On relie souvent Michael Schumacher avec Spa-Francorchamps et pour de bonnes raisons : son attrait pour le tracé, ses performances de choix et son histoire le liant au circuit. De sa première victoire en 1992 à son dernier titre en 2004 en passant par le record de victoires battu en 2001, il est peu dire que Schumacher a marqué l'histoire du Grand Prix de Belgique. Le plus beau témoignage reste cependant sa toute première course en 1991...

L'arrivée de Schumacher en Formule 1 prit le paddock par surprise ce avant même qu'il ne commence à tourner sur le circuit belge. En effet, son recrutement survint après que le pilote Jordan Bertrand Gachot se soit retrouvé incarcéré à Londres. Ceci était la conséquence d'une rixe au gaz lacrymogène impliquant un chauffeur de taxi plus tôt dans l'année.
On apprendra par la suite que l'équipe a délibérément choisi de ne pas défendre le franco-belge durant son procès afin de bénéficier des subsides d'un autre pilote. Il était question de la survie de l'équipe, ni plus ni moins malgré les très bonnes performances de la splendide 191 et l'apport financier de l'autre pilote, le défunt Andrea De Cesaris. C'est là que l'on proposa Schumacher à Eddie Jordan.

Eddie hésitait entre lui et l'expérimenté Stefan Johansson car il ne voulait pas qu'un débutant plante sa monoplace dans le rail et lui coûte de l'argent. D'un autre côté, il lui fallait un bon chèque histoire de finir la saison dans de bonnes conditions. Ce que ne pouvait fournir le suédois.
Mercedes, qui engageait Schumacher en Endurance, se chargea de régler la facture, tandis que son entourage rassura l'irlandais en prétendant qu'il avait déjà roulé à Spa. Le circuit est il est vrai assez proche de sa ville natale de Kerpen.

Balivernes certes, mais Jordan goba le mensonge et fit tourner Schumacher en test à Silverstone pour jauger ses capacités. Un test où l'allemand disposait d'un moteur Ford qu'il devait utiliser pour les qualifications et la course ! Heureusement pour l'équipe, aucun surrégime ne survint comme le raconta le team manager Trevor Foster :

"Je lui ai parlé franchement, je lui ai dit "Ecoute, ça, c'est ta voiture de course, elle embarque dans le camion et part pour Spa tout de suite après le test". Il m'a répondu "Ouais ouais, pas de problème". Il avait pourtant la pression d'une course qui approchait à grands pas et la consigne d'une interdiction totale d'endommager quoi que ce soit... En moins de trois tours, Michael chauffait les freins au rouge, il était dans le rythme tout de suite".

"Je suis à la limite mais je ne la dépasse pas..."

Michael Schumacher (GER) Jordan 191.
Formula One World Championship, Belgian Grand Prix, Rd11, Spa-Francorchamps, Belgium. 25 August 1991.

En Belgique, il retrouva donc sa 191 et De Cesaris, lequel accomplissait probablement sa plus belle saison avec 1983. Non seulement il signa quelques performances de valeur mais en plus, il limita les sorties de piste caractéristiques du personnage, ce qui ne pouvait que rassurer Jordan et ses finances !
L'italien devait conseiller la nouvelle recrue mais à l'heure du tour de piste, il renégociait son contrat. Schumacher subjugua alors Foster pour la première fois, et certainement pas la dernière, du week-end : il avait apporté son propre VTT pour faire les tours de circuits et apprendre un minimum le tracé en avance, sans rien demander à l'équipe !

Le lendemain, pour ses premiers tours de piste officiels, Schumacher se permit même d'un commentaire quelque peu.. original pour un débutant, lorsque Foster lui demanda s'il avait l'impression de sur-conduire : "Non, je suis à la limite mais je ne la dépasse pas".
Sur un ton neutre que n'aurait pas renié Kimi Räikkönen, Schumacher lançait cette phrase, pour son baptême du feu, sur le juge de paix belge... La suite fut encore plus savoureuse puisque Michael fit mieux que son équipier avec sa propre monoplace, qu'il avait délaissée car peu satisfait de son comportement sur les bosses.

Le débriefing qui s'en suivit fut révélateur. Andréa évoquait une petite série de bosses très difficiles à éviter. Trevor Foster demanda à Michael s'il avait rencontré le même problème. Il répondit "Oui, si tu lèves à cet endroit, la voiture est instable, alors je suis passé à fond et le problème a disparu", laissant De Cesaris interloqué.
Il remit le couvert lorsque son équipier évoqua un virage où on ne pouvait passer la sixième, tandis que la 191 redevenait nerveuse en cinquième. Réplique du débutant : "Oui, oui, j'ai eu le même problème pendant quatre tours. Alors j'ai décidé de passer la première partie du virage en cinquième, de mettre la sixième au milieu et de freiner pied gauche, ça calme la voiture pour la fin du virage". L'expérimenté italien n'était pas plus avancé...

Ce n'était que le début...

En vérité, Schumacher n'avait pas mentionné ces choses car elles lui semblaient naturelles. En une journée, la différence était faite entre un bon pilote et un extraterrestre. De Cesaris eut beau produire la course de sa vie le dimanche en remontant deuxième et en frôlant la victoire avant une casse moteur, c'était trop tard. Les projecteurs étaient fixés sur celui qui s'était qualifié septième avec une belle avancé sur lui (onzième) mais qui n'a pu en profiter à cause d'un embrayage grillé juste après le premier virage du premier tour

Benetton ne s'y trompa pas et Bernie Ecclestone non plus. Il lui fallait conquérir le lucratif marché allemand avec RTL qui venait de signer les droits de diffusion et Mercedes qui se préparait pour son retour. Cette perle rare était le prétexte idéal. Il usa donc de son influence pour caser Schumacher chez Benetton dès Monza, au détriment du pauvre Roberto Moreno... qui avait signé le record du tour à Spa.
Comme si la Formule 1 n'avait pas déjà suffisamment prouvé son sens de l'humour, le brésilien se recasa chez Jordan. Notons que lors du précédent Grand Prix, en Hongrie (1991), le détenteur du meilleur tour en course était... Bertrand Gachot ! Ironie, es-tu là ?

Conclusion par Trevor Foster : "Ce que j'ai vu en 1991 n'était sûrement rien. Le pilotage de Michael doit être infiniment meilleur", disait-il... en 1999, juste avant son ère de domination...