qu'il respectait des contrats avec des membres de son équipe dont il aimerait bien se séparer ! Cela étant, il admit aussi avoir signé des accords de sponsoring conditionnés par la présence de Button dans l'équipe. Et il n'avait échappé à personne que Williams allait non seulement payer cher la facture du futur moteur Cosworth, mais aussi perdre des sponsors davantage liés à BMW qu'à son team.
Il n'avait donc aucun intérêt à perdre Jenson, malgré son absence de désir de piloter pour Williams. Après tout, il avait bien entamé la saison 2005 avec une équipe qu'il souhaitait quitter en premier lieu...
Les deux parties échangèrent durant de longs mois afin de trouver un terrain d'entente. Plusieurs solutions circulèrent dans les médias afin de limiter les dommages financiers et commerciaux que produiraient cette rupture de contrat. On évoqua un prêt du troisième pilote Anthony Davidson chez Williams pour deux ans avec salaire payé par BAR – ce que démentit l'équipe – et même une année sabbatique pour Button.
Selon Button, la situation évolua lorsque Williams comprit que cette décision de rester chez BAR était bien celle du pilote et non de ses agents. Et quand bien même Jenson réclama un accord « plus humain » entre les deux parties, ce fut au final un accord financier avant tout. Courant septembre, dans la semaine du Grand Prix du Brésil, le « Buttongate » se conclut ainsi : Button dut payer entre 18 et 20 millions de livres, soit 30 à 35 millions de dollars à Williams afin d'être libre de tout engagement !
A ce prix, sa fidélité et sa confiance envers le projet Honda ne pouvait plus faire de doute. Cela étant, le nouveau contrat signé avec le constructeur de 50 millions de livres (90 millions de dollars) sur cinq ans allait clairement aider à payer la facture...
La fidélité a fini par payer
Bien entendu, le paddock commenta cette volte-face avec plus ou moins de complaisance. Outre les avis divergents quant au potentiel du projet Honda, certains soulignèrent que cette attitude allait avoir des conséquences à l'avenir pour de futurs négociations. Julian Jakobi, ex-manager de Senna et aujourd'hui de Sergio Pérez estima que « se libérer de deux contrats en deux ans donne une idée de sa mentalité ». « Cette histoire est mauvaise pour la F1 » dira Nicolas Todt, à l'époque agent de Felipe Massa.
« Son problème maintenant est que certains pourraient y réfléchir à deux fois avant de le signer […] Pourquoi une autre équipe voudrait-elle signer un contrat avec lui maintenant, vu qu'un contrat ne signifie clairement pas grand chose pour lui ? » dira Jacques Villeneuve avec l'absence de tact qui lui est coutumier.
La presse britannique ne fit pas toujours preuve de bienveillance envers son protégé. Au mieux, elle le pressa de remporter sa première victoire au plus vite afin de justifier son choix et la confiance de son équipe. Le Telegraph fit remarquer qu'à l'heure où Button scella son destin avec Honda, il en était à 98 courses sans victoires. Or aucun champion du Monde n'avait attendu aussi longtemps avant de franchir ce cap, Hakkinen ayant hissé ce cap à 96 participations.
D'autant que d'autres noms britanniques commençaient à se faire connaître, tel son ex-rival de karting Dan Wheldon, vainqueur de l'Indy 500 2005 et imminent champion IndyCar avec... Honda. « Oubliez Jenson Button et ses manœuvres de plusieurs millions de livres, c'est Wheldon qui peut prétendre au statut de pilote automobile britannique le plus décoré ». osa Simon Hart dans le même journal.
Néanmoins, d'autres observateurs plus pragmatiques voyaient Jenson faire très vite oublier cette histoire, surtout si Honda se mettait à gagner. Et en effet, en 2006, Button rentra enfin dans le cercle des vainqueurs de Grands Prix, et Honda finit P4 du championnat bien loin devant Williams. Puis cette fidélité envers l'équipe qui aurait pu s'avérer castratrice durant les vaches maigres de 2007/2008 devint salutaire en 2009 avec la réussite miraculeuse du projet Brawn GP, qui l'amena au titre mondial. Au final, Button vit juste.
Aujourd'hui, cette histoire ne représente pas une grande tâche dans le parcours de Jenson, pilote unanimement respecté et grandement apprécié dans le milieu. Lorsqu'il publia son autobiographie, il ne s'épancha guère longtemps sur cette histoire, estimant que tous les détails n'intéresseraient pas les lecteurs !
Pourtant, ça valait bien un article.