C'est dans The Players Tribune que Pierre Gasly s'est confié à cœur ouvert pour expliquer son environnement de travail au sein du Red Bull Bull Racing et la perte de son ami Anthoine Hubert.
Pierre Gasly s'exprime directement au lecteur, pour la première fois, dans une tribune sur deux sujets délicats (et pour cause) auxquels il avait fait abstraction jusqu'à présent dans les médias, le décès de son meilleur ami Anthoine Hubert, et son traitement au sein du Red Bull Racing.
Pierre Gasy se confie
De l'Autosport Academy où il termina troisième en 2011, son titre en Formule Renault Eurocup en 2013, celui de la GP2 Series en 2016, le Normand mettra enfin un pied en F1 en 2017. Une ascension qu'il partageait depuis ses années karting avec celui qui deviendra son meilleur ami, Anthoine Hubert.
Quand j'ai commencé en karting en 2005, il y a avait ce garçon au casque orange qui était très rapide. Anthoine Hubert était ce gars-là. Il était à peine plus jeune que moi, mais il disposait déjà de tout ce qu'un jeune garçon en karting avait besoin : la vitesse. Chaque fois que je voyais ce casque orange en piste, je savais que la course serait difficile.
Ce n'est qu'à l'âge de 13 ans que nous sommes devenus amis lorsque nous avons intégré la FFSA Academy au Mans. L'école exigeait que nous vivions sur le campus, c'était donc un engagement assez important pour un jeune garçon de quitter la maison pour poursuivre ses rêves. Mais c'était le sacrifice qu'il fallait faire, et me concernant, soit je fais les choses à 100%, soit je ne les fais pas.
Lorsque Pierre Gasly intégra l'Autosport Academy (aujourd'hui, FFSA Academy), il n'avait plus que son objectif ultime en tête : devenir pilote de Formule 1. Le même rêve qu'il partageait avec son ami Anthoine Hubert. L'un et l'autre se sont motivés mutuellement pour arriver à leur but ultime, leur passion les a rapprochés et leur complicité s'est transformée en amitié.
Nos doutes et nos croyances nous ont liés, nous savions tous les deux quel genre de sacrifices nous avions fait. Si je suis tout à fait honnête, les chances n'étaient pas vraiment en notre faveur. Nous avions du talent, nous avions la passion mais nous n'avions pas de gros soutiens financiers. Mais nos rêves ont fait de nous des amis, et notre amitié nous a donné la chance de nous améliorer.
Grand Prix de Belgique 2019
En arrivant au Grand Prix de Belgique 2019, Pierre Gasly vient d'être rétrogradé de chez Red Bull Racing vers Toro Rosso, son ancienne équipe. Un coup dur pour le français qui essayait par tous les moyens d'obtenir de meilleurs résultats et de mieux s'intégrer au sein de l'écurie-mère. Les conditions pour apprécier l'un de ses Grands Prix favoris n'étaient pas au mieux, mais ce n'était rien comparé au drame qui allait subvenir.
J'essaie toujours de prendre le temps de regarder le départ des courses de Formule 2 le samedi. J'adore quand les lumières s'éteignent. Et je m'assure toujours de garder un œil sur l'un de mes meilleurs amis, Anthoine Hubert.
Alors ce jour-là, alors que Jenny (NDLR : son assistante aux relations publiques) et moi revenions au garage, je lui ai demandé si nous pouvions attendre quelques minutes pour regarder les deux premiers tours de la course F2. Nous nous tenions sous une télévision, le cou tendu, regardant les voitures prendre le départ. Dans le deuxième tour, dès que la caméra a filmé ce qu'il restait de l'accident en milieu de piste, au sommet de l'Eau Rouge, je savais que c'était mauvais.
A cet endroit-là, les voitures sont aux alentours des 250 km/h, si quelque chose ne va pas à cette vitesse-là, ça finit assez mal. On ne savait pas qui était impliqué dans l'accident et nous avons dû filer au debriefing des qualifications. En marchant, j'ai vu le drapeau rouge, j'ai su que c'était donc sérieux. Lors du debriefing, j'ai essayé de me concentrer, mais mon esprit ne pouvait traiter aucune information. Je n'étais tout simplement pas là, puis on est venu nous dire que Anthoine Hubert et Juan Manuel Correa étaient impliqués.
Tout ce que ne voulait pas entendre Pierre Gasly, l'implication de son ami dans cet accident qui avait l'air très sérieux. Il n'avait pas pu se concentrer lors de ce debriefing, il tremblait, avait une respiration irrégulière, les mains moites et à la fin de l'entretien avec les ingénieurs, il n'avait qu'une seule chose en tête, allait prendre des nouvelles de son ami.
