Certains pilotes ont des liens privilégiés avec certaines pistes. A plus forte raison quand ce sont des circuits situés sur leurs terres. Si pour quelques uns, ce fut plutôt l'amour vache, comme Rubens Barrichello avec Interlagos, pour d'autres, leur légende s'est écrite en grande partie à domicile. C'est le cas de Nigel Mansell.
De la sueur, du sang et des larmes
Le britannique, on le sait, n'a jamais été le plus intelligent des pilotes en piste, ni le plus fin techniquement. Par contre, pour ce qui est de la prise de risque, de la bravoure, de l'audace, Mansell n'avait peut-être que Senna comme rival dans ce domaine. Sa ténacité lui a valu un grand respect de la part des fans de F1, y compris les Italiens qui lui ont laissé lors de son passage chez Ferrari ce surnom qui lui va si bien, "Il Leone" : le Lion.
Et si Mansell a accompli de grandes courses sur d'autres terrains, tels que le Hungaroring où il l'emporta en 1989 après être parti 12ème, ou le circuit Hermanos Rogriguez avec son dépassement inouï sur Berger à l'extérieur du dernier virage en 1990, c'est bien à Silverstone et (plus discrètement) à Brands Hatch que Mansell a particulièrement brillé.
Pourtant, l'histoire avait mal commencée, à l'image de sa carrière d'ailleurs car en 1981, Mansell ne put même pas se qualifier pour sa première course à Silverstone. En effet, Lotus avait engagé sa fameuse Lotus 88 à "double châssis" que la FISA (Fédération Internationale du Sport Automobile) essayait par tous les moyens d'interdire.
Le temps de passer à une Lotus dans les normes, il était trop tard pour faire un bon chrono et Mansell dut suivre la course en spectateur. Il ne fut pas plus heureux l'année suivante à Brands Hatch (le Grand Prix de Grande-Bretagne alternait alors entre ses deux principaux tracés) puisqu'il renonça, insuffisamment remis d'une blessure au poignet contractée lors d'un accident plus tôt dans la saison.
Puis vint l’édition 1983 durant laquelle Mansell laissa entrevoir les premiers signes d'un potentiel jusque là sous-estimé. Après plusieurs courses désastreuses sur une vieille Lotus 92 à moteur Ford, il profita en course du nouveau modèle 94T à moteur Renault turbo pour conduire "comme un possédé" pour reprendre ses termes et remonter de la dix-huitième à la quatrième place. Une belle performance confirmée quelques mois plus tard pour le Grand Prix d'Europe à Brands Hatch où il monta sur la troisième marche du podium.
Hélas pour lui, des soucis de boîte de vitesses puis d'embrayage l'empêchèrent de briller en 1984 et 1985. Cependant sa prestation cette année-là fut un exploit passé sous silence, étant donné que Mansell avait subi un sévère accident lors du Grand Prix de France quinze jours plus tôt, et qu'il avait manqué de peu d'y rester à l'entendre.
Quinze jours après, il reprit le volant encore secoué, au grand étonnement de son équipier Keke Rosberg qui n'imaginait même pas qu'il puisse se qualifier. Mais courir à domicile donnait une motivation supplémentaire au Lion qui avoua en 2009 à F1 Racing que "si la course suivante n'avait pas été Silverstone, je ne l'aurais pas courue, je n'aurais même pas essayé". Un témoignage édifiant de l’état d'esprit de Mansell.
L'audace de la moustache
Bien que ce ne fût pas pour le Grand Prix de Grande-Bretagne, c'est bien à domicile que les efforts de Mansell furent récompensés puisqu'il remporta sa première course à Brands Hatch pour le Grand Prix d'Europe une nouvelle fois. Mais seuls les spectateurs locaux y auront accordé de l'importance vu que derrière, Alain Prost avait remporté son premier titre mondial... Néanmoins, la machine Mansell à domicile était lancée et elle allait avoir du mal à s'arrêter.
En 1986, pour sa dernière édition à Brands Hatch, le Grand Prix de Grande-Bretagne fut le théâtre d'un carambolage au départ qui mit fin à la carrière de Jacques Laffite. Une collision en chaîne provoquée indirectement par... Mansell, au ralenti juste après le départ à cause d'une boîte de vitesses bloquée.
Devant sauter dans le mulet à peine rodé et réglé pour son équipier, l'anglais ne s'en laissa pas compter. Il profita d'un rapport manqué par Piquet pour le passer, et résista tout le reste de la course à ses attaques pour gagner son premier « vrai » Grand Prix à domicile.
