La Formule 1 cherche actuellement à attirer un nouveau public, quitte à bousculer l'ordre établi et froisser les puristes. Les courses sprint vont dans ce sens : une des idées derrière le format était de rendre chaque journée importante, d'où la séance qualificative placée le vendredi lors des week-ends de F1 Sprint.
Or la F1 a plus d'une fois changé d'avis sur un aspect de son règlement, technique comme sportif.
Ces règles en F1 bannies, puis réintroduites
Qualifications le vendredi / L'effet de sol
Le vendredi servit longtemps pour les qualifications à une époque où les séances étaient réparties sur deux ou trois jours. Le samedi devint l'unique journée qualificative à partir de 1996, année où il fut un temps suggéré de supprimer complètement le vendredi du cadre du Grand Prix. Une idée vivement repoussée par les organisateurs qui ne souhaitaient pas perdre une partie de leurs recettes. Sauf qu'après une saison 2002 écrasée par Ferrari, le pouvoir sportif fut à nouveau pris d'une fièvre révolutionnaire.
Ce qui aboutit à la qualification à tour unique avec une séance le vendredi après-midi, dont le classement allait déterminer l'ordre de passage du samedi. Sauf qu'avec cette importance toute relative, cette « pré-qualification » ne fit pas long feu. Dès 2004, celle-ci fut déplacée au samedi, le vendredi retrouvant sa position de journée d'essais jusqu'en 2021.
Autre caractéristique réglementaire abandonnée puis rappelée dernièrement : l'effet de sol. Initié par Lotus en 1977 avec ses pontons en aile inversée, l'air canalisé sous le châssis permettait à celui-ci de grandement améliorer son adhérence. Son bannissement en 1983 répondait à des impératifs sécuritaires : la vitesse de passage en courbe devenait bien trop importante avec ce dispositif. Les accidents de Gilles Villeneuve en Belgique et Jochen Mass en France – où les deux voitures s'envolèrent – en furent une spectaculaire et dramatique illustration.
Il redevint un élément central de l'aérodynamique des Formule 1 en 2022 afin de réduire les turbulences, ennemi N°1 des dépassements. Or le Grand Prix d'Azerbaïdjan cette année mit en lumière l'effet inverse de ce phénomène, avec des voitures éprouvant le plus grand mal à se suivre à basse vitesse...
Voici d'autres exemples de solutions « miracles » qui ont fini par se retourner contre ses instigateurs.
Les pneus rainurés
Les nouveaux spectateurs, cible prioritaire de Liberty Media, sont habitués à voir les Formule 1 évoluer avec des pneus secs parfaitement lisses, dépourvus de toute rainures. Et un changement à ce niveau n'est pas à l'ordre du jour. Pourtant, durant une décennie entière, les gommes striées furent la norme en Formule 1.
Quatre rainures à l'avant comme à l'arrière charcutèrent les pneus de 1998 à 2008 – trois à l'avant la première année. Une directive qui visait aussi bien à ralentir les voitures qu'à améliorer le spectacle, les deux chevaux de bataille de la FIA pour chaque modification significative du règlement. Ici, avec une surface de contact réduite, les monoplaces devinrent plus lentes en courbe mais surtout bien plus instables. Ce qui en théorie laissait place à plus d'erreurs, donc plus de mouvements dans le peloton.
En théorie, car en pratique, la montagne accoucha d'une souris, avec aucun changement notable côté spectacle, ce dès le premier Grand Prix plus connu pour la domination insolente de McLaren – un tour d'avance sur tout le monde – que pour ses rebondissements. Dès 1999, après une course des plus soporifiques à Barcelone, Bernie Ecclestone milita publiquement pour un retour aux gommes lisses, appuyé par quelques pilotes comme Jacques Villeneuve. Le Canadien avait d'ailleurs critiqué la mesure avant même son application avec un vocabulaire fleuri.. ce qui lui valut un rappel à l'ordre par la FIA.
Le président Max Mosley campa sur ses positions, et le débat sur les dépassements fut bientôt décalé sur d'autres points de règlement. Les slicks revinrent finalement en 2009, ceci afin de compenser la perte d'adhérence causée par de profondes modifications aérodynamiques appuyées par un groupe de travail.
