Quand on parle des grandes performances sur piste humide, on retient surtout celles des plus grands. Rien d'anormal à ça au vu du talent des Senna et Schumacher sous la pluie. Sauf que d'autres pilotes, qui certes ne boxaient pas dans la même catégorie, ont également eu leur lot de moments forts entre les gouttes. Parfois en même temps que leurs glorieux rivaux.
Chuva, chuva ! (le retour)
Quand on pense à Donington en 1993, on se souvient surtout de la course de Senna et de son légendaire premier tour. Il convient juste de rappeler qu'un autre Brésilien alors méconnu pouvait le rejoindre sur le podium. En effet, un certain Rubens Barrichello devançait ni plus ni moins qu'Alain Prost sur sa modeste Jordan-Hart, avant qu'il n'arrive à court d'essence. Son premier tour était lui aussi exemplaire puisqu'il passa de douzième à quatrième en quatre kilomètres ! Depuis, Rubinho eut le temps de se rattraper en brillant régulièrement sous la pluie. A son paroxysme, il était très certainement le meilleur pilote dans ces conditions... après Schumacher.
Ainsi, tout le monde sait à quel point Schumacher s'est baladé à Monaco en 1997. Ce qui peut occulter de nos mémoires la performance tout aussi intéressante de Barrichello, deuxième sur une Stewart loin d'avoir atteint son niveau de performance vu en 1999. Une place obtenue au prix de quelques dépassements, presque un exploit en soi en Principauté.
Deux ans après, le Grand Prix de France 1999 consacra Heinz-Harald Frentzen et vit Mika Häkkinen remonter de la quatorzième à la deuxième place. Sauf que le troisième homme était Barrichello, celui qui a mené le plus grand nombre de tours ce jour-là, 24 heures après une pole obtenue grâce à un excellent timing. Ce qui fait écho à son premier meilleur chrono en qualifications à Spa en 1994... sous la pluie. Ce jour-là, il était devenu le plus jeune poleman de son sport.
Sueur, sang et larmes ?
Une fois chez Ferrari, Rubens n'a pas faibli. Sa première victoire (Hockenheim 2000) reste un de ses plus beaux exploits puisqu'il conserva les slicks en dépit d'une piste à moitié arrosée, surtout dans les derniers tours. Nous évoquions Schumacher à Sepang en 2001 mais son équipier ne fut pas moins rapide à effacer son handicap et assura le doublé.
Un an après (Silverstone 2002), c'est de dernier à deuxième que Barrichello remonta, après avoir calé sur la grille, même si une bonne partie du travail se fit sur sol sec. Il restait aussi le meilleur prétendant à la victoire à domicile en 2003, au cours d'une course apocalyptique. Sauf qu'il était écrit que Rubinho ne remporterait jamais la timbale devant les siens. Cette fois, c'était une simple panne d'essence qui brisa ses rêves.
Barrichello s'est davantage distingué à Silverstone. Pas étonnant que son dernier exploit personnel s'y déroula en 2008. Dans une course où presque tous les pilotes partirent à la faute ne serait-ce qu'une fois, il termina troisième grâce à un excellent timing pneumatique. L'expérience a parlé quand on sait que sa Honda ne valait même pas le Top 10. Déjà...
A fond à fond ?
Ce statut de « meilleur après Schumacher » s'appliquait tout aussi bien à Jean Alesi. Tout le monde s'attendait à une performance de choix de la part du français lorsque la pluie frappait et il a rarement déçu. Ce que l'on a tendance à oublier aujourd'hui, Alesi étant hélas plus facilement reconnaissable par le biais de sa marionnette des Guignols, ne rejetant que davantage ses belles performances dans l'ombre. Et elles sont nombreuses.
