Il y a 20 ans, Ford sautait enfin le pas et décidait de s'engager en tant que constructeur à part entière sous le nom de Jaguar, via le rachat de Stewart Grand Prix. Un projet qui promettait beaucoup mais qui aboutit au final à un des plus gros gâchis de l'histoire récente de la Formule 1. Pendant cinq saisons, Jaguar se fit plus remarquer par ses incessantes intrigues politiques que par ses performances en piste. Comment l'ancêtre de Red Bull Racing a pu échouer à ce point ?

Avec tous ces changements pas tous bien interprétés, les spécialistes ne savaient donc plus trop quoi attendre du pseudo « Ferrari anglais ». Les deux premières courses n'apportèrent pas plus d'enseignements avec de modestes chronos en qualifications et une fiabilité perfectible en course.

Webber eut à peine le temps de s'afficher dans les points à domicile avant de casser sa suspension. Puis vint Interlagos où l'Australien signa le troisième temps, suivi par le cinquième à Imola. Certes, il fit partie des nombreuses victimes de la pluie au Brésil et sa mécanique le trahit à nouveau en terre italienne. Mais le potentiel était là.

Il le confirma avec des premiers points en Espagne, puis en Autriche où deux fois de suite, il remonta du fond de classement jusqu'à la septième place, le barème s'étant élargi aux huit premiers. Durant presque toute la saison, Webber se qualifia dans le Top 10 ou à ses portes et lutta pour les points, faisant office de meilleur des non top-teams.

Parfois il se glissa même au milieu de ces quatre équipes de pointe, bien aidé par des Michelin prenant le pas sur Bridgestone. Le meilleur exemple restant la Hongrie avec un troisième temps le samedi pour une sixième place le dimanche. Mark compta sept arrivées dans les points en tout et finit neuvième ex-æquo du championnat.

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Progression relative

Jaguar avait enfin convaincu ? Dans l'esprit, oui, légitimement. L'équipe mit un point d'honneur à se mettre en valeur presque à chaque Grand Prix, même si elle ne concrétisa pas à chaque fois. La R4, bien qu'aucunement spectaculaire, était efficace et saine, n'ayant pour gros défaut qu'une usure excessive des pneus arrière.

La communication était maîtrisée et concise et l'équipe donnait enfin l'impression de travailler et d'avancer dans la bonne direction, aucune discussion d'ordre politique ne vint troubler leur saison contrairement aux saisons précédentes. Le tout avec un premier pilote aussi solide que travailleur, idéal sur la piste comme en dehors.

Il restait cela dit à relativiser cet enthousiasme. On célébra 2003 en partie parce que 2002 s'avéra particulièrement décevant, sinon humiliant car les performances, quoique meilleures et bien plus constantes, restaient en deçà de ce qu'on attendait d'un constructeur. Il suffisait d'appliquer l'ancien barème pour s'en rendre compte : Jaguar n'aurait marqué que trois points au lieu de dix-sept, soit moins que pour les trois premières années.

Pire encore, le nouveau barème aboutirait à dix-neuf unités en 2000, vingt-trois en 2001, et dix-huit en 2002, faisant de 2003 la plus faible saison du lot statistiquement parlant ! Aussi, l'équipe finit derrière Sauber et BAR au classement constructeur, deux équipes plus indépendantes qui n'avaient pas autant brillé en comparaison.

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Enfin, Antonio Pizzonia déçut très vite, ce dès les essais hivernaux où il... crasha une Jaguar de route lors d'un simple tour de publicité avec un journaliste ! Dans la monoplace, il fut constamment dominé par Webber et commit bien trop d'erreurs, si bien que son remplacement anticipé devint une possibilité après seulement quatre courses ! Pour rappel, Pizzonia était un recrutement de Niki Lauda et ses nouveaux patrons ne possédaient probablement pas la même confiance ou patience.