Des modifications qui étaient censées, vous l'avez deviné : améliorer le spectacle.
Les changements de pneus
De 2001 à 2006, il existait une compétition entre manufacturiers, avec d'un côté Bridgestone et de l'autre Michelin. Une concurrence qui eut un impact non négligeable avec des temps au tour de plus en plus bas et des coûts en constante hausse. C'était un temps où les essais privés en cours de saison étaient encore autorisés.
Ainsi la FIA brandit dans un premier temps la menace du manufacturier unique pour mettre un frein à cette envolée. Fervent partisan de la compétition entre fournisseurs, Michelin répliqua en proposant un train de pneu unique pour les qualifications et la course. Selon Bibendum, cela permettait une économie significative avec moins de pneus disponibles à tester. Aussi cette longévité irait de pair avec un composé bien plus dur, donc moins performant, soit des monoplaces ralenties. Et dans l'idéal, on retrouverait moins de dépôt de gommes hors trajectoire, autorisant plus de dépassements dans les sections généralement poussiéreuses.
La FIA acquiesça en ce sens et 2005 appliqua ce point de règlement qui promettait beaucoup, avec une confrontation entre les pilotes conservateurs et ceux moins précautionneux, sans compter des fins de course à la limite, telle les années turbos avec les F1 secouant les dernières gouttes d'essence. Rien de tout cela au final, ou du moins pas à grande échelle. Les équipes Michelin s'avérèrent relativement épargnées quand Bridgestone participa à la chute de Ferrari, payant sa stratégie de quasi-exclusivité avec la Scuderia : sept équipes en Michelin, trois en Bridgestone.
Ironie du sort : le plus gros souci pneumatique cette saison toucha Michelin lors du fameux (non-)Grand Prix des Etats-Unis, avec des composés incapables de supporter les charges exercées par l'anneau de vitesse, d'où le retrait des équipes associées par mesure de sécurité. Une sacrée mauvaise publicité qui participa au rétropédalage de la FIA, revenant au changement de pneus en 2006 et confirmant un manufacturier unique pour 2007. Si Michelin se retira avec les honneurs des titres mondiaux de Renault et Alonso, on ne revit plus jamais la marque française en F1.
Les ravitaillements
Artifice qu'un certain nombre de fans souhaite encore revoir, les ravitaillements eurent droit à deux retournements de veste. Utilisés sporadiquement au cours des premières décennies et principalement en cas d'urgence, ils se démocratisèrent en tant qu'élément stratégique en 1982 grâce à Brabham. Inspirés par le come-back d'Alain Prost à Kyalami qui remonta le peloton après une crevaison, Bernie Ecclestone et Gordon Murray tentèrent ce pari en cours d'année, la première occurrence intervenant en Autriche.
Ils en firent un élément central de leur stratégie en 1983 avec la (splendide) BT52 au réservoir réduit. Ainsi la monoplace serait bien plus légère et rapide. La victoire de Nelson Piquet en ouverture au Brésil poussa les équipes de pointe à faire de même. Mais Keke Rosberg fut victime d'un incendie durant ce même Grand Prix du Brésil, mettant en lumière la dangerosité de l'exercice. Rapidement refroidie, la FI(S)A les interdit pour 1984.
Dix ans plus tard, réchauffée par Bernie Ecclestone qui voyait en cette manœuvre une façon de relancer le spectacle, l'instance dirigeante réintroduit les ravitaillements. Beaucoup d'observateurs considérèrent la chose comme un artifice superflu et risqué, comme Alain Prost qui s'en plaignit presque à chaque course sur les antennes de TF1. Le brasier dont ressortit indemne Jos Verstappen à Hockenheim après un arrêt raté ne fit rien pour calmer leurs ardeurs.
Aussi, les ravitaillements devinrent moins un élément de spectacle qu'un détournement de celui-ci : les équipes poussèrent leurs pilotes à se reposer sur les arrêts aux stands pour déborder un pilote car le dépassement en piste s'avérait (déjà...) compliqué. Le fameux « undercut» d'aujourd'hui en est l'héritier logique. Un choix qui participa cela dit à la légende de Ferrari durant sa période de gloire des années 2000, avec Michel Schumacher remportant un certain nombre de courses de cette façon.
