De retour en compétition en 2016 (sous forme d'écurie officielle), Renault F1 est un des piliers de la Formule 1, nous vous proposons ici de vous faire vivre la genèse de cette formidable aventure, débutée il y a bientôt 40 ans. Un grand merci à Benoît CASAERT qui vous offre ici un extrait de son ouvrage "Renault en Compétition" et vous raconte l'étonnante épopée du constructeur français à travers les âges de la F1.
1981 : Renault-Elf à son zénith (2ème partie).
3 - Grand Prix de France : La première victoire à domicile.
Incontestablement, le Grand Prix de France 1981 restera dans les annales du sport automobile. En effet c’est sur le circuit de Dijon Prenois qui avait vu la première victoire de Jean-Pierre Jabouille et d’une Renault Turbo deux ans plus tôt, qu’Alain Prost remporta la première victoire de sa carrière en offrant à la RE 30 son premier succès. C’était le dimanche 5 juillet 1981...
35 ans plus tard, on s’en souvient encore…
Les deux semaines qui ont suivi le grand prix d’Espagne ont été l’occasion pour l’équipe Renault-Elf d’effectuer de nombreux essais sur le circuit de Dijon Prenois, qui se trouve être le circuit de prédilection de la RE 30, en prévision du Grand Prix de France.
La RE 32 d’Alain Prost est redécorée sur le modèle de la RE 33 de René Arnoux. On assiste également à l’apparition, sur la RE 30, d’un nouvel aileron avant avec des dérives aux angles arrondis qui remplacent les anciennes dérives de forme triangulaire. En ce début du mois de juillet, les RE 30 ont fière allure lorsqu’elles s’élancent sur circuit de Dijon Prenois lors de la séance des essais libres du Grand Prix de France. A noter que la RE 31 sert de voiture de réserve comme pour le Grand Prix d’Espagne.
Malgré les nombreuses averses intermittentes qui s’abattent sur la piste et les difficultés de réglage des pneumatiques qui en découlent, les RE 30 se portent à merveille et ce sont les deux bolides jaunes et noirs qui dominent les séances d’essais, même si Prost est confronté à des problèmes d’adhérence avec la RE 32. Quant à Arnoux, au volant d’une RE 30 qui file comme l’éclair, ses résultats atteignent enfin le niveau de son talent : il réalise sa première pôle position de la saison aux essais qualificatifs. Il s’agit de la première pôle position de la RE 30 ! Prost parvient tout de même à se classer en troisième position, malgré ses problèmes de tenue de route et du fait d’une pression du turbo inférieure à celle de la RE 33 d’Arnoux. Pour augmenter sa vitesse de pointe, Arnoux avait fait enlever ses deux prises d’air de type « NACA », alors que Prost avait décidé finalement de les faire remettre avant la séance d’échauffement du dimanche matin, en espérant ainsi remédier à son problème de tenue de route.
Néanmoins, dès le départ du Grand Prix de France, à la surprise générale, la RE 33 d’Arnoux est débordée par la Brabham BT 49C de Nelson Piquet qui s’empare ainsi du commandement. John Watson le suit de loin avec sa McLaren MP4 tandis qu’Alain Prost, au volant de sa RE 32 essaye tant bien que mal de remonter sur lui, sans succès pour le moment. La RE 32 de Prost souffre en effet de deux problèmes : l’un, aérodynamique, l’aileron à porte à faux avant, mal fixé, part dans tous les sens, et l’autre, mécanique, le quatrième rapport de la boîte de vitesse est défaillant ; ce qui fait qu’avec une formule 1 largement plus rapide que les deux voitures de tête, il ne parvient pas à les rattraper. Prost s’efforce alors de ménager la boîte de vitesse de sa RE 32 ; tandis qu’Arnoux, loin derrière, en huitième position est confronté au même problème avec sa RE 33.
Mais à mi-course, des nuages noirs couvrent le ciel de Dijon. Soudain, un violent orage se déclare et la pluie s’abat sur la piste. Au 58ème tour, un rideau d’eau est descendu sur le circuit. C’est pourquoi les organisateurs décident d’arrêter la course, alors que les concurrents n’avaient pas encore parcouru plus des trois quarts de la totalité de la distance à couvrir. Or le règlement stipule que dans ce cas, un deuxième départ doit être donné une fois l’orage passé. La course se disputera donc en deux manches et la victoire sera donnée par addition des temps. Celui qui aura réalisé le meilleur temps des deux manches sera déclaré vainqueur.
