Si actuellement, le fan lambda de Formule 1 a tendance à regretter l'ancien temps sur les réseaux sociaux, ces dernières années ont su nous offrir des courses qui seront considérées plus tard comme des classiques qu'on souhaite avoir enregistré sur DVD. Et le Grand Prix du Canada 2011 en fait partie. Pourtant, c'était très mal parti.
Alors que la saison 2010 s'était conclue par un duel inédit à quatre pilotes pour le titre mondial, l'année 2011 s'annonçait beaucoup moins disputée. Sebastian Vettel a remporté cinq des six premières courses sur une Red Bull encore plus dominatrice que précédemment. A côté, Ferrari stagnait en dépit des efforts de Fernando Alonso tandis que McLaren devait composer avec un Lewis Hamilton plus nerveux qu'à l'accoutumée et sortant d'une course catastrophique à Monaco. Derrière, Mercedes ne progressait pas suffisamment, les Lotus Renault allaient progressivement reculer et les Force India et Sauber jouaient les places d'honneur. L'équipe suisse dut même composer avec le forfait de Sergio Perez, mal rétabli de son crash de Monaco, donnant l'occasion au vétéran Pedro de la Rosa de se rappeler au bon souvenir de tous. Les qualifications créèrent un demi espoir avec les Ferrari d'Alonso et Felipe Massa à seulement deux dixièmes de Vettel en qualifications. Mais sur le sec.
En effet, la pluie revint rendre visite à Montréal le dimanche pour la première fois depuis l'édition 2000. Devenue frileuse au fil des ans, la direction de course décida de donner le départ sous régime de la voiture de sécurité alors que la pluie avait cessé. Les commentateurs et les téléspectateurs ne purent que déplorer cette décision. Au moins, le spectacle allait être de mise une fois la course lancée et on pouvait compter sur Hamilton pour cela. Parti cinquième derrière Mark Webber, il s'empressa de le doubler au restart mais le fit plutôt partir en travers, ce qui coûta des places aux deux belligérants. Pas découragé, Lewis entreprit de rattraper son retard et percuta... son propre équipier sur la ligne droite des stands après une incompréhension quant à un dépassement. Fin de la course pour le champion 2008 et changement de pneus pour son successeur qui opta pour les intermédiaires et pour cause, la piste séchait. Jenson eut souvent du flair à ce sujet et le prouva une nouvelle fois par sa remontée, à peine entravée par un Drive Through pour avoir roulé trop vite sous le régime du Safety Car.
Tandis que derrière, le classement continuait d'évoluer non sans quelques travers (Paul Di Resta se paya un tout droit), Massa menaçait Alonso, faisant comprendre qu'il serait plus apte à lutter avec Vettel, mais Ferrari ne pratiqua aucune consigne, la hiérarchie étant claire depuis le message radio d'Hockenheim 2010. La question ne se posa plus après le passage aux intermédiaires des deux pilotes puisqu'une pluie diluvienne inonda le circuit Gilles Villeneuve dans sa deuxième moitié, obligeant les concurrents concernés à rechausser des gommes plus adaptées, là où ceux qui avaient gardé les pluie se retrouvaient devant, Vettel compris. Son équipier, déjà retardé, avait pris le temps de changer de volant après un souci de commande de boîte. Le drapeau rouge intervint quelques tours après lorsque l'on finit par comprendre que cette averse était faite pour durer, d'autant que le circuit ne disposait pas du meilleur drainage.
L'école de la patience est britannique
Image : Getty Images
Le problème, c'est que la situation traîna pendant près de deux heures, sans compter un nouveau démarrage sous Safety Car inutilement et stupidement prolongé : dès le restart, de nombreux pilotes chaussèrent immédiatement les pneus intermédiaires ! Dans le ballet des arrêts aux stands, Button entra en contact avec Alonso, déposant la Ferrari sur le vibreur de la deuxième chicane. Une position dangereuse qui remit la sacro-sainte voiture de sécurité sur le devant de la scène, tandis que Jenson devait repasser par les stands, pneu crevé. A cet instant, la mi-course était dépassée et il était dernier avec déjà cinq arrêts au compteur, pénalise comprise. Devant, Vettel continuait de contrôler et a profité une seconde fois de la neutralisation pour chausser les pneus adéquats. Il devançait le surprenant Kamui Kobayashi (Sauber) qui n'avait pas changé de pneus avant l'interruption de course, au même titre que les Lotus Renault de Nick Heidfeld et Vitaly Petrov et la Force India de Di Resta qui restaient bien placés. Entre ces pilotes, Webber et Michael Schumacher restaient au contact.
En parlant de contact, ceux-ci se multipliaient : Di Resta gâcha ses chances en rectifiant son aileron avant sur Heidfeld, tout comme Sutil sur Nico Rosberg, qu'il avait de toute façon doublé illégalement sous le régime du Safety Car. Les deux finiront leur course dans le rail pour faire bonne figure. Schumacher, lui, brillait comme à ses plus heures en remontant sur le podium, aidé indirectement par Kobayashi qui tenait Massa en respect. Une erreur du Japonais plus tard et voilà le septuple champion deuxième ! C'était le moment de chausser les pneus slicks, mouvement instauré par Webber qui s'invita ainsi dans le Top 3 grâce à cela. Massa ayant cassé son aileron dans le rail en voulant éviter une HRT attardée,sur la trajectoire humide, c'était ainsi... Button qui se retrouvait quatrième ! Sans faire de bruit et après un nouvel arrêt anticipé, la McLaren devenait candidate à la victoire. Normal !
En effet, le Safety Car faisait sa dernière ronde de la journée. Heidfeld avait planté son aileron sous ses roues en heurtant Kobayashi et en fut quitte pour une glissade dans l'échappatoire, non sans avoir semé des débris bien handicapants pour la bonne tenue du Grand Prix. Pour ajouter à l'aspect surréaliste de la course, un des commissaires chargé de ramasser les morceaux de Lotus manqua presque de se faire écraser par les monoplaces en tombant sur la piste ! Le spectacle ne s'arrêtait pas là puisque Schumacher, Webber et Button enthousiasmèrent la foule canadienne à lutter pour le podium. C'est la McLaren qui prit l'avantage définitif sur l'Allemand et l'Australien, lequel bouta Schumacher hors du podium pour ce qui reste la meilleure course de son come-back. Il ne manquait plus que Vettel, qui apprit tel Nigel Mansell en 1991 qu'une victoire se remporte qu'après le franchissement de la ligne d'arrivée : le champion en titre glissa dans l'humidité d'un virage au dernier tour ! Il laissa McLaren exploser de joie et Button remporter la plus belle course de sa carrière. Derrière les Red Bull et Schumacher, Petrov sauvait de bons points et Massa, bien revenu, dépassa Kobayashi sur la ligne d'arrivée. A noter aussi que Rubens Barrichello marqua ici les derniers points de sa longue carrière.
Grâce aux nombreux Safety Car et à un tour s'étant étalé sur près de deux heures, la course peut se targuer de records assez surréalistes en étant la plus longue épreuve de l'histoire et avec la plus faible moyenne enregistrée : 4 heures et 4 minutes à 75 km/h ! Pas sûr que ces chiffres soient un jour battus mais ils prouvent une fois pour toute que la Formule 1 restera imprévisible de bout en bout.