Les ravitaillements tirèrent leur révérence fin 2009, suivant une nouvelle vague de réduction des coûts. On eut droit à un dernier feu d'artifice à Interlagos impliquant Heikki Kovalainen et Kimi Räikkönen, le premier aspergeant son compatriote d'essence après avoir arraché le tuyau. Bien entendu, celui qui s'avéra le moins agité par la scène fut Iceman lui-même...
Les consignes d'équipes
Élément indissociable de la discipline pour les uns, hérésie castratrice du sport pour les autres, les consignes d'équipe ne cesseront jamais de diviser selon le contexte et les pilotes concernés. La première sonnette d'alarme intervint à Melbourne en 1998, quand David Coulthard laissa passer Mika Hakkinen pour la victoire. Si cette permutation avait du sens puisqu'elle servit à rétablir la hiérarchie d'origine – Hakkinen avait perdu la tête suite à un passage non prévu aux stands – elle rencontra quelques contestations.
La FIA précisera après coup que « tout acte futur préjudiciable envers les intérêts de la compétition doit être sévèrement puni ». Soit pas une interdiction implicite mais une volonté de décourager les équipes de répéter une scène similaire. Ce qui n'empêcha pas Eddie Irvine de laisser passer Michael Schumacher la même année en Autriche (non sans prétexter un problème de freins), tandis qu'à Spa, Damon Hill exigea de geler les positions pour sauver un doublé miraculeux pour Jordan.
Les consignes d'équipe « influant sur le résultat d'une course » devinrent officiellement bannies en 2003. Le tollé provoqué par Ferrari en Autriche 2002, lorsque Rubens Barrichello céda sa victoire sur la ligne d'arrivée à son leader Schumacher, n'y était pas étranger. Le public condamna fortement un échange superflu au vu de la domination de Ferrari cette année-là et de l'effort louable de Rubens, devançant Schumacher à la régulière.
Une interdiction sur le papier mais qui ne fut jamais réellement appliquée dans les faits. Les équipes continuèrent d'exercer ces ordres avec plus ou moins de discrétion, entre messages codés et scènes (mal) jouées. Par exemple, tout œil éveillé comprit que Kimi Räikkönen avait laissé passer Felipe Massa à Shanghai en 2008 mais le Brésilien fit passer l'action pour un dépassement en bonne et due forme. Pire encore, le Finlandais ne fit rien pour cacher la chose, déclarant qu'il a fait ce qu'il fallait pour l'équipe. Bien entendu, sans aucune sanction sportive.
La fin de cette hypocrisie survint en 2011, avec cette « interdiction » officiellement supprimée. Un changement qui s'opéra, encore une fois, après une manœuvre de Ferrari. Le « Fernando is faster than you » adressé à Felipe Massa à Hockenheim afin d'ouvrir à la voie à Fernando Alonso n'avait dupé personne. La Scuderia en fut quitte pour une amende. Comme en 2002 après que Schumacher ait perturbé la cérémonie du podium en Autriche, soudainement pris de remords...
Les aides au pilotage
Les consignes d'équipe furent à nouveau autorisées en raison de la difficulté de concrètement prouver l'application ou non d'un ordre. Le retour des aides électroniques en 2001 suivait la même logique, faute de pouvoir légitimement détecter la présence et surtout l'utilisation de tel ou tel gadget prohibé. C'est ce vice de procédure qui sauva Benetton en 1994 : un anti-patinage était bien présent dans leurs logiciels mais on ne put jamais déterminer concrètement si celui-ci fut actif durant un week-end de course.
Ainsi la FIA légalisa l'anti-patinage et le départ automatisé à partir du Grand Prix d'Espagne 2001. Les autorités accordèrent un délai jusqu'à la cinquième course après que Ferrari ait posé un véto non dénué d'intérêt : la F2001 bénéficiait d'un système de contrôle de traction légal et il s'agissait d'en profiter un maximum avant que chacun ne retrouve ses puces...
Une décision pas spécialement bien accueillie dans le milieu. « Même un singe pourrait piloter une F1 » dira notamment Niki Lauda. Mais les aides électroniques rentrèrent progressivement dans les mœurs. Les français apprécièrent surtout de voir Renault briller dans l'exercice en 2002 et 2003. Le départ automatisé tira sa révérence avant 2004, l'anti-patinage connut un sursis jusqu'à la fin de saison 2007. La FIA disposait enfin des outils de contrôle nécessaires pour détecter tout tricheur.
