Si Adrian Newey est connu pour avoir contribué entre autres aux succès de McLaren et Red Bull, il est facile d'oublier qu'en 2001, l'ingénieur a failli quitter l'équipe grise argentée pour rejoindre ce qui était alors l'ancêtre de Red Bull, à savoir Jaguar. Un transfert avorté qui eut des ramifications plus importantes qu'on pouvait l'envisager à l'époque.

En 2001, Adrian Newey était déjà reconnu comme un des meilleurs ingénieurs de l'histoire de son sport. Souvent surnommé le « Professeur Tournesol » de la Formule 1, Newey avait révélé les March/Leyton House, ramené Williams sur la voie du succès avant de faire de même avec McLaren. Naturellement, sa côte était au plus haut au moment d'affronter cette nouvelle saison, en dépit de la perte des titres mondiaux au profit de Ferrari et Michael Schumacher.

Départ avorté pour Adrian Newey

Hélas pour lui et son équipe, rien ne se passa comme prévu. Ferrari entama un cycle de domination qui enchanta autant qu'il traumatisa une génération de fans, là où McLaren connut une période plus contrastée, quand bien même on revit les Flèches d'Argent sur la plus haute marche. Les journaux se mirent à suspecter une panne d'inspiration chez Newey. Avait-il atteint son paroxysme ? S'était-il laissé aller ? La suite de son parcours chez Red Bull confirma qu'il n'en était rien. Mais dans cet intervalle, un ressort s'était cassé.

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"Ca s'en va et ça revient..."

Revenons en 2001, plus précisément après le Grand Prix de Monaco, où David Coulthard perdit sa splendide pole en calant au départ, pour ensuite piteusement buter derrière Enrique Bernoldi. Probablement le tournant de la saison, où DC laissa quelques plumes côté réputation. Au même moment, Mika Hakkinen annonçait à Ron Dennis son intention d'arrêter sa carrière. Une décision rendue publique des mois après à Monza. Celle-ci étant néanmoins somme toute attendue. En revanche, ce que Dennis et la F1 elle-même n'attendaient pas en arrivant à Montréal, c'est l'annonce du transfert d'Adrien Newey chez Jaguar !

En effet, l'ingénieur N°1 de son époque avait décidé de quitter l'équipe pour qui il travaillait depuis 1997 et rejoindre l'équipe officielle de Ford. Un choix qui n'était pas dû au hasard puisqu'on y trouvait à sa direction sportive Bobby Rahal. L'ancien pilote d'IndyCar devenu patron avait en effet collaboré avec Newey dans les années 80 et les deux avaient gardé de très bons liens d'amitié. Nul doute que les talents de l'ingénieur allaient amener la marque au félin dans la bonne direction, après des débuts particulièrement chaotiques. Une amitié patron-ingénieur, un nouveau défi et des moyens illimités, que demander de plus ?

Manque de chance pour Rahal, McLaren répliqua quelques minutes après le communiqué de Jaguar pour confirmer... le renouvellement du contrat de Newey pour trois nouvelles saisons ! Les deux équipes passèrent l'essentiel du week-end à se renvoyer la balle et prétendre que leur contrat était le seul valable. Au final, Jaguar et McLaren trouvèrent un accord à l'amiable sans passer par les tribunaux, via le traditionnel dédommagement. Entre ceci, le nouveau contrat moyennant une augmentation substantielle pour Newey, et l'autre chèque adressé à Sauber pour récupérer Kimi Raïkkönen, McLaren aura gaspillé beaucoup d'argent en 2001 !

Le tout alors que l'équipe était alors en plein déménagement pour une nouvelle usine. Une période de transition qui cachait donc de plus gros mouvements et certaines tensions. Celles qui, au final, aboutirent au départ de Newey pour Red Bull, ironiquement le successeur de Jaguar !

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Batailles d'égos

Au fil des années, Adrian Newey devint de plus en plus bavard sur les raisons de ce transfert. Et à la sortie de son autobiographie, il délivra sa version complète des faits. Déjà fatigué par une saison 1999 marquée par une lutte intense et certaines tensions politiques dispensables – notamment la polémique Ferrari en Malaisie – il commença à questionner sa motivation courant 2000.

C'est cette année que Ron Dennis lui annonça son intention de progressivement s'effacer pour laisser le leadership à Newey mais aussi son second Martin Whitmarsh. Sauf que Dennis ne donna aucune date précise quant à sa prise de recul. Ne voulant pas être dépendant de cette décision, Newey refusa ce plan. Et ainsi commença un jeu de domino comme seule la F1 en a le secret.

