Les contrats sont la chasse gardée du Circus, ne dévoilant aucun élément de ces derniers que cela concerne un pilote, un membre du staff ou même un sponsor. Truffé de clauses ; agrémenté de sommes en euros, dollars ou encore livre sterling ; bourré d’avantages divers et variés, ce bout de papier constitue la plus grande source de spéculations des médias sans jamais connaître la vérité de leurs écrits.
Pourtant, n’importe quelle personne lambda pourrait se dire qu’un contrat reste un contrat, un document (engageant deux personnes selon les termes signés d’une manière bilatérale). Prenons le cas du pilote, objet de notre article, les fans pensent que le contrat signé entre ce premier et l’équipe qui l’emploie n’est qu’un simple contrat de travail. Cela est vrai dans les lignes… à quelques exceptions près !
Avant de débuter notre analyse, définissons ensemble ce qu’est un contrat. Le contrat est un engagement volontaire d'une ou plusieurs parties, visant à s'acquitter de certaines obligations et obtenir certains droits. Le droit du travail est l'ensemble des règles régissant les relations entre employeurs et employés, à savoir le contenu du contrat (quelles sont les clauses que peut contenir le contrat), la rupture du contrat ainsi que les conditions de travail du salarié. Le Code du travail regroupe l'ensemble de ces règles ainsi qu'une partie de la jurisprudence qui clarifie ces normes. Chaque État possède sa propre législation en la matière, même si de nombreuses normes sont communes à chacun. Le contrat de travail est un contrat entre deux parties, l'employeur et l'employé, dont le rapport de force n'est pas équitable. Il est donc nécessaire de protéger la partie dite faible à savoir l'employé. Le droit du travail s'assure que la partie faible n'est pas lésée par le contrat et les conditions de travail.
En France, le droit du travail stipule que le contrat liant une équipe ou organisation à un sportif est un contrat de travail à durée déterminée, du fait de la nature de l'activité.
Même si le contrat d'un pilote de F1 apparaît comme un contrat commercial (du fait de l'utilisation d'une société représentant le pilote, comme c'est le cas pour le contrat entre Senna et l'équipe Lotus), il s'agit d'un véritable contrat de travail. Il existe un réel lien de subordination entre le pilote et son équipe. Ainsi, un pilote peut se voir opposer des sanctions disciplinaires par son équipe en cas de manquement à ses obligations contractuelles. C'était le cas pour Nico Rosberg en 2014, à la suite du GP de Spa suite à son accrochage avec son équipier Lewis Hamilton. Il avait reconnu ses fautes et l'équipe allemande avait décidé de prendre des mesures disciplinaires à son encontre. Cependant, rien n'a filtré quant à la nature de ces sanctions.
Depuis 1991 et l'affaire Schumacher/Benetton/Jordan, la FIA a créé un organisme de contrôle de la légalité des contrats. Cet organisme est le CRB (Contract Recognition Board).
Avec le contrat de 1987 liant A.S. Promotions, société gérant la carrière d’Ayrton Senna à Lotus, disponible sur le site de l’Université de Californie, nous allons tenter de comprendre ce qu’il en ressort exactement.
Dans cet extrait, on peut voir la durée d’engagement, découpée en deux périodes. La première période est considérée comme étant l’engagement initial assorti d’une seconde période appelée « option ». Les options s’expriment généralement en saison complète.
Outre le fait d’être validé par simple accord tacite des deux parties, comme c’est le cas sur le contrat, elles peuvent être aussi conditionnées (exemple : performance, personnels…). Dans ce cas, la clause 9.1 du contrat stipule que A.S. Promotions peut rompre le contrat en cas de non-engagement de l’équipe sur plus de trois Grands Prix successifs durant la saison.
Le contrat de Senna stipule également que la société gérant ses intérêts ne peut entrer en négociation avec une autre équipe qu’à partir du 8 août 1987, date limite à laquelle l’option doit être validée ou levée. Aujourd’hui, cette date se situe entre fin juillet et fin août.
D’un point de vue de l’équipe, il n’y a pas de clause de performance proprement dite. Cependant, la clause 8 du contrat indique que Lotus s’engage « à faire de son mieux » pour fournir une monoplace compétitive à la hauteur de la réputation de son pilote et de l’équipe.
De nos jours, il existe des clauses de performance permettant aux pilotes de rompre leur contrat s’ils n’atteignent pas une certaine place au championnat. Le cas contraire pourrait être défini comme abusif, le pilote étant dépendant de la compétitivité de sa voiture.
Pourtant, certains en ont usé comme BAR avec Jenson Button. Selon le magazine F1Racing, en 2005, BAR pouvait empêcher l’Anglais de repartir chez Williams si son total de points est supérieur ou égal à 70% de celui du leader au lendemain du Grand Prix de Turquie, se déroulant le 21 juillet de cette même année.