Dès la fin de notre débriefing, je me suis précipité dans la zone d'accueil pour voir mes parents et ma petite amie parce que je savais qu'ils auraient plus d'informations. Je me souviens être descendu les escaliers et les avoir tous vu pleurer. Je pouvais voir qu'ils étaient effondrés. Et j'ai compris ce que cela signifiait. Je savais que mon ami était parti.
Je n'étais pas préparé pour ça. Honnêtement, j'avais laissé mon esprit vagabonder à penser qu'Anthoine était peut-être dans le coma ou quelque chose du genre. Mais la mort ? la Mort ? Je n'ai jamais pensé que c'était possible. J'étais complètement brisé. J'ai pleuré jusqu'à ce que je ne puisse plus pleurer. Je n'ai jamais ressenti de pire sentiment que cela de ma vie. Jamais.
Alors que Pierre Gasly évoluait en F1, Anthoine Hubert était dans la Renault Sport Academy et avait enregistré deux belles victoires en FIA F2 en 2019, Monaco et Le Castellet. Pour le français, c'était assez simple, le titre était sa priorité en 2020 avant d'espérer qu'on lui propose un baquet pour 2021. Et il avait du soutien, tous les espoirs étaient placés en lui pour accéder à son tour à la F1.
Il était tellement appliqué, il n'a jamais pris de risques stupides. Comment cela pouvait-il lui arriver ? Pourquoi ? Il avait encore tellement à faire. Il était sur la bonne voie, je croyais vraiment qu'il allait être en F1 un jour. Les gens doutaient de moi et je savais à quel point il travaillait dur. Je l'avais vu toute ma vie, je savais que si je pouvais le faire, lui aussi.
Un mois avant la course à Spa, juste avant que la F1 ne prenne sa pause estivale, nous étions à Budapest pour le Grand Prix de Hongrie. Le dimanche, nous sommes sortis en groupe pour dîner et avons passé une excellente soirée en ville. Anthoine et moi avons passé la nuit à discuter. C'était juste une soirée ordinaire, comme nous pensons que nous allons en avoir des milliers d'autres avec nos amis. Et maintenant je donnerais n'importe quoi pour quelques heures de plus comme ça avec Anthoine.
L'arrivée chez Red Bull Racing en 2019
Après de belles performances chez Toro Rosso en 2018, Pierre Gasly est promu chez Red Bull Racing aux côtés de Max Verstappen en remplacement de Daniel Ricciardo qui a fait ses valises pour Renault. Pierre Gasly explique pourquoi et comment tout ne s'est pas déroulé comme il l'aurait espéré.
J'ai commencé la saison 2019 avec Red Bull. J'étais arrivé en F1 avec Toro Rosso en 2017, mais Red Bull était ma première chance de piloter pour une équipe de premier plan et de prouver à tout le monde ce que je pouvais faire dans l'une des meilleures voitures du monde.
Et d'une certaine manière, je sentais que, si je pouvais faire cela, j'enverrais un message aux personnes qui avaient douté d'Anthoine et de moi à l'époque. Son succès comptait beaucoup pour moi, et je sais que le mien comptait beaucoup pour lui aussi.Donc, après une très bonne année avec Toro Rosso en 2018, j'ai reçu l'appel d'Helmut Marko pour me faire savoir qu'ils me voulaient chez Red Bull. Ils avaient remporté tellement de championnats, et Sebastian Vettel avait été une telle inspiration pour moi étant enfant, je savais que je voulais conduire comme lui un jour.
Alors je réalisais un rêve et j'étais tellement excité. J'aimerais pouvoir vous dire que c'était exactement ce que à quoi j'avais pensé et ce que je voulais que ce soit. Mais ce n'était tout simplement pas le cas.À partir du moment où j'ai commis ma première erreur dans une voiture, j'ai eu l'impression que les gens de l'écurie ont lentement commencé à se retourner contre moi. J'avais eu un accident lors des essais hivernaux (à Barcelone), et à partir de ce moment-là, la saison n'a jamais vraiment commencé.
Ensuite, j'ai eu des deux premières courses difficiles avec Red Bull et les médias me sont tombés dessus. Tout ce que j'ai dit dans la presse était une excuse pour ma contre-performance, et personne ne m'a vraiment soutenu.La voiture n'était pas parfaite et je faisais de mon mieux pour essayer de m'améliorer et d'apprendre chaque semaine, mais c'était une période difficile pour moi chez Red Bull parce que je ne me sentais pas vraiment soutenu et traité de la même manière que les autres. Et pour moi, c'est quelque chose que je ne peux tout simplement pas accepter. Je travaillais tous les jours, essayant d'obtenir des résultats pour l'équipe, mais je n'avais pas tous les outils dont j'avais besoin pour réussir.