Mais Prost est furieux. En effet, il redoute un second départ, car il a peur que la boîte de vitesse de la RE 32 ne vienne à lâcher. Par chance, l’interruption de course dure 45 minutes. Les réparations étant autorisées dans ce cas exceptionnel, Michel Têtu et son équipe d’ingénieurs en profitent pour démonter la boite de vitesse de chacune des deux RE 30, pour débloquer le quatrième rapport. L’aileron avant de la RE 32 de Prost est fixé sur un nouveau support en aluminium. La décision de Gérard Larrousse a été également capitale. Prenant en compte le nombre réduit de tour à parcourir (22), il décide avec des techniciens de Michelin de prendre le risque de faire chausser les RE 30 de pneus tendres. Watson prend également le second départ avec sa MP4 chaussée de pneus tendres. Piquet fait en revanche le mauvais choix : il opte pour des pneumatiques à gomme dure.
En effet, à la grande surprise de Nelson Piquet, la pluie s’est arrêtée et la piste a séché. Alain Prost ayant retrouvé l’usage de sa quatrième vitesse et disposant maintenant d’un aileron avant bien fixé, dépasse Watson et Piquet dès les premiers mètres. La RE 32 de Prost prend alors la tête du Grand Prix de France, tandis qu’Arnoux est toujours privé de l’usage du quatrième rapport de sa boîte de vitesse ; ce qui l’empêche de réaliser un doublé historique. Il ne peut en aucune façon tenter de dépasser Piquet et Watson sans casser sa boîte de vitesse. René Arnoux décide alors, dans ces conditions de lever le pied pour conserver son honorable quatrième place. Mais devant, Watson, au volant d’une MP4 très rapide dans les courbes, remonte sur la RE 32 de Prost et le double, non sans difficulté, car la Renault-Elf rattrape très vite la McLaren dans les lignes droites. C’est alors qu’un magnifique duel s’engage. Prost déboîte d’un seul coup après avoir pris l’aspiration de la voiture de son adversaire et le dépasse sans difficulté, au volant d’une RE 30 au fait de sa puissance. En bouclant son dernier tour, Alain Prost, grandiose, alors qu’il est encore dans la dernière ligne droite, ne peut s’empêcher de contenir sa joie et lève les bras vers le ciel alors qu’il est à plus de 300 km/h, en franchissant pour la première fois la ligne d’arrivée, en tête sous le drapeau à damiers ! Quant à René Arnoux, il réussit à terminer en quatrième position.
Prost et sa RE 30 viennent de réitérer, le 5 juillet 1981, l’exploit de Jabouille et de sa RS 10 à Dijon un certain 1er juillet 1979. Si « le ciel a sauvé Prost » comme se plait à titrer le magazine Sport Auto, on peut également ajouté que c’est la RE 30 et plus particulièrement la RE 32 qui a sauvé Prost ! En effet, ayant pulvérisé le record de Nelson Piquet effectué lors de la première manche, Alain Prost, grâce à la RE 30, est déclaré vainqueur de la deuxième manche et du Grand Prix de France.
Dijon restera pour toujours, le circuit des Renault Turbo. Le Grand Prix de France 1981 restera quant à lui, plus que jamais le jour de la première victoire et du triomphe de la RE 30.
La nouvelle formule 1 a enfin concrétisé tous les espoirs et c’est alors que s’annonce un été plein d’espoirs jaunes et noirs.
4 - Un été plein d'espoirs Jaune et Noir.
Le Grand Prix de France 1981 a véritablement marqué l’avènement de la RE 30. La magnifique victoire d’Alain Prost à Dijon a montré que la nouvelle formule 1 est enfin opérationnelle. Mais la RE 30 doit désormais confirmer sa belle performance dans des conditions normales.
Les deux semaines précédant le grand prix d’Angleterre, qui doit se tenir sur le mythique circuit de Silverstone le 19 juillet 1981, seront l’occasion pour la RE 30 de connaître, de nouveau, d’importantes améliorations aérodynamiques. Les prises d’air « NACA » font désormais partie intégrante de la carrosserie des RE 30. L’aileron arrière traditionnel « Renault Sport » doit laisser la place à un nouvel aileron arrière plus conventionnel ; ce qui donne à la RE 30, une ligne encore plus fluide qu’auparavant, augmente l’effet de sol et sa vitesse de pointe. Alors que la RE 30 atteignait encore péniblement les 315 km/h à Dijon, lorsqu’elle arrive à Silverstone le 15 juillet, après quelques améliorations techniques, elle réalise des pointes entre 330 et 340 km/h pour une puissance du turbo portée à 585 CV environ ; ce qui en fait la voiture la plus rapide du plateau. Même la nouvelle Brabham BT 49C Turbo ne parvient pas à dépasser les 320 km/h. Avec la RE 33, Arnoux réalise la pôle position dès le jeudi après-midi et confirme les jours suivants notamment aux essais qualificatifs du samedi après-midi. Alain Prost, avec des réglages différents de ceux de René Arnoux, se classe en deuxième position avec sa RE 32. La première ligne de la grille de départ du Grand Prix d’Angleterre est jaune et noire pour la première fois de la saison. La RE 30 a littéralement écrasé ses rivales aux séances d’essais à telle point que René Arnoux au volant de sa RE 33 a battu le meilleur temps du circuit. Pourtant la chaleur torride qui règne à Silverstone ne présage rien de bon pour les moteurs suralimentés.
