Que doit-on retenir de Kimi Räikkönen ? Beaucoup pensent à sa personnalité décalée, tantôt célébrée, tantôt conspuée, qui a fini par prendre le pas sur sa carrière. Il est vrai que ces dernières années, le Finlandais semblait le plus souvent en pilotage automatique.

Mais il fut un temps où Iceman se battait avec Fernando Alonso pour la place de référence du plateau, notamment chez McLaren avec qui il réalisa ses plus beaux exploits. Pour beaucoup, Suzuka 2005 reste l'apogée de cette dynamique.

Le festival de Räikkönen au Japon 2007

Ce n'est pourtant pas en combinaison grise que Räikkönen finit par conquérir le titre mondial qu'il méritait tant, mais bien revêtu de la parure écarlate en 2007. Une couronne acquise presque par surprise puisque au nez et à la barbe des favoris qu'étaient Lewis Hamilton et Fernando Alonso. Il faut dire qu'à deux courses du but, Kimi comptait dix-sept points de retard sur vingt à prendre.

Au soir du Grand Prix du Japon, il était facile de le retirer de la liste des prétendants crédibles au titre. Pourtant, cette course-là fut décisive dans son attribution, en plus d'être une performance de grande valeur qu'on tend à mettre de côté.

Stratégie brumeuse

© Scuderia Ferrari

Au moment de poser ses valises au pied du Mont Fuji, le petit monde de la F1 est encore convalescent du fameux « Spygate », cette retentissante affaire d'espionnage qui valut à McLaren une exclusion du championnat constructeur – ainsi déjà attribué à Ferrari – et 100 millions de dollars d'amende. Heureusement, ni Alonso ni Hamilton ne virent leurs résultats effacés des tablettes et restaient en première ligne pour la bataille au championnat pilote.

Littéralement dans ce cas puisque les deux McLaren signèrent les deux meilleurs temps en qualifications, devant Räikkönen et Felipe Massa. Le Brésilien à cet instant avait déjà enfilé son costume de n°2, missionné par son équipe de seconder Räikkönen, en opposition à une équipe McLaren laissant carte blanche à ses deux pointures. Sauf que la bataille entre gris et rouges s'avéra caduque avant même que le départ ne fut lancé.

La pluie qui avait frappé le circuit dès le samedi s'accompagna d'un brouillard tenace. Dans ces conditions rappelant le final légendaire de 1976 en ces lieux, impossible de prendre un départ ordinaire, et la Safety Car se chargea d'ouvrir les hostilités. Tous les pilotes étaient chaussés de pneus Pluie, bien entendu. Non seulement les conditions les rendaient indispensables, mais la FIA les avaient même décrétés obligatoires par mesure de sécurité.

Tous les pilotes... sauf les deux Ferrari, équipées en intermédiaires ! Pas étonnant dès lors de voir Massa partir en toupie au deuxième tour même à vitesse modérée. La justification de la Scuderia rendit la situation encore plus ridicule : ils n'avaient reçu le mail de la FIA spécifiant le caractère obligatoire des pneus pluie qu'après le départ de la course... Räikkönen et Massa durent changer de gommes au plus vite et se retrouvèrent en fond de peloton. Avec les projections d'eau, la remontée allait s'avérer plus compliquée...

Discret mais efficace

© Scuderia Ferrari

D'autant plus compliquée que ces conditions dantesques poussèrent la direction de course à prolonger la neutralisation jusqu'à l'écœurement : 19 tours sous Safety Car ! Il faut dire que d'autres pilotes dérapèrent plus que de raison derrière la Mercedes de sécurité, dont Räikkönen à la chicane. Afin d'assurer leurs arrières, lui et Massa effectuèrent un autre ravitaillement durant cette période. Bien leur en prit puisque certains s'acquittèrent de cette tâche juste avant le restart, diminuant leur handicap.

Räikkönen prit ainsi son vrai départ en seizième position. Son équipier n'allait pas le suivre très longtemps, puisque percuté par un Alexander Wurz en perdition, avant de purger une pénalité pour avoir dépassé Nick Heidfeld sous Safety Car. Felipe avait en effet cherché à récupérer sa position après son premier tête-à-queue, ce qui était interdit par le règlement.

