Nigel Mansell est un pilote reconnu aussi bien pour ses plus grands exploits que ses plus belles casseroles. Spécialiste du grand écart entre la performance de génie et la bêtise absolue, le pilote moustachu le plus célèbre de son sport compte cependant quelques performances de choix passées au second plan.

Parmi celles-ci, sa victoire lors de l'ouverture de la saison 1989 n'est pas la moins intéressante bien que, dans ce cas présent, l'intérêt venait surtout de sa monoplace.

L'après "Commendatore"

1988 reste une année charnière dans l'histoire de Ferrari puisque le 14 août, la vie de son fondateur, Enzo Ferrari, s'acheva discrètement à Modène. Comme souvent, la Formule 1 sut manier l'ironie avec délectation lorsque, un mois plus tard, Gerhard Berger et Michele Alboreto signèrent un doublé à Monza, empêchant ainsi les McLaren-Honda d'Alain Prost et Ayrton Senna de s'approprier toutes les courses de cette saison.

Entre temps, "il Commendatore" avait décidé de remplacer Michele Alboreto, alors en perte de vitesse, par Nigel Mansell, désabusé par les contre-performances de sa modeste Williams-Judd. Il était donc le dernier pilote à avoir été recruté par le vieil homme, bien qu'il n'ait jamais pu le rencontrer pour cette occasion, Berger étant le dernier à avoir connu cet honneur. Autre décision d'Enzo avant de quitter les siens : laisser l'ingénieur John Barnard construire la prochaine Ferrari en Angleterre. Pas de doutes, les temps avaient changé...

© Ferrari

Le retour du roi V12

Du cerveau du bouillonnant britannique sortit une des plus célèbres Ferrari de la "F1 de papa" : la 639 à pontons hauts et bec de canard, lui conférant une allure reconnaissable entre toutes. Les turbos n'étant plus à l'ordre du jour, la Scuderia revint à ses premiers amours avec un douze cylindres en V (le premier depuis 1969) mais elle inclut surtout une innovation depuis longtemps étudiée mais enfin exploitée : la boîte de vitesses semi-automatique à sept vitesses.

Fini le levier poussant à lâcher le volant, le pilote n'avait qu'à presser les palettes placées à l'arrière de celui-ci pour passer d'un rapport à l'autre. Une évolution logique pour un système qui était appelé à se généraliser mais en attendant, Mansell et Berger devaient en essuyer les plâtres.

© Williams / LAT

Avec McLaren disposant d'un V10 Honda homogène et de son duo de pilotes atomique, on imaginait une nouvelle balade de l'équipe de Ron Dennis. Que nenni ! Dès le départ, la malédiction de Rio toucha Senna qui s'accrocha avec son futur équipier Berger. L'autrichien renonça et le brésilien perdit trois tours en réparations.

Cela laissait la voie libre aux deux Williams de Riccardo Patrese (parti en première ligne aux côtés de Senna) et Thierry Boutsen, Renault signant là un beau retour à la compétition après deux années de veille. Cependant, l'euphorie tourna court puisque Mansell dépassa les deux monoplaces au bout de quinze tours, Boutsen ayant rapidement renoncé.

Le dernier obstacle se nommait Alain Prost, spécialiste du Grand Prix du Brésil, qui, à la faveur des changements de pneus, a pris les devants, ceci jusqu'à ce qu'il se retrouve dépourvu d'embrayage. Ironie quand tu nous tiens : ne plus pouvoir utiliser une pédale qui n'est plus d'aucune utilité dans l'habitacle de son rival !

Mansell se retrouva donc en tête mais pour peu de temps pensait-on, au vu de la fiabilité.. délicate de sa 639. Sa boîte l'avait handicapé le vendredi comme le samedi, là où Berger enchaînait un moteur cassé et un alternateur hors-service. Ce rodage prit une allure tragi-comique lors du warm-up : alors que Berger s'empara de la voiture de réserve après la panne de sa voiture de course, le mulet fut immédiatement frappé d'une défaillance électronique, la même que pour Mansell...

© Minardi Team - Nigel Mansell - Pierluigi Martini / Brésil 1989

© Minardi Team - Nigel Mansell - Pierluigi Martini / Brésil 1989

C'est dans la boite !

Et pourtant, rien de tout cela en course puisqu'il n'eut qu'à changer de volant pour son deuxième arrêt ! Les deux Williams ne virent pas l'arrivée et Prost fut contraint de finir la course avec son train de pneus usagé car sans embrayage, il ne pouvait repartir d'un autre arrêt aux stands. Mansell avait donc la voie libre. Il remporta la course sans aucune alerte de la part de sa Ferrari. Prost assura une deuxième place méritoire au vu de l'état mécanique de sa McLaren.

Mauricio Gugelmin confirma les belles promesses de 1988 en montant sur son premier (et unique) podium avec sa March, tandis que le rookie Johnny Herbert impressionna son monde en finissant quatrième sur Benetton, ce alors qu'il ne pouvait pas marcher par ses propres moyens en dehors du cockpit, suite à son terrible accident à Brands Hatch en F3000 l'année passée. Néanmoins, Nigel connut un énième gag sur le podium : couvert d'ampoules aux mains, il se coupa avec son trophée ! Chassez le naturel...