Dès le signal du départ du Grand Prix d’Angleterre, c’est Alain Prost qui s’élance en tête au volant de sa RE 32, devant René Arnoux, au volant de sa RE 33. Les deux RE 30 caracolent en tête. Elles démontrent ainsi une bonne fois pour toute aux équipes anglaises que le ridicule surnom de « théière jaune » donné aux Renault Turbo en 1977 à cause du moteur qui fumait et du temps de réponse du turbo, n’est plus du tout justifié. Sur le sol anglais, il semble désormais que les RE 30, imbattables, roulent vers un doublé historique. Mais hélas le 18ème tour est fatal à la RE 32. Prost doit se résoudre à abandonner, soupapes grillées, alors qu’il était pratiquement sûr de gagner ! La RE 33 de René Arnoux prend alors la tête de la course et domine le Grand Prix d’Angleterre de bout en bout. Malheureusement, le moteur de la RE 33 se met à fumer à sept tours de la fin. John Watson au volant d’une McLaren MP4 en pleine forme parvient sans difficulté à dépasser la RE 30 défaillante et à prendre la tête de la course. Le public anglais exulte et Watson remporte le Grand Prix d’Angleterre 1981 après avoir remonté tout le peloton et profité de la malchance d’Alain Prost et de René Arnoux. Ce dernier n’a même pas la consolation d’une brillante deuxième place, le moteur de sa RE 30 rendant l’âme à seulement trois tours de la fin. La RE 33 vient s’arrêter sur le bas côté et c’est un nouveau coup du sort qui frappe l’équipe Renault-Elf : Arnoux n’a d’autre choix que d’abandonner.
Comme les autres Renault Turbo, le talon d’Achille de la RE 30 semble être la fiabilité.
Ce qui devait être le triomphe de la RE 30 a été le triomphe de la MP4. Et c’est la firme KKK qui en est en partie responsable, l’équipement livré n’étant pas adapté au moteur de la RE 30, trop sophistiqué. René Arnoux rapporte à l’équipe la maigre consolation d’avoir fait le meilleur temps en course.
Néanmoins c’est avec la rage de vaincre que l’équipe Renault-Elf arrive sur le circuit d’Hockenheim le 30 juillet pour disputer le Grand Prix d’Allemagne qui doit avoir lieu le dimanche 2 août 1981 et elle a bien l’intention de laver l’affront de Silverstone à cette occasion. Alain Prost et René Arnoux ont déjà chassé le mauvais souvenir de la débâcle du Grand Prix d’Angleterre.
