Avec le duel Vettel-Hamilton, Fernando Alonso est l'une des principales attractions de la saison 2017. Le double champion du Monde ne manque jamais une occasion de se faire remarquer. Que ce soit pour ses performances remarquables au vue de son matériel ou ses commentaires cyniques à l'égard de ce dernier.
Le grand public prend de plus en plus le parti de l'Espagnol mais d'autres soulignent également ses limites en matière de communication. Non sans raison(s). Fernando Alonso est unanimement considéré comme l'un des meilleurs pilotes de l'ère post-Schumacher avec Sebastian Vettel et Lewis Hamilton. Beaucoup n'hésitent d'ailleurs pas à le hisser en première place.
Crise d'identité ?
Et il y a de bonnes raisons à cela. Non seulement son talent naturel est incontestable mais il semble avoir la capacité d'exploiter au maximum tous les facteurs susceptibles de l'aider dans sa quête des premières places. De par son intelligence de course, son expérience et sa soif de vaincre, Fernando parvient à tirer 100% de son matériel de bout en bout. En comparaison, Lewis Hamilton semble connaître quelques coups de mou y compris avec le meilleur matériel tandis que Sebastian Vettel a petit à petit baissé les bras au cours de ses saisons compliquées (2014 et 2016).
Pourtant, le public n'a pas tout de suite pris parti pour Alonso. Son premier titre en 2005, bien qu'entièrement mérité, fut souvent sous-estimé en raison des nombreuses casses mécaniques ayant éliminé Kimi Raikkonen de l'équation. La confirmation de 2006 aurait pu faire taire les sceptiques mais sa confrontation face à Lewis Hamilton en 2007 remit les choses à plat. Voir un débutant faire jeu égal avec un double champion du Monde a de quoi susciter des interrogations. Il fallut deux années de vaches maigres chez Renault pour comprendre de quel bois était fait Alonso. Un sentiment confirmé en 2012 où nul autre que lui pouvait maintenir Ferrari en lutte pour le sacre face à Red Bull. Le voici entériné depuis son retour chez McLaren, au point de s'attirer plus de compliments que les Vettel et Hamilton.
Le champion du peuple ?
Beaucoup aiment à penser que le public (notamment français) préfère les perdants aux vainqueurs. En fait, ce n'est pas tant que la foule n'aime pas les gagnants mais il est toujours plus beau de voir un sportif donner son maximum dans des circonstances difficiles même (et surtout ?) lorsque cela s'avère totalement vain par rapport à un autre qui n'a pas tant à forcer son talent pour vaincre. D'où le désamour envers Vettel en 2013 et Hamilton par la suite, sans parler du mode de vie "controversé" du dernier nommé qui ne plaît pas à tout le monde. Or Alonso n'a pas remporté de titre depuis 2006 et de victoires depuis 2013. Voir un tel talent réduit à seulement finir les courses ne paraît tout simplement pas juste. Les fans ne peuvent que compatir à son sujet. Même ceux qui ne sont pas fan du pilote ou de l'homme.
Certains en viennent d'ailleurs à tourner en dérision ces mésaventures. Après tout, il vaut mieux parfois rire de la situation plutôt qu'en pleurer. Cela tombe bien, le second degré est bien présent dans l'esprit d'Alonso, qui sait mettre les rieurs de son côté. La meilleure démonstration reste bien entendu l'image du pilote bronzant sur une chaise longue au cours des essais d'Interlagos 2015. Ses envolées lyriques à la radio provoquent elles un rire involontaire tant le pilote manie l'art du cynisme. Et comme Honda ne manque jamais une occasion de lui donner une occasion, chaque week-end de course est pimenté par une nouvelle pique made in Spain.
Ce sens de l'humour participe aussi à la popularité grandissante d'Alonso. Tout comme elle souligne les limites de sa méthode.
Taureau mal léché
Car en effet, en Formule 1, la liberté de parole est aussi appréciée que conspuée. Il suffit de voir l'évolution de la réputation de Jacques Villeneuve pour s'en convaincre. Si Fernando n'a jamais été aussi cash que son ex-équipier, il a manqué plus d'une fois l'opportunité de se taire. Ce qui porta atteinte à son image dans un premier temps.
