Avec l'annonce de la participation de Fernando Alonso aux 500 Miles d'Indianapolis, le buzz est de mise. Pourtant, il n'est pas le premier pilote en provenance de la Formule 1 à s'aventurer de l'autre côté de l'Atlantique. Loin de là.
Les 500 Miles d'Indianapolis font partie du patrimoine automobile mondial. Avec les 24 Heures du Mans et le Grand Prix de Monaco, il s'agit de la plus grande course automobile qui soit. De plus, au sein de cette Triple Couronne, elle a l'honneur d'être la plus ancienne puisque la première édition date de 1911 (1923 pour Le Mans, 1929 pour Monaco).
Or à ce moment, les courses automobiles possédaient déjà une dimension mondiale puisqu'il s'agissait pour les européens comme pour les américains de prouver quelle mécanique était la plus efficace. Ainsi, dès 1913, une Peugeot s'est imposée avec Jules Goux tandis que Mercedes cherchait également à concurrencer les Yankees sur leurs terres. Il n'était donc pas surprenant que l'on retrouve le moment venu des pilotes de Formule 1 sur le fameux "brickyard" - l'ovale d'origine était entièrement constitué de briques jusque 1961. De plus, pour justifier le caractère mondial du championnat, les 500 Miles d'Indianapolis ont été inclus au calendrier au cours de la première décennie.
Little Italy
Pourtant, ils furent bien peu nombreux à tenter le voyage, redoutant sans doute le choc des cultures. Le premier exemple connu «d'invasion » reste Alberto Ascari. Le futur champion du Monde 1952 manqua l'ouverture de la saison pour s'aligner au départ avec une "Ferrari-Special". Sans briller mais sans être ridicule, l'Italien ne put croiser le drapeau à damiers suite à une perte de roue. Cette escapade resta ensuite un incident isolé, jusqu'à ce que Juan-Manuel Fangio manifeste à son tour son ambition !
Alors en pré-retraite en 1958, le Maestro voulut s'essayer à la course sur ovale avec modestie, comme à son habitude. S'il passa le « rookie test » réglementaire avec une belle vitesse moyenne, les observateurs restaient circonspects. "C'est comme si on demandait à un sprinter de soudainement courir un 10 000 mètres" dira Jimmy Bryan, futur vainqueur de l'édition. Ce dernier n'était probablement pas au courant de l'endurance étonnante de l'Argentin, qui avait couru trois heures sous la canicule en 1956 sans être relayé, au contraire de tous ses rivaux ! Reste que Fangio, peu satisfait de sa monoplace et probablement plus aussi motivé, finit par jeter l'éponge avant les qualifications. Il se retira des circuits peu de temps après au Grand Prix de France.
La charrue devant les bœufs
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Les vraies hostilités débutèrent en 1961, ironiquement l'année où les 500 Miles quittèrent le calendrier F1 ! En fait, lorsqu'un pilote local s'était essayé à Sebring pour le premier vrai Grand Prix des Etats-Unis (1959), il prit le temps de convaincre le nouveau champion Jack Brabham de faire le déplacement. Ce qu'il fit avec la fameuse technologie du moteur arrière qui n'était pas encore adoptée de tous, et certainement pas aux Etats-Unis...
Pourtant, lors de son premier test fin 1960, Brabham signa un temps qui l'aurait placé en huitième place sur la grille quelques mois plus tôt, ce alors que sa monoplace n'était clairement pas conçue pour affronter les ovales ! Sans parler de la cylindrée limitée à 2,5 litres, contre plus de 4 litres outre-Atlantique. Black Jack s'aligna officiellement l'année suivante, se qualifiant treizième et finissant neuvième, non sans avoir occupé la troisième place pendant un moment. Le signal était clair, les "roadsters" devaient également préparer l'avenir.
Quand Lotus fit une fleur à l'Amérique
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Pourtant, les américains prirent leur temps et restèrent accrochés à leur moteur avant. Tout bénéfice pour Lotus et Colin Chapman, qui s'est cru « au départ d'une course d'avant-guerre » pour reprendre ses propos, alors qu'il assistait à l'édition 1962. Associé à Ford (préparant ainsi le terrain pour l'arrivée du constructeur en F1 quelques années après), Lotus confia bien entendu cette mission à Jim Clark, non sans une certaine condescendance de ses rivaux. Détail amusant, le fameux "british racing green" de Lotus était proscrit à Indy car la couleur était associée à la malchance. Quand un pilote exprima son dégoût face au dépassement d'une voiture verte, Chapman l'exécuta ainsi : "Ne vous en faites pas mon cher, il y a peu de chances que vous arriviez à la dépasser !"