Lui-même courroucé, Dennis offrit en réponse un contrat au salaire bien plus réduit par rapport au premier accord passé en 1997. Piqué dans son orgueil – il avait après tout joué un rôle majeur dans le retour de McLaren au premier plan – c'est à ce moment que Newey négocia son départ chez Jaguar, principalement motivé à l'idée de collaborer avec son ami. Ceci et le salaire « deux fois et demie plus élevé » que le montant d'alors chez McLaren bien sûr !

C'était une erreur à plusieurs niveaux. Déjà, Newey n'anticipa pas le fait que Dennis allait tout faire pour que son directeur technique change d'avis. Il alla jusqu'à impliquer sa femme et celle de Newey pour que ses arguments aient le plus d'impact possible ! Il dénonça les luttes politiques d'alors chez Jaguar que Newey ignorait et décida de s'aligner sur le chiffre de Jaguar.

Le tout en lui promettant un investissement de l'équipe dans... la Coupe de l'America. Une discipline que Newey admirait pour la bataille homme-machine et toute la recherche consacrée, facteurs proches de la Formule 1. Et ainsi Newey signa un nouveau contrat de McLaren.

Heureusement pour lui, son amitié avec Bobby Rahal ne fut pas plus impactée que ça : l'Américain quitta Jaguar quelques mois après ! Il était de notoriété publique que lui et Niki Lauda se disputaient la tête de l'équipe. Le transfert avorté de Newey – en plus de performances toujours bien en deçà des objectifs – était le prétexte idéal pour renvoyer le manager moins d'un an après son arrivée fin 2000 ! A noter que Lauda paya à son tour les intrigues incessantes après la saison 2002. Pas sûr que Newey aurait pu exprimer toute sa créativité dans ces conditions.

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Culte de la paranoïa

Le problème, c'est qu'il eut le plus grand mal à le faire chez McLaren durant quelques temps. Déjà, la nouvelle usine « Paragon » était l'illustration la plus extrême de l'esprit maniaque de Ron Dennis. Gris immaculé, bureaux alignés au centimètre, épuration presque totale d'effets personnels et couloirs interminables, bref « un décor de cinéma à la George Orwell » dixit Newey.

L'ingénieur raconta même dans son livre qu'il préférait passer par l'extérieur et les garages pour accéder à son bureau, mais fut réprimandé par e-mail de ne pas respecter la procédure... ayant été repéré par les caméras de surveillance ! Une ambiance de travail idéale non ?

Mais surtout, Ron Dennis appliqua via son second Martin Whitmarsh une nouvelle organisation globale de travail des plus complexes, digne de la Maison qui rend fou des 12 Travaux d'Asterix. On y retrouvait des « créateurs de performances » et des « responsables de département ». Une façon déguisée de répartir autrement les compétences de chacun et de rendre Newey moins indispensable à l'équipe. C'est en tout cas ce qu'il comprit de ce changement.

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Une organisation qui fut principalement à l'origine du raté de la saison 2004. Ayant compris trop tard que le châssis de la MP4/18 mort-née de 2003 était défaillant à cause d'une forme trop extrême, Newey réclama une nouvelle construction. La majorité des « responsables de département » (parmi lesquels des noms connus tels que Pat Fry et Paddy Lowe) votèrent contre lui, préférant améliorer ce qui pouvait être sur ce châssis. Ce qui résulta en une première moitié de saison 2004 calamiteuse, jusqu'à ce que Newey obtienne gain de cause à mi-parcours.

Certes, Newey retrouva la flamme avec sa splendide MP4/20 en 2005. Reste qu'elle manqua aussi le titre mondial. Il avoua qu'à ce moment, la créativité ne lui venait plus naturellement mais devait davantage la forcer. A côté, Red Bull avait racheté Jaguar, disposait enfin d'une hiérarchie définie et aucune ingérence d'un constructeur. Le tout avec un David Coulthard issu de McLaren en leader charismatique, qui leur souffla le nom de Newey à la première occasion. Fin 2005, il quitta McLaren pour de bon, rejoignant l'équipe qui donne des ailes. La suite est connue.

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Rira bien qui rira le dernier ?

Un épilogue ironique pour la route ? Adrian Newey évoqua la cérémonie de remise des Prix du magazine Autosport fin 2005. McLaren remporta la distinction de voiture de l'année et Ron Dennis s'appropria la distinction. S'il mentionna Newey, il évoqua pêle-mêle sa volonté d'un boulot tranquille, son appât du gain et qu'il ne gagnerait jamais rien avec Red Bull.