Il existe d’autres formes de clauses abusives dans les contrats en F1. Une clause est réputée abusive lorsqu'elle crée un déséquilibre significatif entre les parties, au détriment de la partie faible au contrat. Certaines ont fait l'objet de conflit, car jugées abusives. C'est le cas de la clause de « gardening leave », la clause qui empêche les ingénieurs notamment de partir à la concurrence immédiatement à la fin de leur contrat. Ainsi les ingénieurs doivent observer une période de « chômage » hors de l'entreprise, à la fin de leur contrat et avant de commencer leur emploi suivant. Parfois, les ingénieurs peuvent aussi effectuer une période « au placard » dans l'entreprise, où ils ne peuvent plus accéder aux dossiers et informations sensibles susceptibles d'être utilisées dans son prochain emploi. Cela remplace le « gardening leave ».
Les dernières saisons sont riches en exemple de « garden leave » pour les ingénieurs, c'est le cas pour Peter Prodromou, passé de chez RB à Mclaren entre la saison 2014 et 2015. Mais aussi de Jock Clear, passé de Mercedes à Ferrari entre 2015 et 2016. Le dernier en date est la fameuse histoire concernant l'ingénieur Mercedes Benjamin Hoyle, l'équipe Allemande suspectait un départ de ce dernier pour Ferrari, après avoir eu accès à des données sensibles.
La FIA a donc précisé à nouveau, dans une décision rendue le 29 novembre 2015, que tout employé aéro doit s'acquitter d'une période appropriée de « gardening leave ». La FIA ne précise pas quelle est la durée appropriée, l'usage veut que celui-ci soit de 6 mois. Au-delà d'une telle durée, cela peut être considéré comme abusif envers l'employé. En effet, un ingénieur perd ses propres connaissances et compétences, le monde de la F1 évoluant très vite en matière technique.
Il existe aussi d’autres cas de rupture de contrat, comme nous avons pu le voir au début de la saison 2015 avec l’affaire Van der garde/Sauber.
Le droit international privé est l'ensemble des règles juridiques qui régissent les situations de droit privé en présence d'un élément d'extranéité, c'est-à-dire lorsque l'une ou plusieurs des parties concernées ne possède pas la nationalité d'une ou des autres, ni de celle régissant le contrat. Un contrat peut être conclu entre deux personnes ou société de nationalité différentes, suivant les règles juridiques d'un 3e Etat. Différents systèmes juridiques sont donc concernés, et cela peut avoir différentes conséquences suivant la finalité du contrat. En cas de conflit entre les parties, les règles du droit international privé interviennent afin de déterminer comment résoudre la situation et sous quelle(s) juridiction(s). Cependant, le contrat lui-même peut déterminer dans ses clauses, et à condition que cela ne lèse pas la partie faible, quelle juridiction sera saisie ou à quel arbitrage il sera fait appel en cas de différend.
Ainsi, dans l’exemple cité un peu plus haut, Giedo Van der Garde avait, après avoir porté le conflit auprès des juridictions suisses (nationalité de l'équipe partie au contrat), avait ensuite saisi la cour australienne pour application de la décision suisse, le contrat étant applicable en Australie également.
Par conséquent, le contrat de travail du pilote est soumis à autant de règles juridiques qu'il y a de pays concernés.
La rémunération d’un pilote se découpe en deux parties : une partie fixe appelée « rémunération » et une seconde partie variable dépendante de la réussite du pilote.
Cette partie variable est généralement proportionnelle aux points marqués sur la saison, au nombre de victoires voire même au titre remporté. Si certains sont généreux sur ces aspects, les conditions de versement sont parfois discutables. A une époque, McLaren versait la prime victoire dès la deuxième remportée par le pilote.
Durant la saison 1987, Senna a touché environ 1,32 million d’euros de salaire fixe auquel s’ajoute une prime au point de 3 500 euros. Au total, en 1987, Senna a touché 1,5 million d’euros.
S’il avait couru pour Lotus en 1988, Senna aurait touché 1,5 millions d’euros et 4 400 euros par point marqué.
Une autre clause de cet appendice stipule qu’en cas de titre, une prime exceptionnelle de 220 000 euros sera versée au pilote.
Aussi, le contrat prévoit un défraiement de 35 000 euros pour les voyages et hébergement sur les circuits couverts lors de la saison.
Comme nous pouvons le voir sur la première partie de l’extrait, une quote-part peut être déduite du salaire au bénéfice de l’administration fiscale britannique, lieu de domiciliation de l’équipe. Dans la clause 3.13 du contrat, il est notifié que le pilote ne payera pas de taxes à l’administration fiscale britannique n’étant pas un résident britannique.
Depuis longtemps, les pilotes signent des engagements commerciaux avec des sociétés assurant ce qu’on appelle un sponsoring personnel. Ces sponsors sont généralement présents sur les tenues des pilotes mais n’apparaissent pas sur la monoplace sauf accord direct entre l’équipe et les sponsors.
