Le Grand Prix d'Australie approche à grand pas pour sa vingt-septième édition au sein de l'Albert Park. Alors qu'il faut s'habituer à ne plus voir cette course en ouverture de saison, revenons sur quelques moments et changements intéressants de la première édition à Melbourne.
1) Reprendre où on s'était arrêté...
Le Grand Prix d'Australie n'a pas fait que déménager des rues d'Adélaïde pour s'installer dans l'Albert Park de Melbourne. Il a aussi quitté sa place de dernière course de la saison – qu'il occupait sans discontinuer durant une décennie – pour devenir la manche d'ouverture. Un tel déplacement s'est déjà produit dans l'histoire, comme Kyalami et Estoril clôturant respectivement 1983 et 1984 pour devenir la deuxième manche de la saison suivante.
C'est cependant la première et unique fois dans l'Histoire qu'un même Grand Prix achève une saison pour directement entamer la suivante. Certes, techniquement les Etats-Unis ont accueilli un dernier puis un premier Grand Prix de 1980 à 1981. Mais pour le second cas, il s'agit officiellement du "Grand Prix de Long Beach", renommé Grand Prix des "Etats-Unis Ouest" par convenance et pour le différencier de l'autre Grand Prix en sol américain.
2) Tirer le bon numéro
Autre bouleversement dans les habitudes des pilotes : l'attribution des numéros. A l'origine, celle-ci était basée sur le classement constructeur de... 1973 (Lotus, équipe championne, avait hérité du N°1). Elle devait ses changements aux allées et venues des nouvelles équipes, ainsi qu'aux nouveaux champions pilotes. Ferrari avait par exemple hérité de son fameux N°27 (et 28) en 1981, en récupérant les anciens numéros de Williams, nouveaux champions. Et comme la Scuderia ne remporta plus le moindre titre pilote durant ce laps de temps, le 27 demeura... Seule exception : 1990 avec l'arrivée d'Alain Prost, le champion 1989.
Si ce système favorisa l'identification pour certains (le "Red Five" de Williams devient aussi célèbre), il pouvait aussi porter à confusion. A partir de cette course, l'attribution des numéros allait dépendre du champion du Monde en titre – qui arborera toujours le N°1 – puis du classement constructeur de la saison achevée et serait révisé chaque saison. D'où le N°1 chez Ferrari, quand bien même ils n'avaient pas remporté de titre mais simplement recruté le champion du moment, Michael Schumacher. Un plus fort décalage survint l'année suivante...
3) De Sayonara à Buongiorno
C'est à partir de 1996 que Minardi allait véritablement construire sa légende de team de fond de grille. Jusqu'à maintenant, l'équipe de Faenza avait réussi à faire face, en partie grâce à des rivaux encore plus démunis. Elle restait même sur cinq saisons consécutives avec au moins un point marqué. Giancarlo Minardi et ses hommes étaient loin de savoir qu'ils allait entamer une série de trois saisons sans unité... Il n'était donc pas surprenant de les voir s'attirer les faveurs de pilotes payants.
Si Pedro Lamy avait un coup de volant honorable, on ne pouvait en dire autant de Taki Inoue. Le Japonais devint la risée de tous en 1995 avec des performances mettant en avant son manque de talent... sauf pour s'attirer des ennuis avec les véhicules d'intervention ! Il était pourtant choisi par Minardi pour entamer 1996, avant d'être lâché par ses sponsors. Souhaitant à la base aligner un compatriote quelque soit sa valise de billets, l'équipe finit par officialiser le jeune Giancarlo Fisichella quelques jours à peine avant les premiers essais. Champion de F3 italienne en 1994, pilote de tourisme pour Alfa Romeo et pilote d'essais Minardi en 1995, le Transalpin avait certainement plus de potentiel que Inoue. Il le prouva par la suite.
4) Be on Edge
L'autre changement tardif qui intrigua le paddock de Melbourne concernait une équipe mieux placée dans la hiérarchie mais pas nécessairement tranquille côté finances. Alors que Eddie Jordan et les siens concluaient leurs tests, on ne pouvait que constater l'absence de gros nom(s) sur la 196. Le pétrolier Sasol avait déserté et le motoriste Peugeot prenait presque plus de place que Total, pourtant sponsor principal en 1995.
Or une fois installés dans les garages australiens, le vert et blanc avait laissé place au jaune. Jordan venait de signer en toute dernière minute un accord avec Japan Tobacco, propriétaire entre autres de Mild Seven, présent chez Benetton. C'est ainsi qu'on vit apparaître la marque anglaise Benson & Hedges, imposant une livrée qui laissa une marque indélébile dans le cœur de nombreux fans. A noter que la livrée présentée à Melbourne n'était pas la version définitive : il fallut attendre Monaco pour retrouver la fameuse peinture dorée.
5) Chance du débutant ?
Mais l'attraction principale de ce premier Grand Prix était bien Jacques Villeneuve. Fils du légendaire Gilles, champion CART en 1995 après avoir remporté l'Indy 500, personnage d'emblée décalé, Jacques avait tout pour attirer le regard. Restait à convaincre pour effacer le douloureux souvenir de Michael Andretti chez McLaren en 1993.
Jacques se fit un prénom d'entrée de jeu puisqu'il signa la pole position ! Certes, il possédait la meilleure voiture du moment avec la Williams-Renault. Aussi, le circuit de Melbourne était nouveau pour tout le monde, d'où une adaptation plus aisée. Reste qu'il s'agissait d'une performance extrêmement rare : la troisième fois seulement en 46 ans et 582 courses ! La dernière pole pour un rookie remontait à 1972 avec Carlos Reutemann à domicile, à Buenos Aires.
