Alors que l’issue de la saison 2020 de Formule 1 est toujours incertaine, Esteban Ocon est revenu pour France Racing sur cette période singulière. Le pilote Renault tire de nombreux enseignements de ce confinement.
Le dé-confinement en France, c’est aujourd'hui ! (Ndlr : interview réalisée le 11 mai 2020) Que retiens-tu de cette période difficile et unique en la matière ?
C’est clair que c’est une période assez étrange pour nous tous. C'était un grand choc déjà d’avoir quitté l’Australie prématurément et d’être rentré un peu en catastrophe. On était prêts à faire cette course, et la nouvelle ne pouvait qu’être décevante pour nous.
Depuis, il s’est passé beaucoup de choses. Je suis retourné en France et j’ai décidé de me confiner avec toute ma famille. Nous sommes tous en bonne santé, c’est le plus important. Cette période est difficile pour tout le monde, mais l’important est de rester à la maison et d’être en bonne santé. Pour l’instant, on a réussi à le faire.
En tant que pilote de Formule 1, ne pas être actif pendant une si longue période doit être quelque peu déstabilisant. Comment faire pour ne pas perdre le rythme ?
Ce n’est pas évident de ne pas rouler pendant une longue période. Dans mon cas cependant, cela fait déjà un an que je n’ai pas couru en Grand Prix. Ce qu’il faut faire, c’est essayer de garder les réflexes pilotes sur le simulateur, ce que j’ai fait à la maison. Également faire beaucoup de sport : j’en fais tous les jours pour conserver ma condition physique
J’ai fait pas mal de courses virtuelles aussi. C’est le maximum que l’on peut faire en ce moment. Il faut croire que c’est un bon moment pour être confiné : il y a trente ans, je ne sais pas trop ce que l’on aurait pu faire à la maison… Heureusement, c’est la fin et on commence à voir la lumière !
Tu parlais des jeux vidéo. Tu es un grand amateur de Gran Turismo : as-tu eu l’occasion d’affronter en ligne un pilote professionnel au cours de ces deux mois ?
Oui, on a fait une petite course avec Carlos Sainz. On a roulé ensemble sur quelques lobbys privés, et effectué d’autres courses un peu plus médiatisées. C’était plutôt sympa et on a passé un bon moment. J’ai également roulé avec Oliver Webb et Thomas Neubauer. Beaucoup de pilotes se sont mis à jouer en ligne. Certains sur Gran Turismo, d’autres sur différentes plateformes. C’est propre à chacun.
Est-ce que tu as gardé contact avec certains pilotes du plateau au cours de ce confinement ?
Bien sûr : avec Carlos Sainz en ligne, Lance Stroll par téléphone. Il a d’ailleurs reçu son volant, cela promet quelques courses sympathiques. J’ai aussi eu Lewis (Hamilton) et Charles (Leclerc) par message. On essaie de s’envoyer des petits messages de temps en temps, on entretient tous un grand respect et on a tous hâte de rouler à nouveau.
Revenons aux essais hivernaux : tu as établi le 6e temps à l’issue de la dernière journée (1'16"433) et ton coéquipier Daniel Ricciardo, le 3e (1'16"276). Est-ce que cela t’a mis en confiance pour la suite ?
Il faut toujours faire attention aux résultats des essais hivernaux. Pour moi, ces essais étaient très importants afin d'affiner ma préparation avant le début de la saison. J’avais déjà eu la chance d’effectuer deux jours de tests à Abou Dabi (Ndlr : à l’issue du dernier Grand Prix de la saison 2019) ce qui était une bonne mise en jambe avant l’arrivée de l’hiver. On a pu continuer à mettre des choses en place à Barcelone avant le début de la saison.
Pour revenir à mes chronos, il faut faire attention : tout le monde n’est pas forcément à fond au cours des essais hivernaux. C’est sûr que cela fait du bien de voir son nom en haut de la feuille des chronomètres, mais rien n’est encore fait.
En parlant de Daniel (Ricciardo), entretiens-tu une bonne relation avec lui ? N’est-ce pas intimidant de faire équipe avec un multiple vainqueur de Grands Prix ?
C'est pour moi une grande chance d'être coéquipier avec un des meilleurs pilotes au monde. Il a gagné des courses, il a fait des pole : il est jugé comme un des meilleurs dans le paddock. C’est donc bien pour moi de pouvoir me mesurer avec lui. Quand on est en F1, on veut se mesurer aux meilleurs. Je suis donc content d’être équipier avec lui, je vais pouvoir apprendre beaucoup de choses à ses côtés et cela va me faire progresser.
Tu n’es plus pilote d’essais pour Mercedes depuis la fin de la saison 2019. Comment s’est déroulée la transition avec Renault F1 ?
