Retour sur le weekend du Grand Prix de Cuba 1958, au cours duquel le pilote Fangio se fit enlever par les hommes de Fidel Castro.
En 1958, alors que l'île de Cuba est divisée par les tensions politiques, le général Batista décide d'organiser une course de Formule 1 à La Havane pour détourner l'attention. Cependant, tout ne se passe pas comme prévu, et le pilote star de l'époque se fait enlever par des hommes armés.
Un climat tendu
En 1958, le climat politique n'est pas des plus détendus à Cuba. Le Mouvement du 26 Juillet (M26), regroupant des milliers d'hommes armés sous les ordres de Fidel Castro, tente alors de renverser le gouvernement du général Fulgencio Batista. Ce dernier (malgré les affrontements armés qui font rage sur l'île) est cependant plus soucieux de l'image de son pays à l'international que de la stabilité politique de son pays.
Son projet est alors de transformer La Havane en un grand centre de vacances de luxe où les richissimes touristes américains viendraient se prélasser et dépenser leur argent dans les casinos locaux. Une sorte de Las Vegas d'Amérique Centrale, la mer et l'ambiance Latino en plus.
Pour augmenter la notoriété du pays, le gouvernement a une idée brillante : accueillir une course de Formule 1. Il est courant à cette époque de voir se courir des courses "hors calendrier". Une première course fut donc organisée sur l'île en février 1957, remportée par le pilote star de l'époque Juan Manuel Fangio au volant d'une Maserati 300S.
Les grands moyens investis par le gouvernement pour accueillir la caravane de la Formule 1 ont ébloui les équipes et les touristes et les fans qui ont fait le déplacement pour l'occasion. Cependant, sur l'île, cette première course a aggravé la situation, écœurant une population déjà affaiblie par la pauvreté.
En 1958, malgré l'instabilité politique grandissante du pays, une nouvelle course est organisée sur l'île. Vraisemblablement grassement payée par les autorités cubaines, mais aussi sûrement très heureux à l'idée de profiter de tous les plaisirs que seule l'île offrait (prostitution, cigares, alcool), de nombreux pilotes vedettes de l'époques acceptent de participer à la course. On retrouve alors notamment Juan Manuel Fangio, Stirling Moss et Harry Schell chez Maserati, et Carroll Shelby et Brucel Kessler chez Ferrari.
Un dîner de pré-course rocambolesque
Fangio, à l'inverse de la plupart des autres pilotes, préférait loger dans des hôtels à l'écart de la foule et des journalistes. C'est ainsi que l'équipe Maserati pose ses valises à l'Hotel Nacional, alors que le reste des équipes a une chambre dans l'extravagant Hotel Lincoln, palace du centre de la Havane. L'équipe au Trident étant donc isolée pendant son séjour, aucune protection policière ne lui avait été mise à disposition.
C'est en rejoignant son équipe dans le lobby de l'hôtel avant de se rendre au traditionnel dîner des pilotes, que Fangio fait une rencontre qui changea le cours de son weekend. Un jeune homme s'approche du groupe dont fait partie le pilote argentin, avant de le braquer avec un revolver et de lui ordonner de le suivre. Deux autres hommes équipés d'armes automatiques lui servent également d'escorte jusqu'à une voiture garée sur le parvis. Dès que les hommes sont tous assis, celle-ci disparaît dans le dédale des rues de la capitale cubaine, avec celui qui devait faire la fierté du président Batista le lendemain.
Rapidement, les autorités reçoivent les revendications des ravisseurs ; ils font partie du groupe armé M26 et veulent que le Grand Prix soit annulé. L'idée est alors d'embarrasser le président Batista, qui se rêvait déjà prince d'Amérique Centrale avec ses casinos remplis d'américains et de pilotes stars de Formule 1 mondialement connus. Le groupe armé souhaite également attirer l'attention sur le décalage entre la classe dirigeante, qui mène grand train, et la population du pays, marquée par un grand chômage et un grand niveau de pauvreté.