Certes, il resta à bonne distance de Schumacher à Barcelone en 1996 mais sa deuxième place restait fort convaincante avec seulement six pilotes qui virent le drapeau à damier. Idem pour son dernier podium à Spa 1998, autre épreuve mortelle pour les carrosseries, le tout avec une Sauber qui ne jouait pas le Top 3. Sauber avec laquelle il signa deux premières lignes humides en Autriche en 1998 et en France en 1999, pour ses dix ans de F1.
Suzuka 1994 ne fut pas moins dantesque : alors que Damon Hill se surpassait pour rester dans la course au titre, Alesi tenait tête à Nigel Mansell durant toute la course, sans aucun écart de conduite. La troisième place paraissait presque comme une trop faible récompense vu la pression imposée par Nigel. Idem en 1992 à Barcelone où ce même résultat était encore plus inespéré à cause d'une Ferrari hors du coup.
L'art de passer entre les gouttes
Le français s'est aussi fait une spécialité de chausser les pneus slicks en avance au moment où la piste s'assèche, si bien que certaines performances de choix en découlent. Parmi les meilleurs exemples, il domina une bonne partie du Grand Prix d'Europe 1995 avant de céder sur le fil à Schumacher, tandis que l'une des rares éclaircies dans la saison 2000 de Prost lui est due, avec une quatrième place provisoire en Belgique... avant l'inévitable abandon. Car oui, qui dit Alesi dit poisse monumentale, d'où un sacré nombre de points envolés. Si Monaco 1996 est célèbre pour la dernière victoire d'un français avec Olivier Panis, c'était Alesi qui menait avant une casse de suspension.
Cela étant, le plus bel exploit oublié d'Alesi reste probablement Suzuka 1995. Pénalisé pour départ anticipé, Alesi choisit, là encore, de chausser les slicks avant tout le monde. En dépit d'un 360° au dernier virage à cause d'un retardataire ignorant ses rétros, Jean rattrapa son handicap en doublant à peu près tout le monde avec une facilité déconcertante, en dépit des portions humides encore bien présentes. Sa maîtrise était évidente et même Schumacher se serait probablement incliné ce jour-là. Le différentiel de sa Ferrari choisit de rappeler Jeannot à la raison.
Pas né de la dernière pluie
Il est enfin logique en évoquant les "rainmasters" de parler de Jacky Ickx. L'un des premiers à avoir hérité de cette distinction. Si Senna et Schumacher bénéficient d'une plus grande exposition, il n'a aucunement à rougir de la comparaison. Avant de prendre pleinement conscience des risques de son sport, Jacky était plutôt un risque-tout qui n'hésitait pas à mettre les roues plus loin que la majorité.
Après des débuts remarqués et remarquables en 1967 (troisième temps absolu en qualifications sur la Nordschleiffe... avec une F2 !), Ickx profita de la fréquente apparition de la pluie en 1968 pour se mettre en valeur avec sa Ferrari. Le Grand Prix de France, hélas connu pour le décès de Jo Schlesser, célébra la première victoire du belge. Celui-ci avait anticipé la grosse averse et chaussé les pneus les plus sculptés dès le départ, contrairement à ses adversaires. Lesquels ne revirent leur rival qu'une fois le drapeau à damier abaissé.
Si les années 1969-1970 furent avares en eau, Jacky confirma son talent et s'imposa comme l'un des meilleurs du plateau. Hélas sa Ferrari allait perdre pied et il fallait des circonstances particulières pour vaincre.
Par circonstances, il faut comprendre « Nurburgring » et « pluie ». Ickx ne manqua donc pas l'occasion de survoler le Grand Prix des Pays-Bas 1971. Une course rendue chaotique par la présence continue de sable sur la piste, ce qui la rendit d'autant plus glissante. Ickx fut l'un des rares à ne pas fauter ce jour-là. Certes, il disposait des Firestone adéquats. Là où les Goodyear coulaient à pic, d'où un Jackie Stewart relégué à cinq tours ! Mais qui pouvait remettre en cause la maîtrise d'Ickx sous la pluie ? Question rhétorique.