Le Grand Prix du Canada 2023 a été remporté par Max Verstappen, égalant les 41 victoires d'Ayrton Senna. Mais avez-vous vu le trophée brandi par le Néerlandais ? On le doit à Lili-April Allaire-Caron, âgée de 21 ans et étudiante en design industriel.
Nous vous avions précédemment parlé du trophée du Grand Prix du Canada en 2019, créé par Jean-Philippe Caron, le père de Lili-April. Aujourd'hui, on peut donc parler de transmission au sein de la famille Caron, et Jean-Philippe nous dévoile tout de la conception de ce trophée.
Lili-April Allaire-Caron, 21 ans, a créé le trophée du GP du Canada
Si vous avez bien observé le podium du Grand Prix du Canada, un joli trophée s'est démarqué du reste des coupes un peu banales que propose l'autre commanditaire Heineken ou certains autres promoteurs de Grand Prix qui offrent des "vases ou assiettes" pas franchement du meilleur goût ou qui s'éloignent trop de l'aspect d'un trophée plus conventionnel ou très travaillé. Jean-Philippe Caron a déjà créé 4 trophées pour le Grand Prix du Canada, dont celui commandé par le sponsor en titre, Pirelli.
Entretien avec Jean-Philippe Caron, père de Lili-April
Comment a débuté cette nouvelle collaboration ? Tu as contacté Pirelli ou ce sont eux qui sont venus te solliciter ?
Effectivement, c'est Pirelli qui m'a contacté au mois de février dernier. J'ai reçu un mail où ils me disaient qu'ils avaient été très contents de collaborer avec moi précédemment et qu'ils souhaitaient à nouveau que je confectionne le trophée de 2023. Évidemment, je n'ai pas hésité longtemps pour accepter.
Pour eux, l'important était de faire toujours travailler un talent local, donc ça a beaucoup pesé dans leur choix. Et puis, ma fille, Lili-April, est étudiante en design industriel à l'Université de Montréal en deuxième année, et je me suis dit qu'après avoir conçu 4 trophées (avec 3 designs différents), j'ai pensé que ce serait une très belle opportunité pour ma fille de faire-valoir son talent.
Le Grand Prix du Canada a été absent deux ans à cause du Covid, tu penses que tu aurais pu être choisi à nouveau ?
C'est difficile à dire, car quand l'annonce de l'annulation est arrivée, nous n'avions pas encore été en contact, et je ne sais pas non plus si Pirelli aurait été le sponsor-titre de l'événement. Généralement quand je suis contacté, c'est toujours vers la fin février ou début mars, c'est à peu près à ce moment-là qu'on connait le commanditaire principal du Grand Prix.
Et puis en 2022, c'est Amazon Web Services qui était le sponsor-principal désigné. Et cette année, j'ai su que c'était Pirelli le sponsor-titre lorsqu'ils m'ont contacté. Je suis quand même fier qu'ils m'aient contacté, qu'ils aient pensé à moi. Je ne les ai pas du tout sollicité, hormis un courrier pour les vœux de fin d'année que je fais de toute façon à tous mes clients.
Comment t'est venu l'idée de donner le projet à ta fille ?
Quand Pirelli m'a demandé ce qu'ils attendaient du trophée, et qu'ils souhaitaient une abstraction, j'ai proposé à ma fille de le faire, et finalement ils ont choisi immédiatement la première itération qu'on leur a envoyé. C'est ma société retenue par Pirelli pour produire le trophée, ils ne savaient pas forcément que c'était ma fille, une étudiante en design, qui avait conçu ce trophée. Je leur ai dit par la suite, et évidemment ils étaient contents qu'il y ait cette forme de transmission. Et puis, ils ont adoré dès le début le premier design qu'on leur a envoyé, donc il n'y avait pas de problème de leur côté à savoir qui l'avait dessiné.
Et puis cela a permis à ma fille d'avoir les félicitations de beaucoup de personnes, car vraiment, on a eu énormément de compliments, y compris de notre Ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie, François-Philippe Champagne, qui a remis le trophée à Max Verstappen et qui a tenu absolument à rencontre ma fille pour la féliciter et connaître l'histoire derrière cette création. C'était vraiment un exceptionnel, elle a rencontré énormément de personnalités, des sportifs de haut-niveau, il y avait beaucoup de bienveillance autour de ce trophée.