Si Mansell considère encore aujourd'hui cette prestation comme sa meilleure course, sa résistance face au Brésilien, N°1 théorique de l’équipe, fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres dans l’équipe de Frank Williams, qui ne cachait plus son attachement envers Mansell, là où d'autres membres de l’équipe semblaient préférer Piquet, à en croire le pilote anglais. Un conflit ouvert qui allait indirectement aider Alain Prost à conserver son titre au final.
Silverstone s'implanta pour de bon en 1987 pour une course qui a consacré l'un des plus beaux exploits de Mansell. Manquant la pole position une nouvelle fois, il fut par la suite retardé par un souci de roue le forçant à s'arrêter aux stands. Le héros national ne se laissa pas démonter comme toujours et se transcenda en tournant une à deux secondes plus vite que son équipier à voiture égale, pour finalement le doubler superbement à trois tours du but. Un véritable triomphe pour Mansell qui vit la foule envahir la piste de joie, déjà.
En 1988, Williams n’était plus au top avec le départ de Honda pour McLaren. La fiabilité comme la performance du moteur Judd laissait à désirer et la suspension active, encore en rodage, a apporté bien des soucis à ses pilotes. Sauf à Silverstone.
La pluie, la verve de Mansell et le retour temporaire à une suspension passive ont permis de combler ces handicaps, et l'anglais vola presque la vedette à Senna, comme souvent souverain dans ces conditions. Parti onzième, Mansell doubla un à un ses adversaires dans les projections d'eau, et finit deuxième sous les hourras de la foule. Une des rares éclaircies dans une saison à oublier.
Le rouge et le bleu
En fin de saison, Mansell signa chez Ferrari. Il reste par ailleurs le dernier pilote engagé par Enzo Ferrari avant sa disparition la même année. Après quatre saisons en bleu et blanc, Mansell se retrouvait en rouge, non sans avoir gagné d'emblée au Brésil. A Silverstone, il fut le seul rempart à une domination Mclaren mais une crevaison l'empêcha de défendre ses chances à la régulière. Il conserva malgré tout une deuxième place méritée, derrière Prost.
Douze mois plus tard, le français devint son équipier, et ne put que constater l'audace de son voisin de garage : Mansell passa Copse à fond en qualifications, chose que personne, Prost compris, ne sut reproduire. L'anglais décrocha enfin la pole devant son public mais en course, la boîte de vitesse semi-automatique de la Ferrari, encore fragile, lâcha son pilote une fois de plus, non sans avoir vu Prost le passer pour la tête.
De dépit après une première moitié de saison où il fut totalement effacé par le Professeur, et estimant qu'il n'a jamais pu jouer sa propre carte, Mansell annonça à la surprise générale sa retraite à la fin de l'année. Heureusement pour ses fans, cette déclaration ne fut pas suivie d'effets.
En effet, en 1991, le Lion était de retour chez Williams, où il domina le week-end intégralement : premier à chaque séance d'essais, en pole lors des deux séances de qualifications, en tête de bout en bout en course, et victoire ponctuée du meilleur tour en course. La totale tout simplement, non sans ramener Senna à son stand lors du tour d'honneur après la panne d'essence de ce dernier.
Puis vint 1992, pour ce qui resta son dernier Grand Prix de Grande-Bretagne. Mansell dominait la saison comme rarement, il était donc évident qu'il allait offrir aux spectateurs un one-man-show exemplaire. Ils ont été servis : Mansell signa la pole avec près de deux secondes d'avance sur Patrese et trois sur Senna !
Un exploit salué très... personnellement par Patrese : l'Italien vint après la séance tâter par derrière l'entrejambe de son équipier et lui précisa avant que Mansell ne veuille lui coller un poing dans la figure qu'il voulait juste vérifier qu'elles étaient bien plus grosses que les siennes !
La course fut à l'image de sa saison, non sans signer un meilleur tour là aussi deux secondes plus rapide juste pour les fans et l'emporta à domicile une quatrième et dernière fois, avec la foule envahissant la piste comme en 1987. Cette fois, Mansell dut leur préciser de ne rien détacher de la voiture, pour finalement trouver refuge dans une ambulance afin de revenir entier sur le podium...
L'anglais déchaînait les passions outre-Atlantique, et ceux-ci le gonflaient à bloc en retour. Il ne s'en est jamais caché : "C'est grâce à eux que j'ai été capable de faire certaines choses durant ces années. Et je leur ai rendu la pareille. Ils savaient que quand je serais de retour pour le Grand Prix, je seras prêt à me tuer pour eux"
Nul n'aura autant galvanisé le public britannique que Nigel Mansell. N'en déplaise à Lewis Hamilton et Jenson Button.