En 1986, la F1 faisait tomber le Rideau de Fer et organisait sa première course en Hongrie sur le Hongaroring. Mais le plan initial initial de Bernie Ecclestone était un Grand Prix de Russie dès 1983.
La Formule 1 est un championnat de constructeurs gouverné par des intérêts supérieurs qui obéissent à des enjeux dépassant le cadre sportif. La géopolitique a toujours été un vecteur dans le grand circuit commercial des enjeux de la F1. Nous l’avons vu au milieu des années 80, lorsque les monoplaces ont foulé la Hongrie, le revers du Rideau de Fer, en abattant les barrières de la Guerre Froide. Cela allait annoncer l'arrivée (ou retour) des pays à l'est de l'Europe avec l'Autriche et la Russie dès 2014, puis l'Azerbaïdjan en 2016.
Un Grand Prix de Russie signé dans la douleur !
Des JO en demi-teinte, un Grand Prix à venir ?
Après les JO de 1980, malheureusement ratés en raison du tollé créé par l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS, le bloc de l'Est souhaite redorer son blason en accueillant des évènements sportifs à forte portée médiatique. Pendant l'hiver 1981, Bernie Ecclestone se rend sur place pour négocier l'organisation du premier Grand Prix de F1 en Europe de l'Est.
En 1979, en plein cœur de la Guerre Froide, l'URSS décide d'envahir l'Afghanistan, à la suite de montées de mouvements pro-américains radicaux dans le pays. Les USA condamnent alors fermement cette invasion, et menacent de boycotter les JO russes de 1980, qui devaient permettre au plus grand pays du monde d'afficher sa puissance et sa richesse sur toutes les télévisions.
Influencés par les États-Unis et également hostiles au bloc communiste, ou pays musulmans considérant cette invasion comme une attaque proférée de manière plus globale contre l'Islam, une cinquantaine de pays membres ne se déplaceront pas pour ces Jeux Olympiques.
Malgré la tournure politique de l'évènement, l'organisation de ces Jeux laissa les médias occidents dépêchés sur place sans voix. Un homme du nom de Bernie Ecclestone, alors directeur de la FOTA, vit également dans cet évènement une tentative de l'URSS d'estomper son image de bloc totalitaire. En tant qu'homme d'affaires expérimenté, Bernie Ecclestone sauta alors sur l'occasion pour proposer aux autorités soviétiques de faire débarquer la caravane F1 en plein cœur de l'Empire Rouge, à Moscou.
Des négociations compliquées
Après avoir accueilli un poignée de courses dans les années 1910, l'URSS pouvait donc avoir à nouveau une course de renommée internationale avec la F1. Pour ces discussions, le magnat de la F1 s'était rapproché de Léonid Brejnev, haut dignitaire communiste et ami proche de Jean-Marie Balestre (président de la FISA). Malgré les différents entre Ecclestone et Balestre, Léonid Brejnev semblait être la seule figure politique russe intéressée par la F1, et donc le seul interlocuteur possible pour mener à bien ce projet.
Bernie Ecclestone voulait abattre toutes ses cartes en avançant les retombées financières énormes qui pourraient être liées à un tel évènement, notamment grâce à l'arrivée de centaines de milliers de fans. Il était même prêt à mettre un de ses pilotes Brabham de côté pour la course, afin de proposer un volant à un pilote local. Bernie Ecclestone, alors sûr de ses arguments, commençait déjà à imaginer des tracés possibles dans la capitale russe, et le Grand Prix apparut même dans les documents de présaison 1983 sous le nom de "Grand Prix de l'Union Soviétique".
Et dans une lettre datant de juin 1982 à l'attention de Léonid Brejnev, Bernie Ecclestone demande un entretien formel et vante les mérites d'accueillir un Grand Prix sur le sol russe en mettant en avant l'aura de la F1 au même titre que les Olympiades. Il insiste sur la retransmission TV des Grands Prix dans plus de 40 pays avec près de 300 millions de téléspectateurs en direct et les quelques autres 400 millions de vues faites dans les reportages ou rediffusions des courses.
Arguant que la F1 dispose des meilleures technologies et génère une belle économie, il joue aussi la corde sensible en évoquant les États-Unis qui ont 2 Grands Prix urbains (Long Beach et Detroit). Il met en avant l'événement d'un Grand Prix qui reviendra toutes les années au même endroit et le fait qu'ils traitent avec des personnes indépendantes impliquées dans le sport et non dans la politique (alors que le choix même d'un pays ou une région est déjà un choix... politique).
En juin 1982, Bernie Ecclestone se rendit alors dans la capitale russe, avec la ferme intention de convaincre les autorités locales. Il avait pour but ultime de rencontrer Léonid Brejnev, alors plus haut dirigeant de l'URSS, qui, avec sa collection automobile comprenant une centaine de véhicules, ne resterait sûrement pas insensible aux avances du magnat de la F1.
Cependant, les autorités communistes, probablement peu impressionnées par l'image bling-bling et capitaliste que véhiculait la Formule 1 à cette époque, communiquèrent leur refus à l'homme d'affaires anglais.
