Les premières courses automobiles connues sous le nom de "Grand Prix" eurent lieu en France autour de Pau. Cependant, le premier "Grand Prix de France" en tant que tel se déroula au Mans en 1906, bien avant que la ville sarthoise ne devienne le théâtre des mythiques 24 Heures. 110 ans plus tard, il n'y a plus de Grand Prix de France au calendrier. Pour le moment...
Il est de bon ton de pointer du doigt la conjoncture actuelle, la mouvance politique en place ou un engouement insuffisant pour le sport automobile français pour justifier cette absence. Cela étant, un des torts de notre Grand Prix national fut de ne pas disposer d'un circuit suffisamment important pour sécuriser une place au calendrier. A côté, Spa-Francorchamps s'est bâti une sacrée légende au point que Bernie Ecclestone lui-même décide d'en devenir le promoteur. Silverstone a su évoluer avec son temps, Monaco a un statut particulier et en dépit des pressions récurrentes du grand argentier, Monza aura toujours Ferrari pour assurer ses arrières. Reste que d'anciens circuits ont refait leur apparition, tels que Mexico ou le Red Bull Ring.
Sur la route...
La France, quant à elle, fut particulièrement inconstante. De 1950 à 2008, le Grand Prix a louvoyé entre sept circuits différents ! Seuls les États-Unis ont fait mieux (ou pire) avec dix tracés à ce jour. Et encore, le pays de l'Oncle Sam a accueilli deux épreuves en même temps pendant huit ans. Pour pouvoir rester en place, il a fallu changer de destination, le circuit en question ne pouvant pas ou plus s'adapter aux standards de plus en plus exigeants de son sport. Les deux premiers tracés, Reims et Rouen, utilisaient des routes publiques comme tant d'autres dans les premières années de la Formule 1. Ils étaient ainsi appelés à disparaître le moment venu. Notons qu'on parlait alors de Grand Prix de l'ACF (Automobile Club de France) puisque le Club organisa jusque 1968 la course dans nos contrées.
Ces circuits, de par leur nature, étaient aussi rapides que dangereux. On y compte donc autant de moments passés à la postérité que de drames. "La Course du siècle" (selon les journaux de l'époque) se déroula à Reims en 1953 avec un duel dantesque entre Mike Hawthorn et Juan-Manuel Fangio. L'Anglais y remporta sa première victoire au détriment du Maestro qui fut le premier à le féliciter. L'année suivante, Mercedes débuta dans la Marne et écrasa la concurrence, toujours avec Fangio, lequel conclut sa fructueuse carrière ici-même en 1958. Son successeur au championnat fut Hawthorn et il remporta en ces lieux sa seule victoire de la saison. Le pilote au nœud papillon fit preuve de classe en ne reléguant pas Fangio à un tour pour ses adieux. Selon ses dires, cela ne se faisait pas. Autre temps...
Durant cette course, l'espoir italien Luigi Musso perdit la vie, dix ans avant que Jo Schlesser ne le rejoigne, à Rouen cette fois-ci. Notons aussi que Mike Hawthorn ne fut pas le seul à ouvrir son compteur dans l'Hexagone. Giancarlo Baghetti écrivit l'Histoire en étant le seul à remporter sa première course en carrière en 1961 à Reims. C'était devant Dan Gurney, lequel imposa Porsche un an après à Rouen. Autre champion sans couronne à remporter ses premiers lauriers chez nous : Jacky Ickx en 1968, avec Ferrari. La mort de Schlesser au même moment signa la fin de Rouen, deux ans après la dernière à Reims.
Ne lui jetez pas la pierre...
Leur successeur fut Charade, à Clermont-Ferrand, affectueusement renommé "le petit Nurburgring". Bien que plus court que la Nordschleife, il comptait une belle série de virages sur un tracé vallonné. Hélas, cette caractéristique était aussi due à sa localisation sur un flanc de colline, d'où la présence de nombreuses pierres sur les bas-côtés. En 1972, celles-ci coûtèrent la victoire à un imprudent Chris Amon qui avait approché les échappatoires de trop prêt. Le même jour, Helmut Marko perdit son œil lorsqu'un silex transperça sa visière. C'en était fini de Charade. Les autres tracés allaient être des circuits permanents.
Entre temps, Le Mans s'était bien essayé à la Formule 1 en 1967 mais sur le circuit Bugatti qui n'avait rien de très intéressant. De plus le public, déjà nourri aux 24 Heures du Mans, ne chercha pas à s'intéresser davantage à la discipline. Pour ne rien arranger, celle-ci se relevait à peine de la période 1,5 litre, avec peu de participants. La Sarthe préféra se concentrer sur son épreuve phare, avec raison.