Le point pour le meilleur tour
Toutes ces règles eurent droit à un rétropédalage pas si éloigné de leur introduction. Ici, l'écart entre la fin de cet élément et son retour en vigueur est bien plus conséquent et presque inédit, à savoir plus d'un demi-siècle ! Après tout, la Formule 1 des origines n'a plus grand chose à voir avec la discipline présentée aujourd'hui.
Pourtant en 2019, très peu de temps avant le début de saison, la F1 officialisa le point pour le meilleur tour en course, à condition de finir dans les dix premiers. Une mesure déjà présente dans les catégories annexes, qui selon Ross Brawn, avait pour but de rendre les dernières parties de Grands Prix plus intéressantes. Celle-ci représentait « une réponse à une recherche détaillée menée auprès de milliers de nos fans dans le monde entier ». Toute ressemblance...
Et en effet, il est devenu courant qu'un pilote change de pneus dans les derniers tours afin de décrocher le fameux sésame au détriment d'un rival. Ce fut par exemple un des enjeux du Grand Prix d'Arabie Saoudite entre les deux Red Bull aux positions gelées.
Chose amusante, l'abandon de cette règle en 1960 ne répondait pas à un enjeu sportif, mais technique. A l'époque, les systèmes de chronométrage n'étaient pas aussi perfectionnés qu'aujourd'hui, d'où un certain manque de précision.
On en retrouve une illustration absurde avec le Grand Prix de Grande-Bretagne 1954. Alors que la majorité des courses disposaient d'un chronométrage au dixième de seconde, Silverstone s'arrêtait à la seconde. D'où un meilleur tour d'une minute cinquante partagé entre sept pilotes, soit 0,14 point pour chacun ! D'ailleurs, le Français Jean Behra dut se contenter de ce score pour toute sa saison...
Le moteur turbo
Synonyme de période glorieuse de la Formule 1, le moteur turbo allait de paire avec les années 1980, au point que le terme « années turbo » fut souvent employé dans divers revues et livres pour parler de cette décennie. Imposé par Renault en dépit des railleries britanniques décriant la fameuse « théière jaune », le turbo devint l'élément indispensable pour vaincre.
Il fut même un enjeu politique lors de la guerre FISA-FOCA du début de la décennie, entre les constructeurs légalistes armés du moteur suralimenté et les « garagistes » britanniques au simple Cosworth dépendant de l'effet de sol.
Ironiquement, si le phénomène fut banni en 1983 pour raisons de sécurité, laissant donc le turbo remplir les grilles, ce même moteur devint à son tour la cible des autorités en raison des puissances de plus en plus importantes - les 1000 chevaux furent parfois dépassés en qualifications - et donc de la vitesse. La limitation des réservoirs à 220 litres en 1984, puis 195 litres en 1986 fut un premier avertissement. En fin de saison 1986, Jean-Marie Balestre annonça l'interdiction pure et simple des turbos après la saison 1988, non sans de nouvelles limitations de puissance entre temps.
Il n'était donc pas étonnant qu'en 2014, ce retour au turbo soit accompagné de mesures analogues. Outre la réduction du bruit qui fit beaucoup parler, le régime moteur ne pouvait dépasser 15000 tours/minute et le débit d'essence allait être contrôlé tout au long de la course. Daniel Ricciardo perdit d'ailleurs sa deuxième place lors de l'ouverture en Australie en raison d'une consommation dépassant les critères réglementaires.
La prochaine génération de moteur est déjà annoncée pour 2026, avec une base similaire – bloc hybride de 1.6 litre – mais plus de puissance électrique, un carburant 100% durable et surtout une simplification de sa conception. L'objectif était d'attirer plus de marques dans la discipline qui ne vit pas plus de quatre constructeurs engagés jusqu'alors depuis le retour du turbo : Mercedes, Ferrari, Renault et Honda. En théorie, Ford (en association avec Red Bull) et Audi (en reprenant Alfa Romeo/Sauber) devraient être de la partie.