Livrée lors du dernier jour des tests d’intersaison, la McLaren MP4/4 va littéralement écraser la concurrence lors de l’inoubliable saison 1988. Singulière de part son architecture ultra plate et sa hauteur très basse, la monoplace dessinée par le duo Gordon Murray-Steve Nichols tire sa force de son exceptionnelle efficacité aérodynamique et de son redoutable moteur Honda. Avec 15 victoires en 16 Grand Prix, elle demeure encore aujourd’hui la monoplace la plus dominatrice de toute l’histoire de la Formule 1.
Marquée par une saison 1987 terriblement frustrante pour son double champion du monde en titre Alain Prost (seulement trois petites victoires au compteur), McLaren a décidé d’opérer plusieurs changements significatifs à l’aube d’une année 1988 qui va se révéler tout bonnement historique pour l’écurie chère à Ron Dennis. Lassé par le manque de performance du moteur TAG Porsche, le team manager britannique s’est assuré les services de la référence du moment en liant le sort de son écurie au motoriste japonais Honda. Côté pilotes, le décevant Stephan Johansson a laissé place à l’étoile montante de la Formule 1 et nouvelle star du paddock en la personne d’Ayrton Senna. Forte de cette enthousiasmante combinaison de nouveautés, l’équipe anglaise se présente comme l’une des favorites de la prochaine saison. Pourtant, la descendante de la très moyenne MP4/3 va longtemps se faire attendre.
Première vraie création du duo Gordon Murray-Steve Nichols, le génial ingénieur sud-africain n’ayant eu qu’une influence minime sur la précédente création de McLaren, la MP4/4 adopte une philosophie bien différente de ses devancières. Inspirée de la Brabham BT55, elle opte pour une architecture ultra plate et une hauteur très basse afin de garantir une efficacité aérodynamique maximale. Réduite d’environ 30%, la zone frontale permet notamment un meilleur écoulement de l’air en direction de l’aileron arrière sans souffrir d’une trainée excessive. Dotée d’une toute nouvelle boîte de vitesse longitudinale à trois arbres, la dernière née se singularise également par une position de conduite inédite pour l’époque.
Une silhouette singulière
Confrontés au design spécifique de la monoplace et aux nouvelles normes à respecter en terme de sécurité, la FIA imposant désormais aux écuries que le casque des pilotes ne dépasse pas une ligne droite imaginaire entre le haut de l’arceau de sécurité et le sommet du capot, les concepteurs de McLaren choisissent de positionner le baquet légèrement en arrière, conférant ainsi aux pilotes une posture semi-allongée quand la position assisse prévalait jusque-là. Extrêmement épurée d’un point de vue esthétique, la MP4/4 arbore également un nez très long répondant aux nouvelles normes sécuritaires de la FISA (Fédération Internationale du Sport Automobile) qui exigent que les pieds des pilotes ne n’outrepassent pas les essieux-avants.
Dernier atout et non des moindres : le Honda RA168-E, ultime évolution du moteur dominateur de la F1 depuis deux saisons. Plus compact, plus léger et moins gourmand en essence, la nouvelle réglementation limitant la taille de réservoir à 150 litres (contre 190L précédemment), le moteur nippon développe 650 chevaux en dépit de la bride d’admission du turbo désormais fixée à 2,5 bars. Doté d’un centre de gravité rabaissé, favorisé par l’utilisation d’un nouvel embrayage de plus petit diamètre, le bi-turbo japonais s’intègre parfaitement dans le châssis de la MP4/4 et s’offre même le luxe d’afficher une consommation en recul de 20%. Finalisé jusque dans les moindres détails, le premier modèle ne prend la piste que lors de la toute dernière journée des tests d’intersaison organisée sur le circuit d’Imola. Le verdict sera sans appel.
Une domination sans partage
La dernière née des ateliers de Woking se révèle d’emblée deux secondes plus rapides que la MP4/3B hybride utilisée jusque-là lors des essais hivernaux. Plus inquiétant pour la concurrence, elle inflige dès ses premiers tours de roue une seconde pleine à ses adversaires quand ces derniers affichent déjà des milliers de kilomètres à leur compteur. Si Alain Prost se montre, dans un premier temps, réfractaire à la nouvelle position de conduite abaissée, le Français déclarant ne pas se sentir à l’aise à son volant, le double champion du monde cerne immédiatement le potentiel de son nouveau jouet. Dès sa descente de voiture, le « Professeur » affirme sans sourcilier à Ron Dennis qu’il possède la monoplace championne du monde. Les faits vont très vite lui donner raison.
En pole position dès son premier Grand Prix aux mains d’Ayrton Senna, la MP4/4 remporte le lendemain sa première victoire au Brésil grâce à un Prost parfait de bout en bout. Le meilleur est pourtant encore à venir. La 26ème création élaborée par l’écurie britannique colle, près d’un mois plus tard à Imola, 3,3 secondes à son plus proche poursuivant Nelson Piquet lors de qualifications du Grand Prix de Saint-Marin. Véritable promenade de santé, la course marque le premier doublé d’une très longue série pour l’écurie anglaise. L’hégémonie du team dirigé par Ron Dennis se poursuit de plus belle deux semaines plus tard dans les rues sinueuses de Monaco. Senna et Prost font littéralement le vide autour d’eux lors de la séance qualificative, repoussant leur premier rival Gerhard Berger à 2,6 secondes sur un tracé mesurant seulement 3, 328 km.
La F1 de tous les records
Rapidement résignée, la concurrence ne peut dès lors que reconnaître la très large supériorité des machines conçues à Woking. Intraitables sur tous les circuits du calendrier, les monoplaces oranges et blanches accumulent les succès sans jamais montrer le moindre signe de vulnérabilité. Si on excepte la disqualification de Senna au Brésil (pour changement illégal de voiture), le pêché d’orgueil du Pauliste en Principauté ou l’abandon volontaire de Prost sous le déluge de Silverstone, la MP4/4 monopolise les deux premières places à chaque manches et totalise le score parfait de 11 succès en 11 courses. Stoppée net en Italie, Prost renonçant sur une rupture de son moteur tandis que Senna victime de son impétuosité s’accroche avec la Williams de Jean-Louis Schlesser à deux tours de l’arrivée, l’incroyable moisson de victoires reprend de plus belle dès le Portugal pour s’achever en beauté deux mois plus tard lors de la manche de clôture du championnat en Australie.
Produite à six exemplaires tout au long de la saison 1988, la MP4/4 peut se targuer encore aujourd’hui du plus beaux palmarès de l’histoire. Avec 15 victoires, autant de poles positions, 10 doublés, 25 podiums ou encore 27 premières lignes en seulement 16 Grand Prix disputés, la machine dessinée par Gordon Murray et Steve Nichols est le symbole d’une domination absolue rendue possible par l’osmose parfaite entre l’écurie McLaren et son motoriste Honda, mais aussi par le talent de son exceptionnel duo de pilotes. Sur une autre planète cette saison-là, Senna et Prost ont amassé plus de points (177) à eux deux que leurs sept poursuivants au classement mondial (172). La note est encore plus salée chez les constructeurs. Forte de ses 199 unités récoltées, McLaren comptabilise trois fois plus de points que son dauphin Ferrari (65). Tout simplement titanesque.