Pari fou de l’ingénieur britannique Derek Gardner, la Tyrrell P34 crée la sensation lors de sa présentation officielle en 1976. Première Formule 1 à six roues de l’histoire, la monoplace adopte un train-avant révolutionnaire censé réduire la surface de résistance à l’air tout en combattant le sous-virage. Victorieuse dès son quatrième Grand Prix en Suède, la belle ne confirmera jamais son potentiel au point de se voir définitivement abandonnée à la fin du championnat 1977.
Équipe dominatrice du début des années 70, Tyrrell a perdu de sa superbe depuis le départ à la retraite de son pilote vedette Jackie Stewart. Orpheline du prometteur François Cevert, le Français s’est tué lors des qualifications du Grand Prix des États-Unis, l’écurie chère à Ken Tyrrell n’est parvenue à rafler que trois petites victoires en deux saisons, quand elle en avait amassé 16 entre 1971 et 1973. Déterminé à mettre fin à la domination des Ferrari, le grand patron de l’écurie britannique décide de laisser carte blanche à son directeur technique en vue de la saison 1976. Dessinateur de toutes les Tyrrell depuis la 001, Derek Gardner rêve de concrétiser un projet qui lui tient à cœur depuis plus de huit ans. Créer une Formule 1 à six roues. Là où le pourtant très visionnaire Colin Chapman avait refusé, jugeant l’idée saugrenue, Tyrrell valide le projet fou de l’ingénieur anglais. La P34 est née.
Encensée par la presse et le grand public lors de sa présentation officielle au Heathrow Hilton Hôtel de Londres le 22 septembre 1975, la dernière née des usines d’Ockham adopte une philosophie révolutionnaire pour l’époque. Les deux roues avant sont remplacées par quatre roulettes directrices d’un diamètre de 10 pouces (contre 13 pour les pneus avant traditionnels) censées augmenter la surface de contact au sol tout en réduisant la résistance à l’air de la monoplace. Autres avantages attendus : une meilleure insertion en courbe ainsi qu’une plus grande vitesse de pointe en ligne droite. Extrêmement prometteuse sur le papier, l’intrigante monoplace se révèle pourtant très indocile lors de ses premiers tours de roues.
Une voiture révolutionnaire
Conçu autour de l’architecture du V6 Turbo Renault, le premier modèle de la P34 s’avère terriblement décevant au point de pousser l’écurie à revoir sa copie de fond en comble. Lassé par le manque de performance du moteur français et par ses innombrables soucis de fiabilité, Ken Tyrrell choisit de ne pas respecter son engament avec le constructeur tricolore. Dépourvue de l’immense prise d’air au dessus du casque du pilote, la fédération interdisant les « snorkel » à partir du Grand Prix d’Espagne, la deuxième version réalisée par Gardner perd également 30 cm en longueur et 11 cm en tour de taille. Désormais équipée du V8 Ford Cosworth, la belle affiche une robe plus élancée et un aérodynamisme nettement plus soigné.
Visuellement très attrayante, la monoplace anglaise se pare également de deux petites vitres en plexiglas de part et d’autre du cockpit permettant aux pilotes de juger visuellement de la dégradation de leurs gommes antérieures. Développée pendant tout l’hiver par Patrick Depailler, le Français étant à l’inverse de son coéquipier Jody Scheckter persuadé du potentiel du projet, la P34 se montre enfin conforme aux attentes de son créateur. Pas suffisamment aguerrie pour pouvoir se frotter à l’ensemble du paddock dès l’ouverture de la saison 1976 au Brésil, la dernière née des ateliers d’Ockham accumule les kilomètres en essais privant avant de se voir finalement offrir sa chance à l’occasion du quatrième rendez-vous de la saison en Espagne.
Une première saison prometteuse
Confiée au seul Depailler, la P34 effectue des débuts pour le moins prometteur sur le tortueux tracé de Jarama. Stupéfiant 3ème chrono des qualifications, quand dans le même temps l’autre Tyrrell de Scheckter n’a récolté qu’un modeste 14ème temps à plus d’une seconde du chrono du Clermontois, le Français ne convertit pas en course, la faute à une sortie de piste avant même de conclure le premier tiers du Grand Prix. Peu importe, le potentiel est bien là. Longtemps réfractaire, Scheckter réclame désormais lui aussi la P34. Le Sud Africain étrenne avec succès la monoplace britannique à Zolder (Belgique) en décrochant une belle 4ème place, glanant ainsi les premiers points d’une Formule 1 à six roues.
Malgré une très nette tendance à sous-virer, le problème qu’elle était pourtant censée combattre, l’auto britannique confirme sa montée en puissance deux semaines plus tard à Monaco en montant sur les 2ème et 3ème marches du podium aux mains de Scheckter et Depailler. Le meilleur est encore à venir. En pole position à Anderstorp pour la quatrième sortie officielle de la P34, le natif d’East London remporte le lendemain le Grand Prix de Suède devant son coéquipier tricolore, offrant à Tyrrell son tout premier doublé depuis deux ans. Sujet des moqueries lors de son lancement officiel dix mois plus tôt, la F1 à six roues est désormais crainte par ses adversaires au point que certaines écuries, Ferrari et March en tête, envisagent même de développer leur propre modèle en vue de 1977.
Un rêve inachevé
Si plus jamais la P34 ne goûtera à la victoire, elle récoltera six nouvelles deuxièmes places, permettant à Tyrrell de conclure sa saison 1976 au troisième rang du classement constructeur tandis que Scheckter et Depailler terminent respectivement aux 3èmes et 4èmes places du championnat pilote. Bien que probante, cette première année en compétition de l’intrigante monoplace à six roues ne convainc pas le Sud Africain de rester au sein de l’écurie de Ken Tyrrell, Scheckter préférant miser sur la nouvelle équipe Wolf. La suite donnera hélas raison à celui qui prenait un malin plaisir à surnommer la création de Gardner « le tas de ferraille ». Déjà sérieusement handicapée par une vitesse de pointe extrêmement faible et un double système de freinage sujet à moult défaillances, la P34 accuse de nouvelles tares dans sa version 1977.
Rendue beaucoup plus lourde suite au renforcement du châssis opéré par Gardner, la monoplace désormais teinte en bleu et blanc (les couleurs du nouveau sponsor First National City Bank) souffre également du désintéressement de Goodyear, le manufacturier américain refusant de poursuivre le développement des si spécifiques pneus de la P34. Dès ses premiers essais au volant de la version 2-B, Depailler comprend que le rêve de l’ingénieur britannique ne se concrétisera jamais. Une mauvaise répartition des masses et la fragilité du moteur Cosworth entraînent Tyrrell dans une spirale infernale où les désillusions et les abandons s’enchaînent sans discontinuer. Seuls quatre podiums, dont trois du Français et un obtenu par Ronnie Peterson, viendront sauver les apparences dans cette triste saison 1977. Le sort de la première et dernière F1 à six roues de l’histoire est scellé, Tyrrell choisissant de revenir à une monoplace plus conventionnelle en 1978.