Il n’y a pas à dire, sur le tracé rapide d’Hockenheim, les RE 30 font la loi. Alain Prost, au volant d’une RE 30 au mieux de sa forme, signe la première pôle position de sa carrière ; tandis qu’Arnoux réalise le deuxième temps. Comme à Silverstone, la première ligne est jaune et noire. Mais la question se pose maintenant : les RE 30 vont elles supporter les rigueurs de la course ? Rien est moins sûr. En effet la température est, comme en Angleterre, caniculaire. Dès lors une surchauffe des moteurs, qui peut-être fatale aux RE 30, est à redouter par dessus tout. Néanmoins, Prost s’élance en tête au départ du Grand Prix d’Allemagne, au volant de sa RE 32 qui semble bien se comporter. René Arnoux, au volant de sa RE 33, suit la RE 32 de Prost. Un doublé a l’air envisageable. Mais quelques tours plus tard, Arnoux n’est pas aussi chanceux que Prost : il est victime d’une crevaison suite à une touchette de la Brabham BT 49C de Nelson Piquet qui n’en est même pas endommagée. En tête du peloton, Alain Prost se fait rattraper par Alan Jones, au volant de la toute nouvelle version de la Williams FW 07C qui se montre plus rapide dans les virages que la RE 32 du Français. Un superbe duel s’engage alors entre Jones et Prost ; ce dernier contenant, avec beaucoup de sang froid pour sa jeunesse, les assauts de l’Australien déchaîné. Mais juste après avoir dépassé René Arnoux, attardé, Prost se fait prendre par surprise par Jones qui a profité de cette occasion pour l’attaquer dans le virage de la Sachs Kurve. Sûr des performances de la RE 30, Prost accélère au maximum en ligne droite pour tenter de rattraper la FW 07C de Jones, normalement moins rapide. Mais en raison du dérèglement d’un limiteur de régime qui s’est mis à couper 600 tours de trop, au lieu de tourner à 11000 tours/min en course, le moteur de la RE 30 tourne désormais à seulement 10400 tours/min. La RE 32 de Prost perd ainsi beaucoup de sa puissance et de sa vitesse habituelle. Mais par chance, le moteur atmosphérique V8 Ford Cosworth de la Williams FW 07C de Jones fait des siennes, du fait d’un problème de suralimentation. En conséquence, l’Australien est contraint de retourner à son stand et se retrouve 11ème. Pourtant Prost est dans l’impossibilité de reprendre la tête, la Brabham BT 49C de Nelson Piquet, au mieux de sa forme, ayant remonté sur la RE 32 en difficulté. Piquet dépasse Prost et remporte le Grand Prix d’Allemagne ; ce qui le relance pour la course au titre. Quant à Alain Prost, il réalise à cette occasion la première deuxième place de sa carrière, mais sa déception est grande, la victoire lui ayant échappé de si peu...
Pourtant, refusant de se laisser abattre, l’équipe Renault-Elf se rend sur le circuit de Zeltweg dans les montagnes autrichiennes en prévision du Grand Prix d’Autriche qui doit se tenir le dimanche 16 août 1981, espérant enfin gagner.
Jean-Pierre Jabouille, devenu directeur technique de l’équipe Ligier, se remémore son éblouissante victoire de l’année passée à ce même Grand Prix d’Autriche ; une victoire qui s’avéra être plus tard, hélas, la dernière de sa carrière. La RE 30 semble être en mesure de pouvoir renouveler la performance de son aïeul, la RE 20. Jabouille, nostalgique, sourit devant la détermination d’Alain Prost et de René Arnoux, bien décidés à remporter une victoire qui vient de leur échapper par deux fois en Angleterre et en Allemagne. La conjugaison de gommes tendres et de la bonne santé des moteurs suralimentés en altitude, tout cela ajouté à l’extraordinaire rapidité des RE 30, leurs permettent de monopoliser la première ligne pour la troisième fois consécutive. Il n’y a pas de doute, dans des circuits aussi rapides, les RE 30 surclassent leurs rivales grâce à leur grande puissance et à leur rapidité en ligne droite. René Arnoux réalise sa troisième pôle position de la saison tandis qu’Alain Prost fait le deuxième temps.
Au départ du Grand Prix d’Autriche, c’est Gilles Villeneuve au volant de sa Ferrari 126 CK Turbo qui prend la tête. Mais au deuxième tour, voulant résister à l’attaque de Prost, au volant de sa RE 32, Villeneuve sort de la piste à la chicane et entraîne dans son sillage Carlos Reutemann, au volant de sa Williams FW 07C, dans l’échappatoire. Prost et Arnoux prennent alors la tête de la course, ainsi qu’une avance considérable de 19 secondes sur leurs poursuivants. Mais hélas, ils ne sont pas au bout de leur peine. En effet au 27ème tour, le basculeur gauche de la suspension avant de la RE 32 casse et Prost doit abandonner comme à Silverstone, la mort dans l’âme. René Arnoux prend alors le commandement. Mais Jacques Laffite, au volant de sa Talbot Ligier JS 17 remonte inexorablement sur Arnoux, au volant de sa RE 33, qui ne peut faire autrement que de s’incliner devant lui au 39ème tour et de se contenter ainsi de sa première deuxième place de la saison.
Mais la victoire, si proche pourtant, est manquée une fois de plus, comme précédemment. L’équipe Renault-Elf encourage Alain Prost qui peut encore espérer un titre de champion du monde s’il remporte les quatre derniers grands prix de la saison.
Ce troisième chapitre s’achève ici, en ce 16 août 1981, non pas que l’été soit fini, mais Alain Prost vient de courir son dernier grand prix au volant de la RE 30 de première génération. Le temps des espoirs va également laisser la place à la concrétisation, mais cette domination sera trop tardive.
(...A SUIVRE...)