Pour une raison quelconque, je n'allais jamais être performant dans ce baquet et cela n'allait tout simplement jamais fonctionner. Je ne suis pas du genre à m'étaler dans les médias, car je suis vraiment reconnaissant envers Red Bull pour cette chance, ainsi que pour tout ce qu'ils ont fait pour moi dans ma carrière. Mais j'ai le droit de dire ma vérité. Donc c'est tout. C'est la vérité.
Après le Grand Prix de Hongrie, en cours de saison, Pierre Gasly fut renvoyé chez Toro Rosso, et il a reçu immédiatement le soutient d'Anthoine Hubert. A partir de là, le Normand a changé son approche, il fallait qu'il leur prouve qu'ils avaient eu tort.
Les encouragements d'Anthoine Hubert, Pierre Gasly les a transformé en rage de vaincre, et il voulait l'appliquer dès lors du Grand Prix de Belgique. Il savait qu'il lui restait 9 courses, 9 opportunités de prouver qu'il méritait mieux.
Au lendemain de la disparition d'Anthoine, c'était juste une atmosphère horrible autour du circuit. Anthoine avait touché la vie de beaucoup de gens, et il y avait juste un nuage sombre qui planait sur tout le monde. Tout le monde se sentait mal. Nous avons eu un moment de silence avant la course et une partie de la famille d'Anthoine était là.
Mais je savais aussi qu'Anthoine regardait, et je savais qu'il m'aurait dit de me concentrer et de tout donner. Alors, quand je suis monté dans la voiture, je me suis laissé penser à lui une fois de plus. J'ai fermé les yeux, pris une inspiration et baissé ma visière. Un an après, de retour à Spa, je ne pouvais que penser à Anthoine et à rien d'autre.
Avant le week-end, je suis monté à l'Eau Rouge, sur les lieux de son accident. C'est l'un des plus beaux endroits du sport automobile. Vous regardez en arrière en bas de la colline, et vous pouvez voir le paddock et le premier virage, les tribunes et les différentes zones des fans. Et si vous vous retournez, vous voyez la ligne droite de Kemmel qui vous emmène dans les Ardennes. C'est vraiment spécial. Alors, je suis allé là-haut avec des fleurs. Je les ai déposées et fait une prière pour mon ami, puis je suis parti.
J'aimerais pouvoir dire que cela m'a apporté la paix. Mais il n'y a pas de paix quand quelque chose comme ça se produit. Mais, à partir de ce jour-là, j'ai senti pour la première fois depuis l'accident, que je pouvais aller de l'avant, qu'Anthoine serait toujours avec moi, je l'ai emmené avec moi pour la course suivante à Monza.
Grand Prix d'Italie 2020
Je venais de déménager à Milan quelques mois plus tôt, et le Grand Prix d'Italie était la première fois de ma carrière que je dormais chez moi la veille d'une course. Dimanche matin, avant de me rendre au circuit, j'étais assis dans la cuisine en train de prendre un café. Je pensais à Anthoine, je pensais à qui j'étais devenu. À ce moment-là, je me suis senti reconnaissant, j'étais pilote de Formule 1. J'étais un foutu pilote de Formule 1. Et dans cinq heures, je participerais au Grand Prix d'Italie.
J'ai commencé la course à la 10e place. C'était une journée étrange, beaucoup de voitures avaient des problèmes. Notre voiture AlphaTauri Honda se sentait vraiment bien, et nous avons continué à avancer pendant que nos adversaires se débattaient autour de nous, nous continuions à pousser.
Et puis, au 29e tour, j'ai pris la tête lorsque Lewis a écopé d'une pénalité de Stop & Go. Et pour la première fois en trois ans, je n'étais pas derrière quelqu'un. Je menais une course. J'avais passé toute ma carrière en F1 à combattre mes concurrents et à les suivre. Mais maintenant, c'était juste moi. Moi, la voiture et la piste. J'ai conduit chaque tour comme si c'était mon dernier.
Je n'arrêtais pas de penser, "aujourd'hui, c'est mon jour". Il n'y a aucun moyen que je laisse passer ce moment. Il faut tellement de choses pour gagner une course en F1. Et quand j'ai franchi la ligne d'arrivée, j'ai juste pensé à mon équipe, à ma famille, j'étais tellement reconnaissante pour tout leur travail acharné, leurs sacrifices.
Anthoine m'a appris tellement de choses. Il n'y a pas un jour de course qui passe sans que je pense à lui. J'ai souhaité plus que tout qu'il soit aligné un jour sur la grille. Mais son décès m'a forcé à voir la vie d'une manière différente. Sur le podium en Italie, je n'ai rien pris pour acquis. J'ai célébré ce moment comme si c'était le seul que j'aurai, parce que c'est ainsi que nous devrions tous vivre notre vie.
J'ai tellement de chance d'être ici, de faire ce que je fais. Et j'ai tellement de chance d'avoir connu Anthoine Hubert. Je porterai ses rêves, ses ambitions, avec moi partout où je vais. Je t'aime mon pote.