Une course tragique
Malgré la pression internationale pesant sur ses épaules, Batista refuse d'annuler l'évènement, ayant investi trop d'argent et de temps pour redorer le blason de son pays. La course doit alors être un succès mondial, plus de 150 000 personnes s'étant attroupées autour du circuit. Un détail n'avait cependant pas échappé à l'attention des pilotes : le manque de sécurité autour de la piste.
Plusieurs portions du circuit urbain étaient complètement démunies de sécurité pour le public. Les fans locaux, qui étaient totalement étrangers au sport automobile avant la première course de 1957, ne se rendent pas compte des risques impliqués par les vitesses atteintes par les bolides. Plusieurs pilotes se sont notamment plaints que des jeunes fans essayent de toucher les voitures lancées à plus de 200 km/h dans les lignes droites. Un pilote local a déjà perdu la vie après un accident pendant une séance de tests plus tôt dans la semaine.
Le gouvernement, qui a mis ses meilleurs policiers sur l'affaire Fangio, espère toujours que le pilote vedette réapparaisse pour le départ. Le départ de la course est donc repoussé à plusieurs reprises, en espérant que la police le retrouve. Sous la pression du public et des autres pilotes, l'organisation est cependant obligée de se rendre à l'évidence et le départ est donné avec 1h30 de retard.
Stirling Moss et Masten Gregory, pilote Porsche, prennent la tête de la course et creusent rapidement un écart avec le reste du peloton. Alors que la course était bien partie pour se jouer entre les deux pilotes, une rupture de conduite d'huile sur une autre Porsche commença à recouvrir la piste de son liquide gluant.
Et dans le sixième tour de la course, ignorant la dangerosité de la présence d'huile sur la piste, les pilotes continuent à pousser leurs bolides à la limite. C'est alors que le drame arriva : un pilote local nommé Garcia Cifuentes perd le contrôle de sa Ferrari dans une courbe et ne peut éviter la foule. Sept personnes sont tuées et une trentaine blessées.
Malgré l'accident, les pilotes de tête continuent à se battre. Gregory, alors en tête, est déconcentré un court instant en raison du fracas suivant la chute d'une structure en bois percutée par le malheureux pilote accidenté. Stirling Moss, observant alors une brèche dans la défense de son adversaire, appuie sur l'accélérateur pour passer en tête au début du sixième tour.
Le drapeau rouge marquant la fin de la course a déjà été agité, mais pas sur la ligne de départ / arrivée comme stipulé dans le règlement. Il est donc été décidé de prendre le résultat du début du sixième tour, avec Stirling Moss comme vainqueur de la course.
Pendant ce temps, les ravisseurs de Fangio négociait sa libération. Le pilote est libéré sans encombres dans la soirée après 26 heures de captivité. Il explique ensuite avoir été gardé dans de très bonnes conditions et qu'aucun mal ne lui avait été fait. Une radio a même été mise à sa disposition s'il souhaitait écouter le déroulé de la course.
Pour le M26, ce kidnapping porte ses fruits : tous les médias mondiaux ayant fait de l'évènement leurs gros titres de la journée, focalisant également une partie de l'attention sur le combat politique du groupe.
Après la révolution de janvier 1959, la course de la même année n'eut malheureusement pas lieu. Une nouvelle course fut organisée en 1960, baptisée "Freedom GP of Cuba", bien que dans un nouveau lieu sur les routes de service autour de l'aérodrome militaire de Camp Columbia.
La course a été à nouveau entachée, cette fois par la mort d'Ettore Chimeri qui a écrasé sa Ferrari à travers une barrière et a plongé de 45 m dans un ravin. Il est décédé plus tard à l'hôpital. La course ne reviendrait pas car Fidel Castro a établi Cuba comme un État communiste à parti unique qui considérait la F1 comme trop "bourgeaoise". L'image véhiculée par le sport automobile ne correspondait plus (n'a jamais été raccord) avec la politique locale...