En 1964, la saison se terminait par le Grand Prix du Mexique, une course qui allait attribuer le titre à John Surtees, l'homme à la fois champion du monde à moto et en Formule 1. Mais, le britannique ne put célébrer sa victoire en rouge, bien qu'il conduisait une Ferrari.
En arrivant pour cette finale de la saison 1964, nous sommes au Mexique, dixième épreuve de l'année. Et c'est ce dernier Grand Prix qui va célébrer le champion, un scénario idéal qui ne s'est produit qu'en 1958 lorsque Mike Hawthorn ira coiffer la couronne sur sa Ferrari face à Stirling Moss et sa Vanwall ou encore en 1962, lorsque Graham Hill décrochera la sienne pour BRM face à la Lotus de Jim Clark.
Mexique 64 : 3 britanniques pour 1 titre !
Pour cette ultime manche, on savait que le Champion du Monde de F1 1964 serait britannique ! En effet, trois représentants de sa Majesté se battaient pour le titre : John Surtees, Jim Clark et Graham Hill. Ce dernier arrivera d'ailleurs à Mexico en étant en tête du championnat avec 39 unités, contre 34 pour John Surtees et 30 pour Jim Clark. Chez les constructeurs, la course avait le même enjeu puisque Ferrari menait avec 43 points, BRM en totalisait 42 et Lotus 37 !
Cependant, le règlement stipulait qu'un pilote ne pouvait compter que sur ses six meilleurs résultats parmi les dix courses du calendrier. Ce faisant, l'avance de Graham Hill n'était pas aussi forte qu'elle en avait l'air. Les conditions pour que Graham Hill soit titré : il devait gagner ou finir troisième si John Surtees ne gagnait pas, si Jim Clark ne l'emportait pas et que John Surtees ne fasse pas mieux que troisième.
John Surtees avait besoin d'une victoire ou d'une deuxième place si Hill ne faisait pas mieux que troisième. Pour Jim Clark, il devait s'imposer en espérant que Surtees ne fasse pas mieux que troisième et que Hill ne fasse pas mieux que quatrième.
Des Ferrari bleues au départ !
Le circuit mexicain à Magdalena Mixhuca est situé à 2 500 mètres au-dessus du niveau de la mer, à l'intérieur d'un grand parc et d'installations sportives non loin du centre de Mexico. La course en altitude signifiait qu'en raison de l'atmosphère rarifiée, les moteurs perdaient environ 25 ch.
Même le comportement des pneus a été affecté, ce qui en fit un défi compliqué pour les ingénieurs et les mécaniciens. Pour cette tournée nord-américaine, Ferrari y avait engagé trois monoplaces avec trois motorisations différentes : la 158 F1 à moteur V8 pour Surtees, la 512 F1 à moteur V12 pour Bandini et la 156 F1 à moteur V6 pour Rodríguez.
Alors que Jim Clark maîtrisait parfaitement sa Lotus 25B, reconnue pour son comportement sein par ses ingénieurs et qui a fait une partie de la saison, c'est sur sa nouvelle Lotus 33 qu'il fera les deux dernières courses du championnat. L'écossais aura fait le bon choix puisqu'il signera la pole position en 1'57"24 soit 0"86 de mieux que Dan Gurney sur sa Brabham et respectivement 1"3 et 1"4 plus vite que les Ferrari V12 de Lorenzo Bandini et Ferrari V8 de John Surtees.
Et les pilotes de la Scuderia se présentèrent pour ce Grand Prix du Mexique avec des Ferrari bleue et blanche ! Tout simplement car il ne s'agissait pas de la Scuderia Ferrari qui était engagée mais la North American Racing Team (NART) dirigée par Luigi Chinetti, l'importateur et ami d'Enzo Ferrari. La raison était un désaccord entre Ferrari et l'autorité sportive italienne qui, selon Enzo Ferrari, ne l'avait pas assez soutenue quand il s'agissait d'homologuer les Ferrari 250 LM pour les 24 Heures du Mans.
Ferrari avait demandé qu'elle soit homologuée comme une GT, mais la décision a été prise de l'homologuer comme un Prototype. Suite à ce différent, Ferrari a décidé de rendre sa licence de constructeur aux autorités italiennes et de confier les voitures à NART, qui les avait donc repeintes en bleu et blanc, les couleurs nationales des États-Unis. On reconnait là, "Il Commendatore" tout vindicatif qu'il était !
