Le Grand Prix de Belgique 1985, sur le circuit de Spa-Francorchamps, prévu le 2 juin verra la victoire d'Ayrton Senna le… 15 septembre ! La course a été reportée en raison d'un revêtement neuf défaillant la veille du départ du Grand Prix.
Spa-Francorchamps est considéré comme l'un des plus beaux circuits au monde. Circuit jugé trop dangereux par les pilotes en 1970 et écarté du calendrier, il revient à l'affiche en 1983. Après l'intermède de Zolder en 1984, le circuit Ardennais signe un long bail avec la F1 à partir de cette année 1985.
Année, en pleine ère des surpuissants moteurs turbo, qui voit un duel entre McLaren TAG Porsche et Ferrari, à travers Alain Prost et Michele Alboretto, alors que la Lotus-Renault, pilotée par Ayrton Senna et Elio De Angelis, joue les arbitres. Tout est donc ouvert en ce week-end de juin, chaud et ensoleillé dans les Ardennes belges, des conditions à priori idéales.
Mise en température
Les premiers essais débutent le jeudi 30 mai. Tout le monde s'attend à ce que le record de Prost établi en 1983 (2'04"615) soit pulvérisé, grâce au nouveau revêtement sensé apporter d'avantage d'adhérence et aux moteurs turbo qui atteignent en qualification des puissances au-delà des 1 000 chevaux. Et c'est Prost lui-même qui descend le premier sous la barre des 2 minutes. Mais il connaît par la suite des ennuis moteur et ne peut améliorer son temps.
C'est finalement Alboreto qui s'avère le plus véloce durant cette première séance, devant Senna, De Angelis, Lauda et Rosberg (Williams-Honda). Mais à l'issue de ces premiers essais, les pilotes se montrent réservés sur le revêtement qui commence à se dégrader. Beaucoup de gravillons se sont détachés et il est difficile de les éviter tout en restant dans la trajectoire idéale.
Le lendemain se déroulent les premiers essais chronométrés. Alboreto est encore une fois le plus rapide (1'56"046), devançant De Angelis, Senna et Tambay (Renault). Sur sa McLaren, Lauda ne parvient qu'à faire le dixième temps alors que Prost, toujours en proie à des problèmes de moteur, ne parvient même pas à faire un temps.
Le revêtement (si abrasif que les pneus de qualification ne durent qu'un tour) commence à se dégrader sérieusement. L'organisation s'emploie durant la nuit pour tenter de réparer les dégâts : des équipes tassent le revêtement là où il commence à lâcher et mettent du ciment.
Phase d'inspection
Les essais du samedi ne débutent pas à l'heure prévue, des officiels effectuant une visite d'inspection, et les premières voitures ne prennent finalement la piste qu'à 10h20. Les temps sont très éloignés de ceux de la veille et seul De Angelis passe sous la barre des 2'20. Au bout de vingt minutes, le drapeau rouge est levé, les essais sont interrompus. Les pilotes estiment qu'il n'est pas possible de courir dans ces conditions.
On annonce une nouvelle inspection pour 14h00 à laquelle prennent part Lauda, le directeur de la course, le délégué à la sécurité et un commissaire. A l'issue de leur tour de piste, les essais sont de nouveau reportés, cette fois à 17h30, après une nouvelle inspection à l'issue des essais de l'Alpine Cup. Mais à l'heure dite, aucune amélioration n'est constatée…
Pilotes, constructeurs, organisateurs et commissaires sportifs se réunissent, avec depuis Paris au bout du fil Jean-Marie Balestre, président de la Fédération Internationale du Sport Automobile (FISA). Après plus de deux heures de discussions, le verdict tombe : la course est reportée.
Ce sont les pilotes qui l'ont imposé alors que les organisateurs, soutenus par Bernie Ecclestone, promoteur de la course, avaient assuré qu'ils allaient entreprendre dans la nuit de vastes travaux. Mais la confiance des pilotes était rompue, reprochant à l'organisation une réaction tardive. De plus, ils avaient en mémoire le Grand Prix de Dallas de 1984, organisé sur le parking d'un hôtel, et qui s'était avéré catastrophique.
Mais le tracé américain était lent, alors qu'à Spa une sortie de piste peut s'avérer autrement dangereuse. Pourtant, dans la nuit de samedi au dimanche, une asphalteuse dépêchée depuis les Pays-Bas entre en action. Pour sauver ce qu'il était encore possible de sauver, la course de F3000 se déroule bien l'après-midi, précédée par celle de l'Alpine Cup. Mais ces courses s'avèrent une longue procession, les pilotes essayant surtout de ne pas sortir de la piste.
Le fiasco de ce revêtement s'explique essentiellement par un délai trop court entre la fin des travaux et le Grand Prix. Les formalités administratives et un hiver rigoureux ont en effet retardé le début du chantier. Le 1er mai, le circuit est encore recouvert de neige : le revêtement n'est terminé que dix jours avant la course. Or, la réglementation interdit des travaux moins de soixante jours avant un Grand Prix.
Le Grand Prix reporté à septembre
Lorsqu'une séance d'essais privés prévue avant le week-end du 2 juin a été annulée, les organisateurs avaient justifié leur décision par des "modifications" au circuit. La FISA ne s'est pas rendue compte qu'il s'agissait de la piste. D'autre part, s'il avait plu, peut être que la course aurait pu avoir lieu. Mais la chaleur et les Formule 1 les plus puissantes de l'histoire, imposant de fortes charges, ont eu raison de ce revêtement trop neuf.
Enfin, certains voient dans ce report l'influence de Niki Lauda, président du conseil des pilotes, dont l'opinion aurait pu être quelque peu faussée par le fait que ni lui ni Prost n'étaient bien placés sur la grille…
Le 24 juin suivant, Jean-Marie Balestre convoque les organisateurs à Paris. La fédération belge écope d'une amende (10 000 euros actuels) "en raison du préjudice causé au championnat du monde de Formule 1".
Elle verse également une caution (100 000 euros), rendue par la FISA si le week-end reporté se déroule sans problème. Ce sera le cas, puisque le 15 septembre suivant Senna, sous la pluie (celle qui aurait été sans doute salvatrice en juin), remporte la deuxième victoire de sa carrière (la seconde sous la pluie après le Portugal, la même année).