Elle a eu la reconnaissance de personnes comme Farah Alibay, qui est une ingénieure en aérospatiale canadienne et qui pilote le rover sur Mars, elle a rencontré Lili, ma fille était très honorée. Et moi aussi, car c'était le jour de la Fête des Pères, c'était un incroyable moment à partager. Je ne connais pas tous les créateurs de trophées des anciens Grands Prix, mais peut-être que ma fille est l'une des plus jeunes à concevoir un trophée.
Quels sont les impératifs pour créer le trophée, quel est le cahier des charges de Pirelli ?
Il n'y a pas tant d'impératifs que ça au final dans le cahier des charges de la F1, en dehors de conserver l'esprit du projet demandé, il faut respecter les dimensions. Le trophée au total (socle compris) doit mesurer entre 55 et 65 cm de hauteur. Et bien sûr, on choisit toujours la hauteur la plus grande, c'est toujours ce que je préfère, ça permet de mieux les mettre en valeur et qu'ils soient bien visibles sur le podium. Les anciens aussi mesuraient 65 cm de hauteur, contrairement à ce qu'on pourrait croire, malgré le fait qu'ils soient plus volumineux, ils sont bien de taille identique que le nouveau.
Même moi, j'ai eu un doute, quand on a découpé les pièces, j'ai pensé qu'il était plus petit, et finalement, non, une fois assemblé c'était bien la bonne taille. Ensuite, il ne doit pas peser plus de 5 kg. Alors évidemment, on essaie de faire un trophée le plus spectaculaire possible, mais il ne faut pas dépasser les dimensions ni le poids.
En 2015, j'avais fait les trois dimensions recommandées par la F1, mais au final, celui pour la 3ème place qui ne mesurait que 35 cm de hauteur, je le trouvais un peu trop petit sur le podium, donc il n'y a que deux tailles désormais, le très grand pour le pilote vainqueur et le constructeur à 65 cm, et puis les deux autres pour la deuxième et troisième place qui mesurent 45 cm de hauteur.
De quoi est composé ce trophée ?
Il est composé à 100% d'aluminium canadien ! Du socle au trophée, il n'y a que de l'aluminium qui le compose. La base est évidée pour qu'elle soit plus légère, sinon, si le socle était plein, le trophée pèserait 5 fois le poids recommandé. Le haut du trophée c'est de l'aluminium anodisé, c'est un procédé chimique qui vient modifier la surface moléculaire de l'aluminium pour le rendre beaucoup plus dur, puis on ensuite vient le coloriser, Pirelli a suggéré le doré.
Les écritures sur le socle noir, c'est fait par un procédé de gravure au jet de sable. On enlève une infime couche d'environ 4µ d'épaisseur et qui laisse donc entrevoir la couleur d'origine de l'aluminium. L'ensemble du trophée est composé à plus de 60% d'aluminium recyclé. Les éléments qui composent ce trophée, les différentes parties ont été usinées grâce à la technologie Haas Automation, ce qui fait que Haas est aussi un peu présent sur le podium en quelque sorte... (rires !!!).
Ce trophée donne un joli rendu une fois en main par le pilote
Merci beaucoup, mais comme toujours, le dessin du trophée a été imaginé pour qu'il puisse exprimer quelque chose quel que soit l'angle duquel on le voit. Que ce soit de face ou de profil, il faut que le trophée puisse exprimer quelque chose. Et puis évidemment, une fois que les pilotes les prennent en mains, les photographes parviennent à capter des moments incroyables, notamment comme celle du visage de Max Verstappen à travers le trophée. On est heureux que nos trophées puissent être mis en valeur comme ça, grâce aux photos.
Ta fille avait-elle une certaine pression de concevoir quelque chose de différent de tes créations ?
Ma fille n'a pas un tempérament à se mettre la pression, elle a simplement suivi son processus créatif. La veille, elle a dessiné plusieurs lignes qui évoquaient une F1, mais sans vraiment trouver le déclic. Je lui ai dit d'y réfléchir une nuit et de continuer plus tard sa recherche de design, et puis elle a pensé à une forme qui rappelle l'aérodynamisme d'une F1.
Dans un certain sens, si on couche le trophée et qu'on lui met 4 roues, on pourrait y voir une monoplace. Elle a pris comme point de repère le Halo, elle a travaillé dessus, en étirant ses formes, pour exprimer un sentiment de vitesse, d'aérodynamisme, d'élévation. Et après quelques sketchs, on en a discuté ensemble, elle a choisi une forme, je lui ai confirmé que j'aurai aussi choisi celui-là également, on avait donc notre idée définitive.
Y-a-il eu des réactions de personnes qui s'impatientaient de voir le nouveau trophée de cette année ?
