Le Grand Prix du Canada 2007 résonne dans la mémoire collective pour trois principaux événements : la première victoire de Lewis Hamilton, l'épouvantable accident de Robert Kubica et le dépassement improbable de la Super Aguri de Takuma Sato sur la McLaren de Fernando Alonso. Cette manœuvre rejeta dans l'ombre un timing stratégique exemplaire pour une modeste équipe, tirant le meilleur parti d'une réglementation ayant perdu beaucoup de monde ce jour-là.

Quand on pense à une histoire digne de contes de fée en Formule 1, Brawn GP est un cas d'école. Cette équipe créée en dernière minute après avoir récupéré les actifs et travaux du constructeur Honda et qui parvint à remporter les titres mondiaux contre tout pronostic légitime en 2009. C'est oublier que trois ans plus tôt, Super Aguri fut monté dans la précipitation avec des châssis Arrows vieux de quatre ans, via l'initiative de Honda justement. Il s'agissait alors de sauver la carrière d'un Takuma Sato en disgrâce, à force d'enchaîner les bourdes dignes d'un Pastor Maldonado mal luné.

© DR - Super Aguri - Franck Montagny / 2006

Super Aguri, l'élève mieux que le Maître ?

Or une fois passées les frasques de Yuji Ide et le temps d'adaptation jusqu'à l'arrivée d'un modèle plus contemporain, l'équipe atteignit une certaine crédibilité. Sato limita au plus ses écarts de conduite et ne manqua jamais une occasion de mener la vie dure à ses concurrents directs. Suzuka lui réserva un accueil chaleureux pour une simple 15è place tandis qu'Interlagos lui permit de finir dixième, position qui n'était pas encore synonyme de point. Certes les Bridgestone avaient un net avantage sur le tracé pauliste – son équipier Yamamoto signa un temps le meilleur tour ! – mais on ne pouvait nier le travail de titan effectué par la petite armada anglo-nipponne.

Puis vint 2007 et les commentaires ironiques refirent surface. Point de condescendance quant au sérieux du projet mais à sa légalité, puisque la SA07 présentée était pratiquement une Honda RA106 repeinte. La Fédération n'y trouva rien à redire grâce à l'alibi de la société tierce, mais lorsque les Super Aguri se placèrent dixième et onzième en qualifications pour l'ouverture à Melbourne, on se mit à rire. Jaune certes, pour les raisons susnommées, mais aussi légitimement puisque les Honda officielles étaient placées derrière !

Un scénario qui se répéta plus d'une fois durant la première moitié de saison, jusqu'à la juste récompense de Barcelone : une huitième place et une première unité grâce aux efforts de Taku-san. Sauf que le meilleur était encore à venir.

© Wikipedia / Super Aguri - Takuma Sato - 2007

Avant que Singapour en fasse un passage obligé, c'est Montréal qui allait de paire avec la voiture de sécurité. Sept éditions sur dix y eurent droit au cours de la décennie écoulée, et les millésimes 1998/1999 répétèrent l'opération en cours d'épreuve jusqu'à l'absurde. Le Grand Prix du Canada s'annonçait donc comme la première application du nouveau règlement en la matière.
Si depuis la réintroduction du dispositif en 1993, il était possible de changer de pneus et d'essence à tout moment, la FIA imposa en 2007 une fermeture virtuelle de la ligne des stands une fois la course neutralisée, ceci jusqu'à ce que tous les pilotes aient rejoint la voiture de sécurité. Seulement alors il était possible de ravitailler. Toute opération de ce type hors délais réglementaire se sanctionnait par un Stop & Go de 10 secondes.

Canada 2007 : Safety Car, Rouge, Impair et Gagne !

Une procédure calquée sur les courses américaines où les neutralisations d'épreuve étaient la norme pour presque tout incident, même les plus inoffensifs. Sauf qu'ici, elle ignorait totalement la possibilité pour un pilote de tomber en panne d'essence durant la période de fermeture de la ligne des stands.
Le concurrent concerné serait puni quoiqu'il arrive, par un abandon ou une pénalité. Aussi, elle chamboulait le classement de façon plus artificielle qu'auparavant avec tous les pilotes rechargés en essence relégués d'office en fond de classement, non sans quelques regroupements de coéquipiers rendant les opérations plus dangereuses. Le tout avec le fameux feu rouge de sortie des stands, actif tant que les voitures passent devant les « puits ».

© DR / Super Aguri - Takuma Sato / McLaren-Mercedes - Fernando Alonso

Tous ces problèmes furent mis en exergue durant ce Grand Prix, tant les équipes peinaient à maîtriser tous ces paramètres. La problématique de la « panne ou pénalité » frappa Fernando Alonso et Nico Rosberg durant la première intervention, les deux choisissant la punition réglementaire. La confusion quant au feu rouge de sortie des stands s'éternisant plus que de raison poussa Felipe Massa et Giancarlo Fisichella à l'ignorer copieusement, tel Juan Pablo Montoya deux ans plus tôt. Même résultat pour les trois délinquants : un drapeau noir synonyme d'exclusion de l'épreuve. Quant au regroupement artificiel, avec quatre neutralisations en tout, on finit par perdre de vue qui fut avantagé ou non dans l'affaire !

