Durant les premières saisons, avec un calendrier fort réduit, le Grand Prix d'Italie était en mesure de décider de l'issue du championnat. Il le fit en 1950 et récidiva en 1956, durant une épreuve rentrée dans l'histoire principalement pour un geste chevaleresque. Lequel cache une course riche en rebondissements et un autre comportement, celui-ci plus proche des standards actuels !

Après quatre saisons dénuées de suspens car dominées par Ferrari puis Mercedes, la Formule 1 eut à nouveau droit en 1956 à une lutte plus serrée pour le titre mondial. Ceci justement grâce au retrait du constructeur allemand suite au drame des 24 Heures du Mans 1955.
On aurait pu penser que Lancia en profiterait, la marque s'étant elle aussi lancée en 1954. Hélas sa D50 pourtant novatrice (avec des pontons latéraux préfigurant les formes des F1 à venir) était trop pointue, d'où le fameux plongeon d'Alberto Ascari à Monaco. Les problèmes financiers suivirent et Lancia vendit ses actifs à.. Ferrari, qui récupéra la D50 !

On parlait ainsi de la « Ferrari-Lancia » cette année-là, laquelle fit face à Maserati et sa 250F sans cesse améliorée. Et pour couronner le tout, on retrouvait l'opposition tant attendue entre les anciens équipiers de Mercedes, Juan-Manuel Fangio et Stirling Moss. Le vétéran chevaucha le cheval cabré pour la première fois là où le jeune espoir se saisit du trident pour le planter sur la plus haute marche du podium. Le tout avec, entre autres, le jeune espoir Peter Collins et le français Jean Behra en épouvantails dans chacun des deux camps.

Ceux-ci devaient surtout s'attendre à être relayés par leurs leaders respectifs. En effet, à l'époque, il était possible en cas d'abandon de prendre la suite d'un équipier, récupérant sa position mais divisant les points récoltés par deux en cas d'arrivée dans le Top 5 (le sixième n'étant pas encore concerné). Ce qui eut une certaine importance en 1956.

Un anneau pour les gouverner tous

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Hélas pour Moss, sa Maserati pêcha souvent par manque de fiabilité. Et quand bien même il prit souvent le relais d'un équipier pour sauver l'honneur, il finit le plus souvent derrière Fangio. Le Maestro, cela étant, usa lui aussi de ce point de règlement, reprochant par la suite à Enzo Ferrari que ses monoplaces ne soient pas assez bien préparées.
Il savait donc qu'il ne devait pas prendre trop de risques en arrivant à Monza, où l'anneau de vitesse pouvait être meurtrier pour les pneus et suspensions. Autrement dit, le partage de monoplaces allait encore une fois jouer un grand rôle.

Fangio pouvait cela dit rouler l'esprit relativement libre en Italie. Grâce à trois victoires et deux sans partage de volant (donc de points), il avait tout simplement éliminé Moss de la course au titre ! Avec 30 points contre 19 et une victoire valant huit points (neuf avec un meilleur tour), il n'y avait plus match.
Seul Collins pouvait encore rêver du sacre et encore, avec une chance mathématique au vu de ses huit points de retard. Behra étant lui aussi exclu par la grâce d'une autre règle, celle des meilleurs résultats retenus, cinq sur huit ici. Qui a dit que la F1 d'antan était plus simple ?

Les enjeux étaient donc les suivants : Fangio allait-il tenir la distance et est-ce que Collins allait jouer sa carte ? A cela devait s'ajouter un autre paramètre : l'ambition des autres jeunes pilotes Ferrari. Luigi Musso et Eugenio Castellotti comptaient bien briller devant leurs compatriotes. Quitte à faire passer leurs intérêts en premier.