Oui, c'est incroyable, on a eu beaucoup de réactions en ce sens, d'autant plus que Pirelli nous avait demandé un embargo jusqu'au podium, nous n'avons pas pu le dévoiler avant. C'était complètement différent de 2019 où on avait fait une tournée médiatique avant le Grand Prix, ou on avait pu t'accorder un entretien également.
Mais cette année malheureusement je ne pouvais pas, donc certaines personnes nous ont posé beaucoup de questions au sujet du trophée. Liberty Media voulait absolument conserver un peu de mystère pour ce trophée, et ils nous ont clairement dit qu'ils recherchaient un effet de surprise au moment du podium.
Combien de travail aura-t-il fallu pour ce trophée ? Comment a-t-il été conçu, avec quel support ?
Ma fille a fait des sketchs à main levée, plusieurs, il y a eu plusieurs versions de ses idées, elle a un peu regardé les formes dans tous les sens pour voir si ça avait toujours un sens. Affiner ses coups de crayon, ça n'a pas été ce qui lui a pris le plus de temps, et ce n'est pas le travail le plus complexe pour elle. Le lendemain, elle a décidé du meilleur profil de son interprétation du Halo, elle a retravaillé ça sur son iPad, puis une fois le dessin figé, j'ai envoyé ça à mes équipes pour modéliser les pièces en version 3D.
Ensuite, on a envoyé ça à Pirelli, heureusement ils ont aimé tout de suite la première proposition. Après cela, les équipes de Pirelli, ici au Canda, l'envoient à Milan en Italie qui valide et le renvoie à Liberty Media, au total un bon mois complet s'est écoulé avant que l'on reçoive la commande pour produire le trophée.
On passe à l'usinage des pièces, il y en a pour plusieurs journées entières, avant de passer à l'étape d'anodisation, puis à l'assemblage final. On découpe tous les profils dans une grande feuille d'aluminium qui mesure 120 cm x 240 cm, et puis c'est à l'aide d'une fraiseuse d'usine à 5 axes, fabriquée par Haas Automation, propriétaire d'une écurie de F1 que l'on peaufine les profils qui s'imbriquent parfaitement (et à l'intérieur, il y a des petites pièces invisibles pour que cela fasse un puzzle sans jonction). A la sortie de l'usinage, les pièces sont polies à la main, puis on fabrique ensuite la base du trophée, avec la découpe du damier incrusté et on passe ensuite à l'anodisation et à l'assemblage. Au total, ces trophées prennent plus d'un mois à fabriquer.
Lewis Hamilton avait commandé une réplique du trophée pour lui en 2019, tu sais si les pilotes ont déjà demandé le leur cette année ?
C'est vrai que tous les trophées que j'ai réalisé, c'est Lewis Hamilton qui s'est imposé, et à chaque fois, j'ai eu un appel après le Grand Prix pour refaire un exemplaire supplémentaire car Lewis Hamilton voulait posséder chez lui son trophée. Habituellement, les trophées des pilotes sont conservés par les écuries, si les pilotes veulent leur exemplaire, il faut en refaire un exemplaire. Pour cette année, c'est encore trop tôt, les équipes sont reparties en transfert vers l'Europe, mais peut-être que Red Bull m'appellera pour un exemplaire pour Verstappen.
C'est pas impossible, car en 2017 j'ai eu une demande de Red Bull Racing pour un exemplaire supplémentaire pour Daniel Ricciardo, Mercedes m'avait aussi demandé des trophées en plus pour Nico Rosberg et Valtteri Bottas et évidemment Lewis Hamilton à chaque fois qu'il gagne. En revanche, en 2019, pour les deuxième et troisième place de Vettel et Leclerc, Ferrari ne m'a pas commandé des exemplaires en plus pour les pilotes.
Au final, comment ta fille a vécu cet accueil chaleureux de ce beau trophée ?
Après l'enthousiasme de Pirelli, Lili avait déjà un aperçu de l'accueil réservé à son travail et c'est évidemment une fierté et une grande joie d'avoir autant de compliments dès la première ébauche d'un travail. Et puis, sur place, lors du Grand Prix du Canada, à chacune des personnes à qui on l'a présenté en photo, il y a eu un effet "whaooo", c'était incroyable, il n'y avait pas de retenues dans leur réaction. Mais au final, je trouve presque le trophée de ma fille plus beau que les miens...
...alors, tu dis qu'il est plus beau, j'ai plutôt envie de dire qu'on peut aisément dater et classer ces trophées par ordre chronologique. Il y a comme une certaine forme de continuité dans le design qui abouti au plus moderne.