Deux autres circuits, permanents ceux-ci, s'invitèrent à la fête : le Paul Ricard en 1971 et Dijon en 1972. Les deux alterneront pendant une décennie. Le premier accueillit plus de courses que ses prédécesseurs et pour cause. Même avant sa rénovation à la fin du siècle dernier, le circuit tracé sur les terrains du fabricant de pastis du même nom était le plus moderne de son temps. Dessiné selon les indications des journalistes et pilotes de l'époque et profitant du soleil méditerranéen, le tracé avait tout pour plaire. Ou presque...
En haute mer
Hélas pour lui, en étant basé dans le Sud, il avait moins de chance d'accueillir énormément de monde. Comme le fit remarquer Gérard Crombac, en traçant un rayon de 100 km autour du circuit, une bonne partie de la surface se retrouvait dans la Méditerranée. Néanmoins, il fit son chemin de 1971 à 1990. On dénombre pèle-mêle la première victoire de Ronnie Peterson en 1974, le doublé polémique de Renault en 1982, les débuts flamboyants de Jean Alesi en 1989 et la chevauchée fantastique mais inachevée d'Ivan Capelli en 1990.
Ironie du sort, c'est la sécurité qui bouta le Ricard hors du calendrier. Outre l'accident mortel d'Elio de Angelis en essais privés en 1986 qui poussa à raccourcir le tracé, le circuit avait le malheur de disposer des mêmes tribunes qu'à Furiani. Les fans de football garderont en mémoire l'effondrement d'une d'entre elles en 1992 lors d'un match de Coupe de France. Dix ans plus tôt, Jochen Mass finit justement sa course dans une tribune après un accrochage avec Mauro Baldi. Pour le coup, la vitesse affolante des voitures à effet de sol était à blâmer mais on ne pouvait ignorer les risques, même s'il n'y eut aucun décès à déplorer à ce moment.
Le drame de Furiani obligea le Ricard à se faire discret jusqu'à devenir le HTTT (High Tech Test Track). Une piste d'essais moderne avec ces grands dégagements en asphalte tant fustigés par les puristes aujourd'hui. A côté, Dijon ne pouvait pas en profiter. Son tracé était trop court puisque les pilotes le bouclaient en à peine une minute. La légendaire lutte Arnoux-Villeneuve en 1979 ne pouvait rien y faire, les premières victoires d'Alain Prost en 1981 et de Keke Rosberg en 1982 (pour le Grand Prix de.. Suisse !) non plus. En 1984, Niki Lauda devint le dernier pilote à remporter une course sur ce circuit.
"Middle of nowhere''
C'est alors qu'on passa à Magny-Cours. Un choix purement politique puisque voulu par le président François Mitterrand, ancien député de la Nièvre. Les pilotes finirent par apprécier le panachage de virages rapides et lents calqué sur d'autres tracés (Nurburgring, Imola, Adélaïde...). Cependant, celui-ci aurait pu s'étendre bien plus si le domaine avait été racheté dans les temps. De plus, il était l'antithèse de Charade puisqu'il était totalement plat. La faute en incombait au film plastique voulu pour pallier aux averses, qui avait fondu à cause de lampes infrarouges, puisque le Président voulait inaugurer le circuit en hiver ! Afin de réparer les dégâts, on dut aplanir tout le terrain...
Pour ne rien arranger, qu'il soit au centre de la France n'était pas tant que cela un avantage. Il se situait au milieu de nulle part, sans grande voies ni beaucoup d'hôtels aux alentours. Maintes fois menacé, le Grand Prix finit par jeter l'éponge fin 2008. La FFSA ne pouvait plus suivre le rythme à force d'enchaîner les déficits, ce malgré les succès de Renault. Il est vrai que les courses disputées sur le tracé nivernais furent inégales et généralement marquantes lorsque la pluie s'y invita.
La plus belle édition est incontestablement celle de 1999. Entre d'innombrables dépassements, la remontée de Mika Hakkinen, la performance de Rubens Barrichello sur sa Stewart et la victoire d'un opportuniste Heinz-Harald Frentzen, il y eut à boire et à manger. L'année suivante, David Coulthard y remporta la plus belle victoire de sa carrière en battant à lui seul les Ferrari. Non sans faire comprendre par un doigt à Schumacher qu'il n'allait pas baisser pavillon malgré sa défense caractéristique... L'Allemand, recordman des victoires en ces lieux (il s'y imposa une fois sur deux en moyenne !) fit sensation avec une victoire acquise par quatre arrêts aux stands en 2004. On se souviendra aussi de Fernando Alonso qui rendit hommage à Michelin en 2005 après la débandade d'Indianapolis.
Felipe Massa reste le dernier vainqueur en 2008 après que Kimi Räikkönen ait ralenti suite à un échappement cassé.
Et maintenant ?
Aujourd'hui, Magny-Cours a corrigé quelques uns de ses handicaps et le Circuit Paul Ricard sert à nouveau de piste de course. Les deux sont titulaires du "grade 1" selon les critères FIA, les rendant donc éligibles à accueillir un Grand Prix sans grandes modifications supplémentaires. C'est en 2018 que la France termina sa dizaine d'année sans Grand Prix...