Mauvaise direction

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Ainsi, alors que Fangio avait réalisé la pole position, ce sont ces deux derniers qui prirent la tête, cherchant à creuser d'emblée un écart avec leurs poursuivants. Collins choisit lui d'adopter un rythme moins soutenu, après avoir interrogé Fangio depuis son cockpit. Avec raison car Musso dut changer de gommes après quelques tours seulement !
Castellotti et le comte Alfonso de Portago renoncèrent très vite également suite à une crevaison. Le banking de Monza avait déjà frappé. En attendant, Moss et Harry Schell (Vanwall) avaient repris les places des jeunes italiens, toujours sous le regard des deux prétendants au titre.

Pourtant, leur conduite plus souple ne fut pas suffisante. Collins s'arrêta assez tôt et finit par concéder un tour à Moss. Pire encore, Fangio vit sa direction le lâcher au tiers de l'épreuve ! Il n'avait plus son destin entre les mains... à moins qu'un de ses équipiers ne lui cède son volant afin de sauvegarder quelques points. Mais entre Collins jouant le titre et Musso la victoire à domicile, cette opportunité semblait plus contestable. Les deux pilotes revinrent au fil de l'épreuve sur le podium provisoire, Musso devant Collins. Non sans une brève averse à mi-course mais qui ne chamboula guère l'épreuve.

Ferrari de son côté fit son choix. Musso devait se sacrifier. L'appel du public fut le plus fort : Luigi ignora l'ordre lors de son dernier changement de pneus ! Fangio était alors livré à lui-même. Puis vint Collins, à qui aucune consigne n'a été donnée.
Sauf que Peter n'avait aucune fierté patriote et un profond respect pour son aîné. Considérant qu'à son jeune âge – 25 ans – d'autres opportunités de titre mondial s'offriraient à lui, il abandonna de son propre chef son baquet et le proposa à Fangio ! Collins venait de renoncer à la couronne et de l'offrir à son rival et équipier, purement et simplement. Un geste incroyable, même pour l'époque, et salué comme il se doit.

Victoire(s) à l'usure

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Fangio ne se fit pas prier et tenta d'accrocher le meilleur tour en course pour faire bonne mesure. Il lui échappa au profit de Moss après le ravitaillement de celui-ci ! A défaut d'avoir détruit ses gommes, le futur Champion sans couronne s'était retrouvé à sec à cinq tours de l'arrivée. Manquant d'élan, il parvint aux stands grâce à une poussée du local Luigi Piotti, pourtant sur une Maserati privée !
Musso était alors passé en tête. Le comeback de Moss après son ravitaillement lui offrit le meilleur tour en course.. et la victoire. Car Musso, contre toute logique, avait continué de taper dans sa mécanique. Résultat, la direction lâcha pour de bon à trois tours du but.

Moss remporta la course devant Fangio avec seulement cinq secondes d'avance. L'Argentin devenait quadruple champion du Monde tandis que l'anglais finit deuxième pour la seconde fois, Collins récupérant la médaille de bronze finale. La course fut si éprouvante que le troisième du Grand Prix était un invité surprise : Ron Flockhart sur Connaught-Alta ! Cette combinaison 100% britannique partait pourtant de la vingt-troisième position...
Ce fut le seul podium de ce constructeur souvent oublié qui a pourtant compté un certain Stirling Moss dans ses rangs, quoique brièvement. A côté, les vétérans Piero Taruffi, Luigi Villoresi et Robert Manzon tiraient leur révérence, en F1 du moins.

La génération maudite

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Luigi Musso fut sévèrement réprimandé par Enzo Ferrari après coup, ayant il est vrai bêtement perdu la victoire. Ironie du sort, sa seule victoire – obtenue plus tôt dans l'année en Argentine – reste un demi-succès puisque obtenu après un nouveau partage de volant, avec Fangio justement.
Lui comme Collins perdirent la vie en course en 1958. L'un en France, probablement emporté par sa fougue alors qu'il cherchait à suivre ses équipiers. L'autre en Allemagne après avoir triomphé à domicile à Silverstone.

Le premier n'a pas appris de ses erreurs, le second n'a pas été récompensé de son esprit chevaleresque.