C'est très gentil, et oui, j'aime bien ton raisonnement. Il y a une logique quand on regarde l'ensemble des trophées que l'on a produit, c'est assez intéressant. On a commencé en 2015, il y a eu celui de 2016, 2017, 2019 et finalement celui de ma fille en 2023. Cela fait une belle évolution au final, j'aime bien l'idée.
Comment on transporte les trophées sur les Grands Prix ? Est-ce Pirelli qui fournit les boites ?
Les trophées sont transportés dans des boîtes que l'on a conçues nous-même, Pirelli ne fournit rien de tel. Ce sont des boîtes basiques, il n'y a pas de travail de design fait à leur sujet, je ne sais même pas si les écuries les conservent pour remettre les trophées dedans. Évidemment, il n'y a pas eu de demande de la part de Louis Vuitton, comme on a vu une année à Monaco, la marque a payé expressément pour cet objet marketing. Mais à Monaco, on comprend la démarche de Louis Vuitton, mais de mon côté je trouve que le trophée qui représente le circuit de la Principauté, perd un peu de son sens de profil, on ne voit plus qu'une seule ligne.
Quant à nos coffrets en bois, ils sont faits pour sécuriser les trophées lors des envois par avion. Ils sont spécialement étudiés avec des coussinets à l'intérieur pour protéger les trophées et absorber les chocs. Ils sont vissés et équipés de poignées pour mieux les manipuler. Et en cas de chute ou de mauvaise manipulation, le coffret est censé protéger les trophées afin d'éviter qu'ils soient endommagés.
Et pour finir, en dehors des trophées et autres objets de cérémonie que tu as pu concevoir avec ton entreprise, Protocole – trophées d’exception, quel serait le type de trophée que tu aimerais concevoir ?
J'ai déjà réalisé des médailles pour des championnats du monde et d'autres pour des championnats au Canada, mais idéalement, j'aimerai dessiner des médailles Olympiques ! Le souci, c'est que les Jeux Olympiques ne sont pas si souvent organisés dans ton pays natal, et j'imagine que si un artiste ou un artisan spécialisé dans la conception des trophées est retenu, ce soit quelqu'un résidant dans le pays hôte. Je ne me verrai pas concevoir une médaille Olympique pour un événement en dehors du Canada, ça n'aurait pas de sens.
Mais j'avais quand même envoyé des maquettes pour les derniers J.O. du Japon où ils avaient ouvert un concours pour les designers du monde entier, mais finalement ils se sont rendus compte que ce n'était pas si bien-vu de demander des médailles à quelqu'un en dehors du Japon.
Finalement, ça fait écho aux tous premiers travaux que j'ai effectués dans ma carrière de designer, c'était en 2005 lorsque j'ai dessiné les médailles du Championnat du Monde de Natation qui s'est déroulé à Montréal. Puis cette médaille a été élue plus belle médaille du sport canadien, et elle est exposée aujourd'hui au Musée de l'Olympisme en Suisse.
Mais au final, ce qui me plairait le plus, ce n'est pas de changer la forme d'un trophée qui est le symbole des vainqueurs d'une compétition, mais c'est plutôt créer le premier trophée d'un nouveau championnat. Comme au Canada, où la Ligue élite canadienne de basketball, qui a été créée en 2019, les organisateurs m'ont confié la création de leur trophée, et c'est l'un des plus complexes que j'ai réalisé, il est exceptionnel ! Ils m'ont confié ce projet et ça me touche beaucoup, j'en suis très fier.
Sinon, un autre rêve, et je suis très étonné que la F1 n'ait pas encore pensé à ça, c'est la création des répliques miniatures des trophées des Grands Prix. Certains sont vraiment exceptionnels et iconiques, et beaucoup plus travaillés que certaines coupes basiques ou certains vases, et je pense que des collectionneurs seraient ravis de posséder une miniature du trophée du vainqueur d'un Grand Prix. On fait des voitures, des mini-casques, alors pourquoi pas des trophées en réduction ?
Un grand merci à Jean-Philippe Caron de nous avoir donné de son temps et octroyé ce long entretien pour nous dévoiler les coulisses de la création d'un trophée, retranscris dans ces quelques lignes (plus d'une heure d'entretien). Et même s'il nous a sollicité pour cette interview, il a respecté jusqu'au bout l'embargo de Pirelli, car il nous a bien dit qu'il ne pouvait pas révéler les formes ou les images du trophée avant qu'il n'apparaisse sur le podium, on tient à le souligner, car certains professionnels sont moins respectueux des dates d'embargos !