L'avantage de Spa-Francorchamps par rapport à d'autres circuits, c'est qu'il ne dépend pas de la météo locale pour offrir un spectacle inoubliable. La course de 2004 fut fantastique sans goutte de pluie tandis que l'hécatombe a animé l'édition 1987. Mais rien de tout cela n'égale le final incroyable de 1964.
A cette époque, on pouvait miser sur Jim Clark sans risques. Le Champion du Monde en titre avait remporté les deux dernières éditions et s'imposait déjà comme la référence du plateau. Un plateau pourtant bien fourni avec des pilotes confirmés comme Jack Brabham ou Graham Hill pour ne citer que les pilotes titrés à ce moment précis. C'est pourtant un non-champion qui vola la vedette à Clark ici : Dan Gurney. L'américain a surtout pêché pour ses choix de carrière malchanceux mais en talent pur, il n'avait rien à envier à personne. Il était même le seul pilote que Jim Clark redoutait vraiment. L'ironie de sa carrière étant que ses victoires sont principalement dues aux abandons de ses adversaires (dont Clark) là où ses chevauchées solitaires furent à chaque fois interrompues trop tôt.
Ce fut le cas ici avec Gurney menant vingt-huit des trente-et-un tours de l'épreuve. Sa Brabham-Climax commençait à faire parler d'elle après des débuts timides voici deux ans. Clark, pourtant spécialiste du tracé de 14 kilomètres (à l'époque) resta discret à cause d'une surchauffe moteur. Il perdit d'ailleurs beaucoup de temps à le refroidir aux stands. Cette fois-ci, la victoire ne devait pas lui revenir, pensait-on. C'est oublier que Gurney dominait et ne pouvait donc qu'abandonner...
"Pour arriver premier..."
Ici, la panne d'essence le guettait à deux tours du but, alors qu'un ravitaillement était une manœuvre rarissime en ces temps éloignés. Ainsi, son équipe n'avait aucun réservoir à disposition ! N'attendant pas que ses mécaniciens partent à la recherche d'un puits de pétrole en Wallonie, Gurney repartit précipitamment. Evidemment, il tomba en panne sèche à Stavelot ! Graham Hill, principal rival de Clark au championnat ces deux dernières années (terme extrêmement relatif pour 1963), récupéra le commandement. Avec l'abandon de John Surtees, il pouvait capitaliser dans l'optique de la conquête du titre mondial. Sauf que sa BRM consomma également trop d'essence et il s'arrêta à Blanchimont !
Histoires belges
Tout bénéfice pour Bruce McLaren alors ? Presque, puisque l'alternateur de sa Cooper prit congé... Le néo-zélandais se retrouva en roue libre jusqu'à l'épingle de la Source. A ce moment, la ligne de départ-arrivée se situant dans la descente vers le Raidillon de l'Eau Rouge. Bonne nouvelle : il pouvait donc se servir de cet avantage pour débouler au point mort. Mauvaise nouvelle : Clark surgit de nulle part et lui chipa la victoire sur le fil !
Voilà Clark vainqueur une troisième fois d'affilée d'une course que tout le monde le voyait gagner avant l'extinction des feux mais que personne ne lui promettait un tour avant l'arrivée ! Pour couronner le tout, il tomba en panne d'essence pendant son tour d'honneur au même endroit que Gurney. Les deux rivaux eurent ainsi le temps de converser, Clark ignorant alors qu'il était victorieux !
La Formule 1 a souvent eu le sens de l'humour et elle le prouva à de nombreuses reprises par la suite, rendant ce final encore plus cocasse. Gurney remporta la première victoire de Brabham dès le Grand Prix suivant en France après l'abandon de... Clark.
Mieux encore, il prit sa revanche sur sa superbe Eagle en remportant le Grand Prix de Belgique trois ans plus tard, là aussi après une casse mécanique de la Lotus du pilote fermier. En 1968, après une belle hécatombe, c'était Bruce McLaren qui s'imposait, lui aussi pour honorer sa propre équipe pour la première fois. Enfin, Clark conclut sa série à Spa en 1965 et resta le recordman en ces lieux jusqu'en 1991. Lui qui détestait ce circuit pour sa dangerosité mais qui échoua sans cesse à Monaco qu'il adorait...