Nous avons vu ça par exemple avec Michael Schumacher et son sponsor personnel Deutsche Vermögensberatung.
Dans le cas de Senna, il avait le droit d’avoir au maximum quatre sponsors personnels pouvant être présents sur l’ensemble de sa tenue, les logos ne devant pas dépassés une certaine dimension (30 cm x 12 cm).
Sur le casque, le cas est un peu plus particulier. Les deux côtés de ce premier sont réservés pour le sponsor principal du pilote. Sur le bas du casque, Senna peut ajouter un deuxième sponsor.
Cependant, le Brésilien ne peut pas choisir n’importe quels sponsors. Le contrat stipule clairement que ces derniers doivent ne pas entrer en compétition avec les sponsors de l’équipe (Camel, Elf, DeLonghi, Good Year, Honda). Cette dernière a un droit de regard sur les sponsors personnels de son pilote et doit les approuver. La clause 11 explique que les sponsors du pilote ne doivent pas entrer en conflit avec les intérêts des sponsors de l’équipe, induisant l’essence, les pneus, les freins et Lotus Cars Ltd.
Senna dispose d’un accord avec Ford Brazil au moment de la signature du contrat. Il assure la promotion des véhicules de la marque de Détroit sur le sol brésilien. De fait, Lotus autorise par le biais de l’appendice 3 le maintien de cet accord.
De nos jours, avec la recrudescence des pilotes payants, il est de mise de faire une petite parenthèse. Ces derniers peuvent apporter des sponsors personnels aidant à payer leur volant mais certains comme Felipe Nasr qui apporte un plus gros sponsor payant l’équipe et permettant à cette dernière de faire courir deux voitures. Ce type de sponsoring n’est pas considéré comme du sponsoring personnel.
Mais l’équipe comme les sponsors ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent avec le nom et l’image de leur pilote. Selon la clause 3.8, Lotus et ses sponsors ont le droit d’utiliser le nom et la renommée de Senna pour la promotion de produits pendant la durée du contrat. Cependant, ils ne peuvent pas attribuer des propos à leur pilote et reproduire la signature de ce dernier pour les autographes par exemple. Enfin, le pilote doit cautionner le tabac et accepter d’en assurer la promotion, sans préjudice avec les intérêts de son équipe.
Le pilote reste un outil marketing pour l’équipe. Il doit adopter une attitude irréprochable et professionnelle afin de ne pas desservir les intérêts et l’image de l’équipe et de ses sponsors.
On peut se souvenir des frasques de Fernando Alonso la saison passée sur le moteur Honda, le traitant de « GP2 Engine ». Alain Prost a également subi les foudres d’une déclaration malheureuse, comparant sa Ferrari à un camion, ce qui lui valut d’être licencié sur-le-champ.
Il est dit dans le contrat de Senna qu’il doit être « professionnel avec l’équipe entière, assidu et coopératif ». Il se doit d’avoir un comportement irréprochable en lien avec son statut au sein de l’équipe.
Senna était le pilote numéro 1 de Lotus, lui donnant un traitement préférentiel. Mais qu’offre ce statut au Brésilien ? Formellement, être pilote numéro 1 permet d’être assuré de participer à toutes les courses du championnat et d’avoir la priorité sur les évolutions de la voiture durant toute la saison. Aussi, ce statut confère la possibilité d’assurer la présence de sponsors de l’équipe et/ou de personnel clé.
Dans le présent contrat, à l’appendice 4, Lotus assure la présence durant la première période des sponsors R.J. Reynolds Tobacco International Inc. Via sa marque Camel, Elf et Honda, motoriste de l’équipe.
Aussi, cet appendice assure la présence durant toute la première période de Gérard Ducarouge au poste d’ingénieur en chef.
La F1 représente un sport à risques. De fait, le pilote et l’équipe sont obligés de souscrire à diverses assurances.
Le pilote, par le biais du contrat, est obligé de souscrire une assurance vie pour lui-même d’un montant minimum de 67 000 euros.
L’équipe s’engage également à souscrire une assurance indemnité contre les tiers. Pour faire simple, cette assurance n’est autre qu’une sorte de responsabilité civile. Elle protège l’équipe et le pilote contre des accidents avec des tierces personnes, à savoir les autres pilotes, le coéquipier compris.
Comme on a pu le voir via cet exemple, les contrats en F1 sont très complexes et « hyper bétonnés ». L’objectif est de ne rien laisser au hasard et de protéger à la fois la réputation de l’équipe et celle du pilote. Si certaines clauses sont communes à tous les pilotes, d’autres sont particulières et à la convenance de ce dernier et de son image.
La complexité juridique de ce papier montre aussi les limites d’un système qui fait encore scandale de nos jours, notamment avec les différentes affaires Sauber, malgré la présence du CRB créé par la FIA. Peu importe le contenu et la taille du contrat, il sera d’utilité minime en cas de conflit entre le pilote et l’équipe.