De toute façon, la course fut trop animée pour qu'on s'éternise trop longtemps sur les bienfaits (?) de cette réglementation. Si l'ambiance prit un temps une tournure dramatique après le carton de Robert Kubica, les nombreux mouvements dans le peloton permirent au public de savourer chaque instant. Et au milieu de ces échauffourées figurait Takuma Sato. Qui, lui et son équipe, avaient tout compris, en plus de produire un rythme impressionnant pour une équipe si modeste.

© Wikipedia - Super Aguri - Takuma Sato - 2007

Parti onzième (devant les Honda une fois encore), Sato figurait déjà au neuvième rang avant la première intervention du Safety Car, provoquée par la sortie d'Adrian Sutil. Il effectua son premier ravitaillement une fois la ligne des stands déclarée ouverte, le reléguant en fond de classement. Sauf que bien d'autres pilotes n'avaient pas encore fait le plein. Certains l'effectuèrent dans le court laps de temps entre la première et deuxième neutralisation suivant l'accident de Kubica, d'autres lors de la deuxième ouverture des stands, et quelques-uns peu après la relance. Preuve s'il en est que des équipes furent prises au dépourvu.

Ainsi de dix-huitième au vingt-sixième tour, il passa onzième une fois la piste dégagée des débris de la BMW de Kubica, avant de dépasser la... Ferrari de Kimi Räikkönen, en perdition à l'épingle. Et durant tout ce long relais, le futur Champion du Monde fut incapable de reprendre son bien face à la Super Aguri ! Pendant ce temps, Sato glanait place après place suite aux arrêts de chacun. Parmi eux, son équipier Anthony Davidson qui n'avait qu'un ravitaillement à régler. Il l'anticipa après avoir heurté une marmotte de plein fouet, débarquant de fait à l'improviste devant son box !

Super Aguri - Anthony Davidson - Canada 2007

Takuma était ainsi revenu sixième avant la deuxième vague de ravitaillements. Puis cinquième quand sonna la troisième sortie du Safety Car à cause des débris semés par Christijan Albers. C'est là que Super Aguri joua son joker.

En effet, la réglementation interdisait tout ravitaillement une fois la voiture de sécurité sortie. Mais les changements de pneus, eux, restaient autorisés. La distinction semblait anecdotique puisque, crevaison ou changements de conditions météo exceptés, un arrêt aux stands impliquait quasi-systématiquement le combo pneu/essence. Or les pneus tendres proposés par Bridgestone ce week-end fonctionnaient assez mal, étant sujet au fameux « graining » tant redouté.
La majorité des pilotes préférèrent donc retarder leur utilisation pour le dernier relais. Sato choisit lui de s'arrêter dès l'entrée du Safety Car pour chausser ces gommes décriées. Puis trois tours plus tard, au moment de la réouverture de la pit-lane, il effectua son deuxième ravitaillement et remit les pneus durs, se débarrassant donc d'un handicap certain.

Le pari fonctionna d'autant plus que les équipes continuèrent de se mélanger les pinceaux quant au timing de leurs propres ravitaillements. Mark Webber ne s'arrêta qu'une fois la course relancée, Jarno Trulli attendit la quatrième (!) intervention du Safety Car pour faire son plein et Rubens Barrichello ravitailla à sept tours du but !
Ajoutez à cela que Jarno Trulli et Vitantonio Liuzzi finirent leur course dans le rail, le premier en... sortant des stands (!!), le second dans le fameux Mur des Champions. C'était d'autant plus dommageable que les deux italiens avaient eux aussi effacé l'utilisation des pneus tendres durant une neutralisation, la deuxième en l'occurrence.

Sato ne commit aucune erreur de ce genre, lui pourtant peu avare en la matière dans ses plus mauvais jours. Ici, c'était au contraire son plus beau (avant Indianapolis 2017 bien sûr). Douzième après son propre arrêt, les incidents énoncés ci-dessus le ramenèrent dans les points, en huitième place. Ralf Schumacher puis Fernando Alonso devinrent alors des victimes faciles de la Super Aguri avec leurs pneus tendres inefficaces. Sato finit ainsi sixième et s'appropria trois points, devenant le héros du jour... après Lewis Hamilton.

© Wikipedia - Super Aguri - 2007

Ceux-ci restèrent hélas les derniers points de l'équipe d'Aguri Suzuki. Considérant l'entreprise comme trop encombrante au vu de ses résultats catastrophiques, Honda débrancha la prise courant 2008, avant de quitter le navire à son tour en fin d'année. Ironiquement, son successeur Brawn GP dût en partie son succès à l'innovation du double diffuseur qui fut découvert chez... Super Aguri.