Beaucoup déplorent l'influence constante de l'aspect politique en Formule 1 et ce depuis de nombreuses années. Pourtant, il était tout aussi présent dans les années 80. Et lorsque les conflits idéologiques d'un pays finissent par remettre en cause le déroulement d'une épreuve, cela débouche sur des situations particulières. Alan Jones, Champion du Monde 1980, en témoigne dans sa récente autobiographie.

Hypocrisie ambiante

Que ce soit sous l'emprise de Bernie Ecclestone ou durant son ascension, la Formule 1 ne faisait pas de distinction politique au moment de choisir ses destinations. Les Grands Prix du Brésil et d'Argentine se déroulaient en dépit de la mainmise autoritaire des juntes militaires et le Grand Prix de Russie était un rêve du grand argentier bien avant que le Rideau de Fer ne s'abaisse. Le Grand Prix d'Afrique du Sud reste l'exemple le plus parlant de cette logique discutable.

Le pays est connu pour sa ségrégation raciale, le fameux "Apartheid". Une situation conspuée sur la scène internationale, au point d'isoler le territoire sur plusieurs points. Le CIO a ainsi banni le pays des Jeux Olympiques à partir de 1964. La F1, elle, continua à visiter le continent jusqu'en 1985... Il est vrai qu'à l'époque où la F1 s'y est installée (1967), le sport n'avait pas le rayonnement qu'on lui connaît. Quinze ans après, une vingtaine de chaînes de télévision retransmettaient l'épreuve... et choisirent d'attendre 1985 pour manifester. Comprenne qui pourra !

On retrouva par conséquent un plateau réduit : sous ordre du gouvernement français, Ligier et Renault boycottèrent l'épreuve. D'autres sponsors n'apposèrent pas leurs autocollants sur les carrosseries, tel Marlboro chez McLaren. C'est justement un sponsor qui précipita le forfait d'une autre équipe, mais de façon déguisée et indirecte.

Le malade imaginaire

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Retraité depuis fin 1981, Alan Jones est revenu de façon permanente en Formule 1 trois courses plus tôt, à Monza. Il faisait partie de l'équipe Lola Force, ou Beatrice, du nom du conglomérat agro-alimentaire qui finançait l'opération. Il s'agissait clairement d'un rodage puisque le turbo promis par Ford n'allait propulser la monoplace rouge et bleue qu'à partir de 1986.

En attendant, Jones traînait sa surcharge pondérale (près de 90 kilos !) avec une monoplace conventionnelle et un modeste Hart. L'aventure allait tourner court, en dépit de l'intervention de noms connus tels que Neil Oatley, Ross Brawn et un tout jeune Adrian Newey.

Autrement dit, même avec vingt voitures à Kyalami, les chances de réussite étaient faibles. Et Beatrice était désireux de garder une bonne réputation auprès du grand public. Après tout, en dehors des USA, peu de gens connaissaient cette marque. D'où son souhait de ne pas apparaître sur le circuit pour ne pas se compromettre. C'est ce que l'on croyait avant que Jones n'évoque ce meeting pour le moins surréaliste avec Bernie Ecclestone dans son autobiographie :

"Il m'a demandé comment j'allais, je lui ai répondu "Plutôt bien merci". Il a enchaîné en me questionnant sur mes chances de remporter la course dimanche. Je suis allé droit au but en lui disant qu'il connaissait la réponse à cette question : pour le moment, plutôt bonnes. Puis il m'a dit "J'ai eu une petite idée : si tu te fais porter malade et ne cours pas ce weekend, nous t'offrirons la prime du vainqueur. Retourne chez toi et visite l'Australie".

Petits arrangements entre amis

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En fait, le problème était plus profond dans le cas de Beatrice. Jesse Jackson, grand défendeur des droits civiques aux États-Unis, avait prévu de réunir des milliers d'employés de couleur de Beatrice pour manifester si la marque courrait à Kyalami.

Dans le doute, estimant que l'entreprise n'allait pas céder aux exigences d'un seul homme, Bernie organisa sa petite combine. Si le pilote tombait malade, le rendant inapte à la compétition, alors la Beatrice Lola ne pouvait participer (Jones était le seul pilote du team à ce moment). L'absence de l'équipe ne serait ainsi pas due à Jesse Jackson et Beatrice éviterait la grève grâce à son absence. Elle y gagnerait sur les deux tableaux.

Jones accepta cet arrangement en restant bien entendu le plus discret possible. Seuls ses patrons, Teddy Mayer et Carl Haas, étaient au courant car il fallait bien prévenir sa hiérarchie. En revanche, les mécaniciens n'en savaient rien.

On les informa que leur pilote était atteint d'un "virus" et ne pouvait courir. Jones avait alors déjà pris l'avion pour rentrer et, pour reprendre ses termes, connut une "miraculeuse guérison" pour son Grand Prix national...

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