L'année 1976 est le théâtre du duel passionnant et dramatique entre deux champions, Niki Lauda et James Hunt. Malheureusement pour les britanniques, à cause de Durex, aucune retransmission en direct ne fut possible.
Lorsque Durex est devenu sponsor en F1 de l'équipe Surtees en 1976, il y a eu un tollé de la part des diffuseurs qui ont estimé que cela allait à l'encontre de la morale. Cela incarnait l'image hédoniste de la F1 dans les années 1970 lorsque la publicité pour Penthouse ou encore le groupe pop suédois ABBA étaient également présents sur les voitures.
Durex fait "capoter" la F1
Alors que la saison 1976 démarrait en trombe pour la Scuderia Ferrari avec trois victoires en autant de Grands Prix, James Hunt commençait à ronger son frein avant qu'une première victoire ne vienne éclaircir (dans un premier temps) sa saison lors du quatrième rendez-vous en Espagne. Le britannique fut disqualifié pour aileron arrière non conforme et trop large, après un appel de cette décision, il l'a récupérera plus tard dans l'année. Mais c'est une autre histoire qui faisait parler dans les paddocks à Jarama...
John Surtees (Champion du Monde F1 1964) avait sa propre écurie, quelque peu désargentée, il accepta pour cette saison 1976 de signer avec la London Rubber Company, qui produisait les préservatifs Durex ! Ainsi, les logos allaient être exposés bien en évidence sur la Surtees TS19 lors du Grand Prix d'Espagne. "Big John" eut bien du mal à en assumer la présentation, mais qu'importe, la manne financière pour son écurie prenait le pas sur ses propres considérations.
Fumez, buvez et sortez couverts...
Il y a presque un demi-siècle en arrière, les considérations étaient tout autre comparés à nos sujets sociétaux contemporains. La morale et la sensibilité des uns étaient bien différents de nos préoccupations d'aujourd'hui (une logique en soi). La F1 avait déjà réussi à faire sa place à la TV et les sponsors qui y étaient affichés faisaient l'objet d'une attention particulière car peu nombreux dans d'autres événements. Il fallut attendre 1983 pour voir les premiers maillots de foot arborant les logos des sponsors.
Alors, quand l'époque des commanditaires en F1 étaient des huiles moteurs, des pétroliers, des manufacturiers de pneus puis rejoints par les spiritueux et les cigarettiers, pourquoi ne pas y joindre l'industrie du sexe ? Erreur, le puritanisme dictait déjà ses codes et pour la BBC, il était hors de question d'afficher un tel logo à l'écran (quand tous les autres domaines furent adoubés) pour un divertissement qui s'adressait aux familles.
Si le malaise était palpable dans les paddocks en Espagne début mai, ce n'était pourtant pas une première puisque à Brands Hatch pour la course hors-championnat (Race of Champions) en mars, la monoplace Surtees arborait déjà ce logo, ce qui allait provoquer le départ de la BBC du meeting sans en retransmettre l'événement à la TV.
A l'époque, toute la saison n'était pas retransmise au Royaume-Uni et la BBC misait sur les meilleurs Grands Prix de la saison, à savoir ceux de Grande-Bretagne, Monaco, Allemagne, Italie et d'autres qui pouvaient capter la meilleure audience. C'est le célèbre journaliste (la voix de la F1) Murray Walker qui évoque dans sa biographie, comment la BBC a fait ses bagages à Brands Hatch en mars 1976 et n'a pas retransmis la F1 de toute la saison.
Tu veux ou tu veux pas ? Si tu veux pas, tant pis...
"En ce qui concerne la BBC, ce logo Durex était totalement inacceptable pour un divertissement qui se voulait familial" rappelle Murray Walker. "Je suis arrivé à Brands Hatch pour être accueilli par le producteur Ricky Tilling quand il m'interpella avec ces mots-là : "Salut Murray, nous saurons avant 11h00 si nous allons être à l'antenne ou pas." "De quoi tu parles, Ricky ?" Lui ai-je répondu. "C'est Durex, nous n'allons pas retransmettre la course à moins que Surtees accepte d'enlever ses logos de ses voitures." Ils ne l'ont pas fait, alors la BBC a remballé ses caméras et ils sont partis."