Ce n'était ni simple, ni compliqué. On a beaucoup discuté avec Renault avant que cela ne puisse se faire. Je suis très heureux qu'on ait finalement pu trouver une entente avec l’équipe. J'ai travaillé avec Renault F1 en 2016, et bien avant à Enstone avec Lotus quand j’étais incorporé au programme junior. Cette équipe est gravée dans ma carrière, du début à aujourd'hui. Nous nous sommes loupés à de nombreuses reprises, comme en 2019.
On a finalement réussi à s'entendre et à trouver un deal pour 2020. Ce n'est pas un hasard si c'est arrivé : cela fait un moment que l'on se tourne autour.
Que retiens-tu de ton passage chez Mercedes ?
Il y a bien sûr beaucoup de choses qui vont me servir. 2019 n’était pas l’année idéale pour moi, mais elle m’a beaucoup servie. J’ai beaucoup appris, notamment sur l’organisation d’une équipe qui gagne. C’était super de pouvoir travailler avec Mercedes mais il faut faire attention, notamment avec les informations que l’on donne d’une équipe à l’autre.
Quand on est ingénieur, on doit normalement prendre une année de pause pour ne pas partir d’une équipe à l’autre. Pour un pilote, ce n’est pas le cas. Je vais donc pouvoir ramener des choses utiles à l’équipe.
Avec le dé-confinement en France, comment se profile le retour au travail chez Renault ?
Concernant Viry-Châtillon (usine moteur de Renault), les usines sont encore fermées jusqu'au 18 mai. En Angleterre (Enstone), je crois que c’est début juin. Après, je ne suis pas aussi informé que Cyril (Abiteboul), mais je crois que ça va se passer comme ça. L’usine de Viry-Châtillon devrait rouvrir dans peu de temps. Pour ma part, je reste encore à la maison. Il n’y a rien d’officiel et il faut prendre ses précautions.
L’issue de la saison 2020 est incertaine. Que penses-tu de l’idée de courir deux fois sur le même circuit ? (Le Red Bull Ring et Silverstone ayant soumis l’idée fin avril).
D'une manière ou une autre, il va falloir que l’on roule. Si on doit faire deux ou trois courses sur un même tracé et que c’est la seule façon de reprendre, c’est très bien. La F1 et la FIA travaillent d’arrache-pied avec les équipes pour réussir à trouver une solution. Peu importe la manière dont on reprendra : on doit rouler. C’est donc très bien que les instances dirigeantes travaillent sur des solutions.
Un tracé pourrait te manquer s’il n’est pas à l’affiche cette saison ?
Il y en a potentiellement beaucoup. Déjà le Grand Prix de France, le Grand Prix de Monaco, même Melbourne. J’espère que l’on va réussir à en faire un maximum.
La réglementation 2021 a été repoussée à 2022 : est-ce frustrant pour les pilotes de F1 en général ?
Je pense qu’on a assez de soucis à gérer en ce moment. Il faut déjà que l’on reprenne les courses. Il y a également des soucis financiers pour tout le monde, pas que pour la Formule 1. Si en plus on doit construire une nouvelle voiture dès l’année prochaine, cela va commencer à faire beaucoup. Les écuries ont voté et se sont mises d’accord pour que l’on conserve le même châssis l’année prochaine et ainsi sauver les budgets.
L’effet bénéfique, c’est que tout le monde serra resserré : cela fait plusieurs années déjà que l’on roule avec cette réglementation, et cela donne une occasion pour certains de se rapprocher un peu plus des top teams. J’espère que l'on aura des courses plus serrées cette saison.
Dans l’épisode 8 de la dernière saison de « Drive to Survive », tu apparais à de nombreuses reprises. Est-ce que tu ne penses pas que Netflix a quelque peu romancé certains événements de la saison 2019 ?
J’ai juste regardé mon épisode et pas plus ! (Rires) Concernant la série en général, je pense que Netflix a fait du super boulot sur les deux dernières saisons. La série a amené énormément de public, et cela a ouvert un peu les yeux de tout le monde.
De l’extérieur, on a parfois l’impression que la F1 est un monde très fermé et robotique. Pour la première fois, le public peut observer que ce sont des humains qui travaillent dans ce monde. Il y a des caractères, des gens très intéressants. Avec cette série, le grand public s’y est un peu familiarisé.
« Drive to Survive » a également joué en ma faveur : à l’époque où je n’avais toujours pas de baquet, la série m’a mis en lumière au bon moment. Les écuries et le public ne m’ont pas oublié. D'une certaine manière, elle m’a aidé à retrouver un baquet. C’est pour ça que je l’apprécie énormément. Je ferai toujours tout mon possible pour qu’ils obtiennent des images à l’avenir.