Alexander Wurz, alors pilote d'essais McLaren, était sérieusement envisagé pour le suppléer mais l'équipe exigea un trop gros chèque de dédommagement. Jaguar, fidèle à sa politique d'économies, préféra garder le brésilien pour encore quelques courses. Celui qu'on surnommait le Jivaro (à en croire Jean-Louis Moncet du moins) de par ses origines amazoniennes vit sa propre tête coupée durant l'été, au profit de Justin Wilson.

L'anglais, pourtant brillant avec Minardi en première moitié de saison, ne fit pas beaucoup mieux (un seul point), laissant quelques interrogations quant à l'égalité de traitement entre les deux monoplaces vertes...

Et quand on se rendit compte que le deuxième pilote Jaguar en 2004 serait un pilote « payant », on commença à sérieusement douter d'une progression sur le long terme... voire d'un engagement. Selon Günther Steiner, dès 2002, Jaguar cherchait à répondre au dilemme suivant "Comment atteindre nos objectifs en dépensant le moins possible ?". Il n'était même plus question de titre mondial ou de gagner, juste de faire le mieux possible avec ce qui était à disposition. Dans ces conditions, difficile de faire beaucoup mieux qu'en 2003...

Qui n'avance pas recule

Une fois encore, les essais hivernaux ne donnèrent que peu de raisons de positiver. Chronos modestes et soucis mécaniques étaient de mise avec une R5 à peine différente du modèle précédent. Au moins le néophyte Christian Klien semblait vite se rapprocher des temps de son leader. De quoi calmer un chouia les esprits cyniques qui rappelaient à l'envie que l'autrichien ne devait sa place qu'au soutien actif de Red Bull, omniprésent sur son casque.

C'est oublier qu'il était vice-champion des nouvelles F3 Euro Series (résultat d'une fusion entre les championnats français et allemand), devançant de futurs noms connus comme Timo Glock et Nico Rosberg, le tout à 20 ans seulement. On pouvait donc lui accorder le bénéfice du doute. Au pire, le champion F3000 en titre Bjorn Wirdheim s'entraînerait les vendredi en cas de remplacement anticipé.

Comme attendu, la saison 2004 laissa une impression grandement mitigée dans l'ensemble. 10 points marqués (deux avec le barème pré-2003), à nouveau septième au championnat constructeur, Jaguar avait clairement stagné sinon à nouveau régressé. Ce n'était pourtant pas faute d'essayer pour Mark Webber qui réussit à nouveau quelques exploits en qualifications, notamment une première ligne en Malaisie.

Sauf que l'australien manqua son départ, fut victime d'une crevaison après un accrochage, écopa d'une pénalité pour vitesse excessive dans les stands et finit par sortir de la piste, tant qu'à faire. Comme l'année précédente, la monoplace était meilleure sur un tour que sur la durée, un défaut qu'on associa aussi à Webber et qui perdura quelques années, assez injustement avec le recul.
Une autre tendance s'affirma cette année-là : sa rudesse dans les combats approchés, avec des manœuvres de défense que n'aurait pas renié Kevin Magnussen aujourd'hui. Fernando Alonso en eut un bel aperçu à Sepang et Sakhir.

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Webber ne marqua que sept points en tout, avec à nouveau une sixième place en meilleur résultat. Mark attendait toujours d'égaler sa cinquième place initiale chez Minardi en 2002 ! De plus, la majorité de ces unités étaient le plus souvent dues aux abandons des adversaires.

C'était au moins une illustration de la fiabilité très convenable de la R5. Ce que Klien prouva avec quatorze arrivées sur dix-huit, démontrant sa propre constance. Excepté l'un ou l'autre contact évitable au premier tour, l'autrichien n'avait que peu pêché par excès d'enthousiasme contrairement à beaucoup de débutants.

Revers de la médaille, son manque criant de rythme témoignait d'un recrutement prématuré, ce que ses patrons reconnurent eux-mêmes dès la mi-saison. L'écart entre Klien et Webber n'était pas moins grand qu'avec Pizzonia, que du contraire. Et plus encore que pour Mark, ses trois seuls points à Spa-Francorchamps étaient purement circonstanciels, quand bien même il eut le mérite de se tenir à l'écart des nombreux incidents ce jour-là, dont ceux du premier tour... provoqués par son équipier !