John Surtees (seul pilote Champion du Monde à moto et en monoplace) avait créé sa structure mais voguait dans les limbes des classements, la faute à un budget toujours trop chiche. Alors quand la London Rubber Company a proposé une jolie somme à Surtees, ce dernier ne pouvait refuser, cela a donné un second souffle à l'écurie.
"Quand j'ai accepté l'offre de Durex, je leur ai dit que nous devions prendre le temps de nous asseoir autour d'une table pour faire les choses sainement et de façon présentable. Je savais que cela provoquerait certaines réactions, mais le fait est qu'il n'y avait rien d'anormal dans notre partenariat, nous n'enfreignions aucune règle" déclara John Surtees.
Pour Jonathan Martin, qui était producteur de l'émission Sportsnight de la BBC, cette affaire avait provoqué une vague de contestations au niveau de la direction de la chaîne, et également chez ITV qui diffusait aussi occasionnellement quelques courses de F1.
"Les Grands Prix avaient une place spéciale à la TV, mais quand ce sponsor est apparu sur la carrosserie de cette monoplace, nous aurions pu provoquer une apoplexie chez certaines personnes" déclarait Jonathan Martin.
Ironie de l'histoire lorsqu'on sait que cette saison 1976 était entièrement focalisée sur le duel entre Niki Lauda et James Hunt. Ce dernier, playboy des paddocks, ne se cachait jamais pour courir les jupons et aurait collectionné près de 2 500 conquêtes durant sa carrière en F1. Mais dans les années 70, ne faisait-on pas l'amour sans protection ?
Ainsi, la BBC a bien mis à exécution ses menaces et n'a retransmis aucune course durant la saison, les seules images que les britanniques eurent de leur Grand Prix national était un petit reportage retransmis dans l'émission World of Sport sur ITV une semaine après l'événement.
Faisons l'amour... pas la guerre !
Le duel et la dramaturgie de toute la saison 1976 a permis d'ériger la stature et la rivalité de deux pilotes mais surtout de captiver des fans acquis à leur cause, mais plus encore à la F1. La discipline qui a décroché ses lettres de noblesse dans les années 70 et dont la TV a bien aidé au phénomène, la BBC ne pouvait plus fermer les yeux.
"La bataille de Hunt-Lauda a captivé l'imagination du public", se souvient Jonathan Martin, alors devenu chef des sports à la BBC. "Surtout lors de la dernière course au Japon, la direction a très rapidement abandonné sa position. J'étais en première ligne pour dire :"Allez, nous devons le faire", mais j'ai été aidé en cela par le fait que ITV commençait à penser de la même manière."
ITV avait déjà retransmis les meilleurs moments de l'avant-dernière course aux USA (Watkins Glen) et les deux diffuseurs avaient prévus de retransmettre les temps forts du dernier Grand Prix du Japon, qui a sacré James Hunt sous les pluies torrentielles alors que Niki Lauda renonça, jugeant les conditions trop dangereuses. Les britanniques ont enfin pu assister à l'affrontement entre Hunt et Lauda.
Plus tard, John Surtees confia son ressenti concernant les décisions qui avaient été prises à l'époque. "Il s'agissait purement et simplement de la décision de la BBC. Du point de vue du sport, j'étais très mécontent. Il était très important dans le sport de pouvoir compter sur une bonne plateforme pour que l'on continue à nous soutenir. Cela ne m'a pas fait plaisir que la BBC prenne cette position. Je pensais que c'était mal venu d'autant que de nombreux gouvernements plaidaient aussi dans la promotion de ces produits (les préservatifs)."
Jonathan Martin a poussé la BBC à diffuser l'intégralité de la saison de F1 1978 avec comme argument l'enthousiasme qu'avait suscité la bataille entre Hunt et Lauda. D'autres pages allaient s'écrire avec des sponsors toujours plus loufoques, moins enclins à la polémique, sinon à leur authenticité d'existence.