Cette confiance était justifiée. Clark finit deuxième en 1963 et encore : le vainqueur Parnelli Jones perdait une forte quantité d'huile, ce qui aurait dû le disqualifier. Les officiels firent la sourde oreille et on devine bien pourquoi... Clark répondit par la pole position en 1964 et enfin la victoire en 1965. La première d'une monoplace à moteur arrière à Indy. Comme si cela ne suffisait pas, Clark remporta le championnat du Monde de F1 la même année, ce alors qu'il avait manqué le Grand Prix de... Monaco. Toute ressemblance... Cette fois, le message était clair et en 1966, il n'y avait plus qu'un roadster au départ des 500 Miles.
La Triple Couronne de Graham
C'est d'ailleurs en 1966 qu'un autre pilote de F1 eut l'occasion de goûter le lait d'Indiana. Il s'agissait de Graham Hill, encore aujourd'hui seul détenteur de la Triple Couronne. Déjà triple vainqueur à Monaco à cet instant (Le Mans allait suivre en 1972), le père de Damon succéda à Clark avec une Lola, devançant d'ailleurs son futur équipier. A propos d'équipier écossais, un autre grand champion avait rejoint ses camarades : Jackie Stewart. Le triple champion du Monde lutta pour la victoire en compagnie de Hill et Clark avant d'abandonner, moteur cassé.
Les années 60 virent d'autres pilotes s'essayer à Indianapolis, tels que Denny Hulme et Jochen Rindt. L'Autrichien ne cacha cependant pas ses réelles intentions : pour lui, il s'agissait surtout d'arrondir ses fins de mois. Hulme finit quatrième en 1967 mais fut surtout victime d'un grave incendie lors des essais de l'édition 1970, le brûlant gravement aux mains. Reste qu'après Graham Hill, les Américains allaient faire main basse sur leur course durant plus de deux décennies !
Chose amusante, si les américains Dan Gurney et Mario Andretti furent aussi de la partie, Phil Hill n'allait jamais franchir les portes du speedway. Le premier champion US a toujours été davantage attiré par les épreuves européennes. Mario en revanche, avait d'abord fait ses gammes aux USA avant d'arriver en F1. En dépit de ses très nombreuses participations (jusqu'en 1994, sans compter un essai avorté en... 2003 !), Andretti ne remporta l'épreuve qu'une fois, en 1969. Gurney, lui, inscrivit indirectement son nom aux tablettes grâce à son équipe Eagle, trois fois vainqueur des 500 Miles (1968, 1973, 1975).
Naissances et renaissances
L'hégémonie américaine s'acheva en 1989 avec un ancien pilote de F1 : Emerson Fittipaldi. Ayant perdu sa fortune et sa réputation en tant que patron d'écurie, le double champion du Monde s'est refait une santé dans tous les sens du termes aux Etats-Unis. "Emmo" remporta deux fois les 500 Miles, la seconde fois non sans avoir croisé le fer avec Nigel Mansell ! Fittipaldi fit d'ailleurs parler de lui cette année-là puisqu'il boycotta le fameux lait pour s'abreuver avec son propre jus d'orange afin de promouvoir sa plantation ! Son neveu Christian fit aussi carrière aux States mais avec un succès moindre, bien qu'étant "Rookie of the year" en 1995 à Indy.
1995, c'est l'année où un autre patronyme célèbre s'imposa. On parle bien entendu de Jacques Villeneuve, lui-même meilleur débutant douze mois plus tôt avec la deuxième place. En 1995, il réussit à remonter deux tours de pénalité pour vaincre après avoir doublé par inadvertance le Pace-car. Une victoire qui lui offrit une sacrée publicité en Europe, d'autant que son arrivée en F1 se préparait petit à petit. On connaît la suite et Jacques devint le cinquième et dernier pilote à combiner victoire aux 500 Miles et titre mondial en F1. Cinq ans après, c'est un autre enfant terrible du sport auto qui l'emporta, et dès sa première participation cette fois : Juan-Pablo Montoya. Le Colombien doublera d'ailleurs la mise en 2015, créant un écart record entre deux succès aux 500 Miles. Il reste le seul avec Graham Hill à avoir associé cette victoire avec un succès à Monaco.
Certaines de ces statistiques risquent de ne plus être d'actualité si Fernando Alonso succède à Alexander Rossi. C'est tout le mal qu'on lui souhaite.