Certains se souviendront de 2006, où il remit en cause l'implication de son équipe, allant jusqu'à prétendre qu'il se sentait seul. Ce qui semblait un poil absurde et injuste, surtout qu'au final, les deux titres ont été conservés. Les paroles de 2007 furent elles bien plus médiatisées, entre sa rivalité avec Lewis Hamilton et l'affaire d'espionnage touchant McLaren. Affaire dans laquelle il eut son rôle à jouer puisqu'il vendit la mèche quant aux emails échangés avec le pilote essayeur Pedro de la Rosa, où les données "empruntées" à Ferrari étaient régulièrement abordées. A t-il cherché à se venger de Ron Dennis, qu'il estimait trop partial dans son traitement des pilotes ? Quoiqu'on en pense, Fernando a peut-être montré le côté le plus déplaisant de son caractère cette année-là et certains lui en tiennent encore rigueur.
Qui aime bien châtie bien ?
Tout ça pour dire que si le cynisme de Fernando fait rire aujourd'hui et s'il n'est pas difficile de comprendre sa frustration. A t-il réellement raison d'agir de la sorte ? Il ne faut jamais négliger le facteur psychologique, aussi bien chez les pilotes que les ingénieurs. On peut légitimement penser que les ingénieurs de Honda seraient plus motivés et désireux d'offrir un matériel de qualité à un pilote restant positif qu'à un pilote constamment vexant. Olivier Panis (à l'époque de BAR) et Jenson Button ont eux toujours gardé une certaine retenue et un relatif optimisme dans leurs commentaires, en dépit des déceptions à répétition. De plus, bien qu'étant dans le feu de l'action, on peut parfois détecter un certain calcul de la part d'Alonso. Sur quel circuit la fameuse phrase "GP2 engine" a t-elle été prononcée ? A Suzuka, circuit historique de Honda. Bonjour la publicité !
Enfin, si Fernando n'est pas responsable des casses des moteurs Honda, beaucoup ont eu le sentiment qu'Alonso tirait trop la couverture à lui-même. Il n'a de cesse de louer ses performances de 2017, ce qui n'est pas injuste certes, mais semble confirmer une absence de remise en question. Laquelle est nécessaire tout au long de sa carrière, même à son paroxysme. Aussi bon soit-il, il doit garder un minimum de retenue. Autre critique : à force d'attirer les spotlights, la hype peut devenir envahissante. Surtout quand elle rejette dans l'ombre d'autres facteurs. Résultat, sa participation aux 500 Miles d'Indianapolis a été plus médiatisée que la course elle-même, ce alors qu'il s'agit de l'une des plus grandes au monde. Mieux encore (ou pire), son abandon sur casse moteur... Honda a été presque plus relayé que la victoire de Takuma Sato, acquise avec un moteur... Honda.
Un talent non gâché mais mal utilisé ?
Au final, un dernier argument peut être souligné. Ce sont les choix de carrière d'Alonso qui, depuis ses deux titres avec Renault, n'ont jamais semblé pertinents avec le recul. McLaren n'était peut-être pas fait pour lui à ce moment précis, puis Renault était sur une pente savonneuse. Enfin Ferrari n'a jamais réussi à assembler toutes les pièces du puzzle faute d'une direction sportive cohérente et définitive depuis le départ de Jean Todt. Une constante chez les rouges. Ce pourquoi quelques uns considèrent qu'il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Car après tout, les titres se gagnent aussi en étant au bon endroit au bon moment. Ce qui fait qu'un pilote plus ordinaire comme Denny Hulme a été champion du Monde et pas Stirling Moss, pourtant le plus grand rival de Juan-Manuel Fangio.
Après Fernando Alonso n'aura évidemment pas à rougir de sa carrière. Au pire, ces dernières années chez McLaren lui auront permis de peaufiner son pilotage et d'acquérir une certaine popularité. Ce qui est toujours bon à prendre. A l'heure où on se plaint régulièrement du manque de fortes personnalités en F1, la présence d'Alonso est donc bénéfique, en plus de son fabuleux coup de volant. Pas sûr cela dit qu'il déchaîne les foules au Japon...