Certains expliquent également la réticence des autorités soviétiques à organiser un tel évènement sportif à l'Est du Rideau de Fer par le fait qu'aucun pilote ou constructeur local n'était en mesure de se battre pour la victoire, et donc que le Grand Prix n'aurait pas été utile pour la propagande du parti. Pire, toute personnalité locale se serait sûrement faite humilier par les as du volant occidentaux. Le décès de Leonid Brejnev en novembre 1982 n'arrangera pas les choses, ce qui mettra un terme aux discussions pour ce Grand Prix soviétique.
Derrière le Rideau de Fer !
Déçu, mais toujours décidé à organiser un Grand Prix de Formule 1 de l'autre côté du Rideau de Fer, Bernie Ecclestone arriva à ses fins en organisant le Grand Prix de Hongrie en 1986. La signature du Grand Prix de Hongrie est importante car cela a montré la puissance de la F1 en abattant les barrières de la Guerre Froide et le clivage entre les mondes capitalistes et socialistes.
L'année 1985 voyait la dernière édition de la polémique course d’Afrique du Sud (menaces de boycott, lobbying politique contre les écuries et pilotes) disputée au pays du racisme d’état et de l’Apartheid. Il sera remplacé par le Grand Prix du Mexique en octobre de la même année, mais aussi du trop dangereux Grand Prix des Pays-Bas sur l’antédiluvien circuit de Zandvoort.
Cela libéra donc une date sur la tournée européenne d’été, et l’occasion était trop belle pour la FOTA et la FIA de trouver un terrain d’entente pour garder au Championnat du Monde de F1 son statut planétaire malgré le départ du continent Africain… L’alternative était de passer le Rideau de Fer via son pays le moins fermé par ses liens historiques avec l’Autriche, et son rôle de plate-forme commerciale pour le Bloc de l’Est : La Hongrie.
En 1988, les autorités russes furent de nouveau approchées, cette fois par un conglomérat venu du Lichtenstein. Le contrat mis sur la table était alors très important, comprenant la construction d'un circuit en plein cœur de Moscou, un contrat pour organiser dix Grands Prix, ainsi que la mise en place de forces locales compétitives (entraînement de jeunes pilotes, création d'une équipe soviétique et développement de monoplaces locales).
Cependant, à nouveau dans des circonstances qui resteront toujours sombres, les négociations furent abandonnées pour des raisons de légalité du contrat, et après la montée de voix "écologiques" contre la tenue d'un tel évènement motorisé en plein cœur de la capitale.
Après plusieurs autres tentatives d'amener la F1 dans le plus grand pays du monde, comme cette autre tentative en 2002 par Bernie Ecclestone qui échouera à nouveau, le pays vit enfin la discipline arriver en 2014 à Sotchi sur le site du Parc des Jeux Olympiques d'hiver. Cette signature fut également entachée de quelques discussions politiques concernant l'invasion de la Crimée par la Russie quelques semaines auparavant.
"Je sais que vous avez rencontré Léonid Brejnev (premier secrétaire du PC soviétique) et discuté avec lui de la construction d'un circuit de F1 en Russie", avait déclaré Vladimir Poutine à M. Ecclestone, cité par l'agence Itar-Tass.
"Finalement, après des décennies de pourparlers, nous sommes parvenus à une décision sur cette question", a ajouté le Premier ministre russe, qui a félicité M. Ecclestone pour l'essor de la F1. "Grâce à vos efforts, la Formule 1 est devenue une compétition populaire dans le monde entier. J'espère que nous pourrons profiter de cela sur le sol russe", a ajouté M. Poutine.
Le Grand Prix de Russie... sur fond de conflit ukrainien !
Ainsi de 2014 à 2021, ce sont 8 éditions du Grand Prix de Russie qui seront organisées sur le Sochi Autodrom, toutes remportées par un pilote Mercedes. La première édition de 2014 fait suite aux JO d'hiver de Sotchi, et débute alors que la Russie entre en guerre contre l'Ukraine à propos de l'annexion de la Crimée. En février 2022, le conflit n'est toujours pas terminé et prend une nouvelle tournure lorsque la Russie décide d'envahir l'Ukraine.
Après des sanctions de la communauté internationale, la FIA a pris des dispositions en rompant son contrat avec la Russie en annulant les Grands Prix dès 2022, puis en demandant aux pilotes russes et biélorusses de signer un amendement, "un engagement spécifique et du respect des principes de paix et de neutralité politique de la FIA, jusqu'à nouvel ordre" ! Avec des sanctions financières internationales sur les banques et sociétés russes, certains pilotes perdront leur budget, comme Nikita Mazepin qui ne poursuivra pas l'aventure chez Haas F1 Team. D'autres, comme le patron-pilote Roman Rusinov, refusera de signer cet amendement et retira ses voitures (G-Drive Racing) du championnat FIA WEC et des 24 Heures du Mans.
L'année 2022 signe un tournant géopolitique vis-à-vis des pilotes russes et biélorusses dans le monde du sport automobile. Avec de nombreux pilotes, écuries et partenaires impliqués, comment ces derniers vont pouvoir poursuivre dans le monde des sports mécaniques ? Vont-ils à l'avenir trouver des sponsors de nationalité autres que russes (qui sont bannis) ? Les hautes instances dirigeantes des deux grandes fédérations (FIA et FIM) viennent de scinder la planète en deux !