La F1 n'a pas changé ses plans en fonction des tensions géopolitique, des considérations des Droits de l'Homme ou autres formes d'oppression et discrimination dans certains pays. Si certaines destinations aujourd'hui peuvent heurter la morale, le problème ne date pas d'hier...
En 1985, alors que la politique ségrégationniste de l'Apartheid était toujours en place en Afrique du Sud, de plus en plus de sanctions internationales étaient prises à l'encontre du pays, dont le boycott de l'ensemble des compétitions sportives. Cependant, Bernie Ecclestone mit de côté le politiquement correct et refusa d'annuler le Grand Prix polémique.
Afrique du Sud 1985, le politiquement incorrect
Un climat politique tendu
Au début des années 80, la politique ségrégationniste de l'Apartheid qui règne en Afrique du Sud depuis 1948 avait déjà attiré les foudres de la communauté internationale sur le pays depuis plusieurs années. De nombreuses sanctions économiques avaient été prises à l'encontre de l'Afrique du Sud pour la mettre sous pression, avec certains pays allant jusqu'à instaurer un embargo complet. Les équipes sportives locales avaient également été exclues de plusieurs compétitions internationales.
En 1985, le tollé général créé par les dernières tournées de l'équipe nationale de rugby, les Springboks, poussa les instances internationales à prendre de nouvelles sanctions à l'encontre du pays. Le 10 décembre de la même année, la Convention Internationale contre l'Apartheid (Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'Apartheid) dans les sports fut adoptée par l'assemblée générale des Nations Unies, visant tout simplement à exclure le pays de toutes compétitions internationales, et d'interdire la tenue de compétitions internationales dans le pays, tant que la politique ségrégationniste ne serait pas abolie.
Cependant, Bernie Ecclestone ne cédera pas face aux pressions et au politiquement correct, et confirmera l'organisation du Grand Prix d'Afrique du Sud. En effet, la non-tenue du Grand Prix aurait contraint la Formule 1 à rembourser une partie des contrats signés avec les télévisions et les sponsors, la saison comptant déjà une course en moins que prévu.
Des tentatives vaines d'annulation
La première personne à avoir le pouvoir d'annuler était Jean-Marie Balestre, alors à la tête de la FISA (Fédération Internationale du Sport Automobile), mais également de la FIA. Cependant, mis sous pression par l'homme d'affaires anglais (Bernie Ecclestone) et les pertes conséquentes qui découleraient d'une annulation, il ne put qu'annoncer qu'il n'était pas en "possession d'autorité lui permettant d'annuler le Grand Prix", et qu'il ne s'opposerait donc pas à sa tenue.
Le salut pouvait toujours venir des équipes. En effet, si leur nombre au départ de la course était trop faible, la course ne pourrait pas avoir lieu. Cependant, comme à leur habitude, elles ne purent se mettre d'accord. Ferrari, espérant toujours avoir ses chances pour le championnat constructeurs, ne put faire mieux que reposer la responsabilité sur les épaules de la concurrence.
En ce moment le Championnat du Monde semble se jouer entre McLaren et nous-même. Actuellement, ils mènent. Si McLaren décide de ne pas se rendre à Kyalami, nous n'irons pas non plus. Nous ne voudrions pas tirer profit de leur non participation.
Malgré la bonne intention du Commendatore, les deux équipes prirent bien sûr le départ de la course. Les deux seules équipes à ne pas honorer ce Grand Prix furent les deux équipes françaises Renault et Ligier. Toutes les deux étaient fortement dépendantes du gouvernement français alors dirigé par François Mitterrand, fortement opposé à envoyer des équipes nationales courir en Afrique du Sud.
Ayant pu arrêter les deux équipes nationales, le gouvernement français souhaitait en faire de même avec ses deux pilotes, Alain Prost, pilote chez McLaren, et Philippe Streiff, qui venait de signer un contrat avec Tyrell en remplaçant de feu Stefan Bellof (qui se tua le 1er septembre à Spa-Francorchamps).
Cependant, les deux pilotes ont expliqué que, malgré leurs convictions personnelles allant à l'encontre de la politique mise en place dans le pays, ils étaient liés contractuellement avec les équipes et ne pouvaient pas prendre une telle décision par eux même. Des situations semblables eurent lieu avec la Finlande (Keke Rosberg), la Suède (Stefan Johansson) et le Brésil (Nelson Piquet et Ayrton Senna), avec les mêmes résultats.
Une situation plus surprenante se déroula pour le pilote Alan Jones, roulant alors pour l'équipe Haas Lola. Après s'être qualifié en 18ème position sur la grille, il ne prit pas le départ de la course le lendemain à cause de problèmes de santé. Cependant, lors d'une interview donnée en 2017, il décrit un déroulé totalement différent des évènements.
Il expliqua alors que l'équipe avait été mise sous pression par son sponsor principal, Beatrice Foods, pour ne pas prendre le départ de la course. La direction de l'entreprise redoutait que ses employés, en grand partie issus de la communauté afro-américaine, ne se mettent en grève s'ils voyaient le nom de leur entreprise associé à l'Afrique du Sud.
L'idée de Bernie Ecclestone était alors simplement que le pilote fasse mine d'être malade, ce qui éviterait donc à la voiture de prendre le départ de la course. D'autres entreprises ont également enlevé leur sponsoring des voitures de la course comme Marlboro, alors sponsor principal des équipes McLaren ou Barclay pour le compte d'Arrows.
Un Grand Prix sans enjeu
Le Grand Prix d'Afrique du Sud 1985 (15e épreuve de la saison) n'avait aucun enjeu, le pilote Alain Prost ayant déjà été couronné lors de la course précédente. La grille de départ était alors constituée de 20 voitures, et menée par Nigel Mansell. Celui-ci confirma sa pole position en remportant la course, et l'écurie Williams Honda obtint un doublé grâce à la deuxième place de Keke Rosberg.
Sur le plan financier, le Grand Prix avait été fructueux, l'Afrique du Sud ayant alors voté une fiscalité très avantageuse pour la tenue d'évènements internationaux sur son territoire. Cependant, sur le plan politique, le Grand Prix fut un vrai fiasco.
Le monde du sport s'indigna alors de voir le déplacement d'un des sports les plus médiatisés en Afrique du Sud. De nombreuses chaînes notifièrent alors rapidement à la Formule 1 qu'elles ne diffuseraient plus de Grand Prix d'Afrique du Sud tant que le régime ségrégationniste y serait maintenu.
Dans le même temps, personne ne s'indigna des régimes totalitaires et des dictatures militaires de l'Argentine et du Brésil... Sans retombées financières, la course n'avait donc plus aucun intérêt et le magnat anglais annonça plus tard que ce Grand Prix serait suspendu jusqu'à nouvel ordre.
De son côté, le président de la FISA Jean-Marie Balestre n'avoua son tort qu'à demi-mot, et préférait s'en tenir à l'argument que la piste était trop petite et que les temps au tour allaient bientôt passer sous 60 secondes, la rendant impraticable pour le championnat. Après l'abolition de l'Apartheid en 1991, la Formule 1 se rendit à nouveau en Afrique en Sud à deux reprises en 1992 et 1993 avant que le promoteur local ne fasse faillite.