Villeneuve reste d'ailleurs le dernier à ce jour à avoir réalisé le meilleur temps pour sa première qualification.
6) Se donner à 107%
La performance de Villeneuve est d'autant plus remarquable qu'il n'eut droit qu'à une seule séance de qualifications au lieu de deux. En effet, 1996 vit la suppression de la première séance de qualifications du vendredi, faisant de cette journée une simple journée d'essais libres. L'idée était de rendre le samedi encore plus important et d'éviter les situations où la deuxième séance s'avéra inutile à cause de la pluie. Un objectif louable et qui offrit en effet de beaux moments de télévision. Ceci jusqu'à ce que les équipes choisissent de bouder la première demi-heure afin que les « sans-grades » nettoient la piste pour eux...
Aussi, les pilotes n'avaient droit qu'à 12 tours maximum (tours d'entrée et sortie des stands inclus) pour signer le meilleur temps. La sélection s'avéra d'autant plus sévère qu'un temps limite était désormais fixé pour être qualifié. Jusque là, la grille autorisait 26 pilotes et éliminait ceux en trop... s'il y en avait. Ici, c'est la fameuse règle des 107% qui prit place : les pilotes devaient réaliser un chrono qui n'allait pas au delà de 107% du temps de la pole position. Ce qui eut une certaine conséquence.
7) Moins on est de fous...
En effet, l'équipe Forti, grandement désargentée, risquait de jouer les chicanes mobiles. Le nombre de tours de retard pris durant la saison 1995 le démontrait, au point même de ne pas être classée au Grand Prix d'Argentine ! Le couperet des 107% éliminèrent donc les courageux Luca Badoer et Andrea Montermini. Ce dernier n'eut aucune chance avec un chrono de 1'42"087 : les 107% de la pole équivalaient à un chrono de 1'38"837...
Avec Pacific retiré et Forti exclu, le tout sans nouvelle équipe, on eut droit à une grille de départ à 20 voitures. S'il s'agit de la norme en 2024, il fallait remonter dix ans plus tôt, au Grand Prix de Monaco 1986 pour retrouver une grille avec un nombre similaire à l'époque. Et encore, ceci était propre à la Principauté en raison de son tracé trop étroit...
8) Damon pèse autant que Graham
Jacques Villeneuve s'opposa férocement à Damon Hill, menant l'essentiel de l'épreuve y compris après un dépassement autoritaire au troisième virage. Hélas pour lui, une fuite d'huile consécutive à un travers hors piste mit un terme à l'improbable exploit de s'imposer dès sa première course. Giancarlo Baghetti resta (et reste encore) le seul pilote à avoir réalisé cette performance au Grand Prix de France 1961 sur Ferrari.
Ainsi, Damon Hill prit la tête à cinq tours du but et s'imposa pour la deuxième fois de suite en Australie. Cela fit de lui le dernier vainqueur d'Adélaïde et le premier de Melbourne. Il pouvait ainsi éprouver une fierté toute personnelle avec son quatorzième succès. Il s'agissait du nombre de victoires de son illustre père Graham Hill, qui les avait collectionnées de Zandvoort en 1962 à Monaco en 1969, après 105 courses. Damon en était à 58 après Melbourne. Un tracé où il fêta son 100è Grand Prix en 1999 par ailleurs.
9) Le meilleur début de l'histoire ?
Si Villeneuve n'égala pas Baghetti, on se doutait que sa performance n'était pas un exploit isolé. Il aurait non seulement pu remporter sa première course comme baptême du feu mais carrément réaliser le hat-trick ! Jacques tenait en effet la pole et le meilleur tour en course. Ceci avant que sa Williams ne se mette à asperger d'huile celle de son équipier. Il finit finalement deuxième, ce qui n'enlève rien à son mérite, que du contraire.
Certes, aux yeux des statistiques, on le comptait alors comme le 21è pilote à monter sur le podium dès ses débuts. Mais cela inclut les yankees des 500 Miles d'Indianapolis, qui figuraient au calendrier des 50's à titre purement honorifique. Aussi, les trois premiers du premier Grand Prix de l'Histoire en 1950 peuvent facilement être retirés de l'équation. En vérité, Villeneuve était le premier pilote à finir dans le Top 3 pour sa première course depuis 1971 et Mark Donohue. Ceci sur une McLaren privée, lors du Grand Prix du... Canada !
10) "Se prendre chaque jour une batte de baseball en pleine tête !"
C'est ainsi qu'Eddie Irvine résuma sa tâche de second pilote servant la cause de Michael Schumacher. Pourtant, son premier Grand Prix pour Ferrari fut probablement l'un de ses meilleurs. Qualifié devant son leader en troisième place – sa meilleure qualification alors – il finit à cette même position le dimanche, derrière les intouchables Williams. Bien entendu, il avait laissé passer Schumacher dès le deuxième tour et seule la panne de freins de l'Allemand l'empêcha de finir sur le podium.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les deux premières saisons de Irvine ne tournèrent pas en sa faveur. Certes, sa F310 connut une longue série de problèmes techniques en 1996. Mais surtout, plus jamais il ne prit l'avantage sur son équipier jusqu'en fin de saison 1997 ! Il fallut attendre le Grand Prix d'Autriche pour que Irvine (8è) devance enfin Schumacher (9è) en qualifications. Plus tard au Japon, il égala sa meilleure performance du samedi et fila comme l'air le dimanche. Pour mieux laisser passer Schumacher...