Kimi entama alors son comeback. Discret dans un premier temps puisque gavé d'essence face à des concurrents bien plus légers, il se stabilisa au dixième rang derrière Heidfeld au vingt-septième passage. Devant lui, les leaders s'arrêtèrent successivement aux stands pour effectuer leur seul ravitaillement, non sans rester devant la Ferrari.

Leaders qui, outre les McLaren, incluaient la Toro Rosso de Sébastian Vettel ! L'Allemand commençait tout juste à se faire connaître. Un peu optimiste, il s'emmêla même les roues avec Alonso dans une tentative de dépassement. Dans l'aventure, Fernando repartit derrière Räikkönen.

Le bal des ravitaillements ramena le Finlandais en cinquième place, jusqu'à devoir effectuer son dernier plein. Hélas le tuyau peina à s'accoupler immédiatement, lui faisant perdre quelques précieuses secondes. Kimi ne pointait plus qu'en douzième position, et virtuellement éliminé de la course au titre. Il s'agissait de sauver quelques points plus qu'autre chose.

C'est alors qu'Alonso perdit le contrôle de sa McLaren et percuta le rail de plein fouet à la sortie du virage 5. On ne le mesurait pas complètement sur le moment, mais il s'agissait du tournant du championnat pour l'Espagnol, ce qu'il reconnut par la suite.

Danse de la pluie

© Scuderia Ferrari

La Safety Car revenait en piste, annulant l'écart séparant Räikkönen du peloton de tête. Autre coup de pouce du règlement : la pitlane restait fermée jusqu'à ce que toutes les voitures ne soient regroupées. Ainsi les pilotes en quête d'essence devaient attendre ce moment pour satisfaire leur besoin. Les outsiders bien placés qu'étaient Vitantonio Liuzzi et Adrian Sutil en payèrent le prix et revinrent à la case départ.

Plus incongru : Vettel percuta Mark Webber, toujours en pleine neutralisation ! Sébastian fut surpris par le ralentissement de Hamilton, qui gérait le rythme sous Safety Car, et ne put éviter la Red Bull de son aîné. Deux candidats au podium en moins. Ce ne sera pas le dernier contact de Vettel avec Webber... ou sous Safety-Car !

Tout cela ramena Räikkönen en septième position lorsque le drapeau vert refit surface. C'est là qu'il se rappela au bon souvenir de tous, avalant coup sur coup Heidfeld et Giancarlo Fisichella dès le restart, quoique ignoré par la couverture TV. Cela dit, les écrans permirent de prendre bonne note de sa trajectoire baroque à l'enchaînement des virages 4 et 5, complètement à l'extérieur en dépit des zones bien plus humides. Un choix risqué mais payant lorsqu'il surgit des projections et surprit Coulthard au dernier moment à l'abord du virage 6.

Une manœuvre splendide qui l'amena en quatrième place, puis troisième lorsque Massa effectua son ultime ravitaillement, à neuf tours du but. Prêt à prendre tous les risques, Kimi se paya le luxe de deux sorties larges dans son dernier effort, bien aidé par les dégagements en asphalte permettant ces débordements.

Ce qui n'échappa pas à Massa et Kubica plus tard... En attendant, Räikkönen harcelait Kovalainen et continuait à se déporter sur son nouveau virage fétiche. Il tenta à nouveau son entourloupe au dernier tour et crut toucher au but, mais conscient du danger, Heikki parvint à le recroiser en sortie de virage. Räikkönen allait rester troisième.

Sourire discret

© Scuderia Ferrari

Devant, Lewis Hamilton remportait sa quatrième victoire de la saison et de sa carrière, probablement la plus belle à cet instant. Avec l'abandon de son équipier et Räikkönen relégué à dix-sept points, on voyait déjà l'Anglais comme le premier champion du Monde dès son année d'introduction à la discipline. C'est pourtant avec cette chevauchée désespérée, dans l'ombre de Hamilton, que Räikkönen sauva ses chances, avant de tirer le meilleur parti des faiblesses de ses adversaires en Chine et au Brésil.

Pour un titre mondial qui à défaut de contenter tout le monde, ne fâcha presque personne. Même Ron Dennis, pourtant défait, ne put cacher un sourire au soir d'Interlagos. Après tout, Iceman avait connu ses plus belles heures sous ses couleurs...