On associe généralement le Grand Prix d'Autriche 1975 avec la glissade d'après-course du vainqueur, Vittorio Brambilla. Et si l'Italien fut bien malavisé d'avoir enlevé ses mains du volant pour célébrer sa victoire, cette gaffe mit aussi en lumière à quel point les conditions étaient devenues précaires pour les pilotes. Mais pas seulement...

Comme à Zandvoort plus tôt dans l'année, le départ fut retardé mais pas qu'à cause de la pluie noyant l'Osterreichring. L'accident – hélas mortel – de Mark Donohue lors du warm-up avait nécessité plusieurs réparations au niveau des clôtures et rails de sécurité. Ajoutons à cela d'autres accidents lors d'une course de support et le Grand Prix ne pouvait partir à 15 heures locales.

Or les locaux avaient déjà prévenu qu'aux alentours de 16 heures, horaire auquel le Grand Prix était enfin prêt, le soleil prenait congé pour laisser place à la pluie. Et celle-ci menaçait de tomber d'un moment à l'autre.

Souhaitant éviter un jeu de massacre dès les premiers tours, Bernie Ecclestone, alors patron de Brabham et dirigeant de l'association des constructeurs (la FOCA), fit pression auprès du prince de Metternich, le président de la Commission Sportive Internationale, pour décaler davantage le Grand Prix. Histoire que tous les pilotes soient équipés de pneus pluie d'entrée de jeu. Un arrangement qui fit lever quelques sourcils chez certains observateurs.

Le Gorille vous salue bien !

Tous ces palabres n'empêchèrent pas Niki Lauda de conserver le bénéfice de sa pole à domicile, devançant son futur rival James Hunt. Deux vainqueurs de courses pluvieuses en 1975, Monaco pour l'un, Zandvoort pour l'autre, une première dans son cas. Parti troisième, Fittipaldi quant à lui perdit vite des places et ne fit jamais allusion de toute la course.

Tout l'inverse de Vittorio Brambilla, l'animateur de cette épreuve de plongée qui, depuis sa huitième place de rang, atteignit la troisième après seulement six tours sur une March à priori non conditionnée pour une telle performance.

Lauda et Hunt tinrent leur rang durant les quatorze premiers tours et laissaient envisager un nouveau duel, avant de composer avec le retour d'un Brambilla des plus téméraires. Son surnom de « Gorille de Monza » n'était pas qu'en lien avec une certaine pilosité : l'Italien partageait la même absence de calcul et de finesse avec le primate.

Lorsque Hunt déborda Lauda, Brambilla sauta sur l'occasion et fit chuter Niki d'un rang de plus dans le même tour. Déjà calculateur, Lauda n'allait pas prendre de risque inutile s'il pouvait assurer des points précieux pour le titre. Quatre tours plus tard, Brambilla prit l'avantage sur Hunt, qui perdait en puissance moteur.

Retrait volontaire d'un pilote

Derrière eux, les fortunes étaient diverses et variées. L'équipier de Brambilla, Hans-Joachim Stuck, avait aussi bien commencé que son voisin de garage avant d'échouer dans les rails. Ronnie Peterson, jusque-là aux abonnés absents sur une Lotus périmée, se rappela au bon souvenir de tous dans ces conditions analogues à Mosport 1971, jusqu'à un arrêt pour... changer de visière. Signe que la visibilité ne progressait pas, que du contraire.

Jacques Laffite quant à lui renonça de son propre chef. Il considérait sa Williams inconduisible et ne voulait pas se mettre inutilement en danger au vu de sa position modeste. Frank Williams fut proche de renvoyer le Français pour sa « faute » et Ken Tyrrell, qui envisageait de recruter Jacques, changea d'avis en conséquence. Laffite se vengea quelques années plus tard lors de son triomphe arrosé de Montréal 1981.

Enfin Brabham but complètement la tasse avec ses pilotes noyés dans la masse. Mais il y avait une bonne raison à cela : après divers problèmes durant le warm-up et l'annonce de pluie imminente, l'équipe s'emmêla les pinceaux et chaussa ses pilotes de pneus arrière au diamètre différent l'un de l'autre ! Carlos Reutemann eut du mérite de conclure la course dans ces conditions.

Fin réclamée par les équipes

Car si l'averse s'atténua au bout de dix boucles, laissant espérer une deuxième moitié sèche comme à Monaco et Zandvoort, ce fut de courte durée. Au vingt-sixième tour, c'est un orage qui éclata sur le tracé. Les chefs d'équipe aussi bien que les pilotes ayant renoncé réclamèrent alors l'arrêt de la course, qui intervint au vingt-neuvième tour. Et si certains patrons comme Ken Tyrrell cherchèrent à relancer le tout lorsque l'ondée baissa en intensité, rien ne suivit. C'était le drapeau à damier qui fut brandi, signe de fin de course définitive. Avec la moitié des points attribuées cette fois-ci.

Brambilla célébra donc le seul trophée de sa carrière de façon légendaire devant Hunt et Tom Pryce, autre grand acrobate du jour sur sa Shadow, qui partait pourtant de la quinzième place. Ce fut la quatrième course de la saison 1975 au dénouement anticipé après Montjuich – suite à l'accident de Stommelen – Monaco et Silverstone.

Cette fin avortée n'était pas du goût de tous. Pas tant à cause de l'interruption, légitime en soi, mais de l'influence grandissante des chefs d'équipe, qui firent pression auprès des responsables pour stopper le spectacle. D'où un bilan mitigé pour l'estimé journaliste Denis Jenkinson.

Qui dirige la Formule 1 ?

D'un côté, il admit que « tous les partants méritaient une médaille pour avoir survécu au premier tour et continué sur leur lancée. Si tous les pilotes s'étaient arrêtés aux stands et prévenu leurs chefs d'équipe qu'il était impossible de courir, personne ne les aurait blâmés ».

De l'autre, «en regardant de plus près, sous le voile de la sécurité, on pouvait distinguer un ensemble d'intérêts particuliers en action. Une seule personne pouvait savoir à quel point le circuit était sûr ou dangereux : le pilote […]. Je me demande s'il est juste que des influences extérieures soient sollicitées auprès des organisateurs afin d'interrompre une course où il n'y a ni accident [grave], ni de piste bloquée, et sans aucun pilote renonçant de son propre chef ».

Il conclut son développement en posant ouvertement la question « Qui dirige les Grands Prix ? ». On peut ainsi constater les prémices de la future lutte de pouvoir entre constructeurs et fédération internationale, cinq ans avant son explosion. Et que même à une époque encore vue comme « romantique » en comparaison d'aujourd'hui, la sécurité pouvait servir d'instrument de contrôle, ou assimilé comme tel.