Il y a 20 ans, Ford sautait enfin le pas et décidait de s'engager en tant que constructeur à part entière sous le nom de Jaguar, via le rachat de Stewart Grand Prix. Un projet qui promettait beaucoup mais qui aboutit au final à un des plus gros gâchis de l'histoire récente de la Formule 1. Pendant cinq saisons, Jaguar se fit plus remarquer par ses incessantes intrigues politiques que par ses performances en piste. Comment l'ancêtre de Red Bull Racing a pu échouer à ce point ?
Il est peu dire que l'optimisme n'était pas de mise au moment d'arriver à Melbourne. De là à imaginer l'humiliation d'une avant-dernière ligne, il y avait de la marge. Ce fut pourtant le résultat des qualifications et si Irvine sauva la quatrième place vingt-quatre heures plus tard, il pouvait remercier le carambolage initial et l'hécatombe typique de Melbourne à l'époque. Les deux monoplaces vertes se posèrent à la porte des points au Brésil peu après mais ici, c'étaient les Michelin bien supérieurs aux Bridgestone qui eurent une grande influence.
Le reste du temps, Irvine et De la Rosa devançaient à peine les Minardi et encore, Mark Webber parvint à les précéder à l'occasion ! Pour ajouter à la gêne, les Arrows, à moteur égal mais avec un budget épuisé, faisaient régulièrement mieux. On en vint à envisager la reprise des monoplaces de 2001 tant l'exemplaire de 2002 semblait à côté de la plaque !
Un test comparatif fut organisé pour mieux se rendre compte qu'il valait mieux essayer d'améliorer ce qui pouvait l'être sur le modèle le plus récent. Du temps perdu en somme, pour changer. Si les pilotes étaient moins à blâmer que la voiture, leur apport restait insuffisant au vu des circonstances.
Jaguar proposa donc un essai à Fernando Alonso, alors troisième pilote Renault, puis au susnommé Webber, brillant pour sa saison d'introduction. Avec Irvine en fin de contrat – là où De la Rosa comptait encore un an – on pouvait deviner qui serait remplacé pour 2003. Un mouvement d'autant plus urgent que les deux titulaires ne s'entendaient absolument pas, d'où une cohésion pour le moins absente.
R3B : Raté N°3 bis ?
Les ingénieurs eux ne chômaient pas. Peu après le début de saison, ils disposèrent enfin d'une soufflerie proche de l'usine à Bicester pour accélérer le processus, et à Silverstone sortit une version B de la monoplace. Qui, au premier abord, semblait encore plus aux fraises : dix-neuvième et avant-dernier le samedi, onzième et dernier (abandon pour Irvine) le dimanche.
La dite soufflerie était en vérité une ancienne installation du constructeur de châssis Reynard et il convenait de la moderniser au plus vite. En attendant, exception faite d'un Top 10 en qualifications en France d'Irvine (avant de perdre son aileron arrière en course !), Jaguar se traînait toujours autant. Au moins la lente agonie d'Arrows mettait fin aux comparaisons désavantageuses...
Puis vint la Belgique. Où, semble t-il, grâce à une modification opportune de la suspension avant, la monoplace devint subitement compétitive. Irvine y marqua un point à la régulière avant de se lâcher à Monza : cinquième en essais, troisième en course !
De la Rosa ne profita guère de ce regain de forme, entre une suspension cassée à Spa et un accrochage avec Felipe Massa à Monza, débouchant sur la première pénalité de grille de l'histoire pour le brésilien. Reste que Jaguar avait prouvé sa capacité à réagir en proposant une monoplace qui, à en croire son premier pilote, n'avait plus rien en commun avec celle du début de saison.
Mais on l'a vu, les Verts étaient spécialistes de la belle performance isolée au milieu d'un océan de médiocrité. Devait-on être surpris de les voir reléguées à leur niveau de départ pour Indianapolis et Suzuka ? Pas spécialement. La R3 manquait abominablement d'appui aérodynamique, au point que même Monaco, où Jaguar brillait jusqu'alors, fut un cauchemar.
Spa et Monza étaient l'exact opposé de la Principauté en terme d'exigence aéro, il était plus facile de briller, d'autant que le moteur Cosworth avait le mérite d'être l'un des plus puissants du plateau. Une situation assez analogue à celle de Force India en 2009.
Le péril jaune ?
Reste que si l'Italie offrit une respiration bienvenue, elle n'empêcha pas les observateurs de s'étouffer (de rire ou de dépit, c'est selon) face au bilan final. On crut même l'espace d'un moment que Ford allait se retirer, se contentant d'être un simple partenaire moteur.
L'annonce de son association avec Jordan pour 2003 allait dans ce sens car, contrairement à Arrows, les Jaunes verraient le logo ovale bleu s'afficher sur leurs monoplaces et il serait question de Jordan-Ford, et non Cosworth. Sauf qu'en bon baratineur, Eddie Jordan fit tout pour cacher la vérité : il resterait client et bénéficierait des moteurs 2002. Donc sans intention de remplacer Jaguar ou de lui faire de l'ombre.
Pire encore, il officialisa cette alliance avant la deadline fixée par les dirigeants de Ford, ceci alors que cet accord ne contentait pas tout le monde chez le constructeur. EJ avait surtout trouvé du soutien auprès de la branche européenne de Ford, là où les responsables américains étaient bien plus dubitatifs, sans compter le big boss Bill Ford, peu inspiré par la F1 surtout en cette période compliquée financièrement parlant pour sa marque. Autrement dit, même Ford ne semblait plus vraiment savoir ce qu'il voulait entre les partisans et les opposants au projet Jaguar.
Finalement à Indianapolis, Ford confirma la présence de Jaguar en F1, après que le nouveau président de Premier Automobile Groupe (les marques de luxe de Ford, donc Jaguar) Richard Parry-Jones ait constitué un rapport dans le but de persuader le constructeur de poursuivre son effort. Et ainsi fut mis en place le plus gros bouleversement que l'équipe connut depuis ses débuts.