Clark cavale, Hill rattrape ses erreurs
Les voitures ont passé une heure sur la grille après que les pilotes aient été présentés au président mexicain Adolfo Lopez Mateos, après quoi, tout le monde a été autorisé au tour de chauffe avant de s’aligner sur la grille appropriée. Un chien errant (pas le premier obstacle de ce genre, ce week-end) était en piste, mais a finalement été repoussé par l’Armée. Richie Ginther, à la traîne, put s'aligner in-extremis avant le départ de la course.
Au moment du départ, Graham Hill occupé à réajuster ses lunettes (6e sur la grille) manque son envol, Surtees doit compenser avec un raté de son V8 Ferrari, Jim Clark, égal à lui-même démarre sans coup férir et compte déjà deux secondes d'avance sur Dan Gurney après le premier tour. Hill et Surtees sont respectivement classés au 10e et 13e rang.
Ces deux-là entreprennent une remontée pour être en 6e et 7e position après 5 tours, puis sont à la lutte pour la 4e place. Alors que Clark mène toujours devant Gurney, Hill est troisième et virtuellement champion, Bandini et Surtees, les deux coéquipiers sont en embuscade !
Puis une dizaine de tours plus tard, Lorenzo Bandini commence à mettre la pression sur Graham Hill, nous sommes au 30e tour et à l'épingle à cheveux, derrière, Surtees s'impatience sur Bandini qui lui indique, le poing levé, de presser le pas en voyant qu'il était sur les talons de la BRM de Graham Hill.
Et le futur champion ne croyait pas si bien faire d'avertir son coéquipier, puisqu'un tour plus tard, à la même épingle, la Ferrari de Lorenzo Bandini alla harponner la BRM de Graham Hill. Ce contact envoya la BRM de Hill dans les glissières de sécurité. Le résultat : des échappements complètement tordus pour Graham Hill qui va nécessiter deux arrêts aux stands avant que l'on arrache définitivement les tuyaux d'échappement. Le britannique étant renvoyé loin dans le classement avec un titre désormais inaccessible.
Même sans la Scuderia, la "Radio Ferrari" fonctionne
Dans cette mésaventure la couronne avait quittait le casque de Hill pour mieux se repositionner sur Clark ! Surtees qui avait profité de l'accrochage Bandini/Hill pour gagner deux positions, s'était fait rattraper par... Bandini, intenable ce jour-là et l'italien doubla son chef de file. On se retrouva donc avec Clark, Gurney, Bandini, Surtees et Spence pour le Top 5.
A une dizaine de tours du damier, Jim Clark s'aperçut que son manomètre de pression d'huile faisait des siennes. Il voyait une traînée d'huile sur la piste, il changea donc de trajectoire, et un tour plus tard, il constata que la trace d'huile suivant sa nouvelle trajectoire. Le britannique espérait alors pouvoir rallier l'arrivée et décrocher la victoire, jusqu'à l'avant-dernier tour où Dan Gurney le doubla, son moteur lâchera définitivement dans l'ultime boucle. A cet instant précis, Graham Hill récupéra la couronne mondiale...
Une couronne mondiale virtuelle qui ne tiendra que l'espace d'un instant, puisque dans le stand Ferrari, on ordonna à Lorenzo Bandini de laisser passer John Surtees dans le dernier tour. Une situation déjà-vu en 1958, puisque Mike Hawthorn fut sacré après que Ferrari demanda à Phil Hill (l'américain) de ralentir pour que son coéquipier se classe second et derrière un Stirling Moss pour priver ce dernier du titre.
Au final, Dan Gurney remporte ce Grand Prix du Mexique devant John Surtees et Lorenzo Bandini, faisant du pilote Ferrari, le seul Champion du Monde à Moto et en Formule 1. Il est Champion du Monde 1964 pour un point devant Graham Hill (40 points inscrits par le pilote Ferrari, 41 par celui de BRM, mais 39 retenus par le règlement). En 6e place, on peut noter Pedro Rodríguez sur sa Ferrari V6, lieu où son frère Ricardo perdit la vie en 1962 sur ce même tracé (d'où son nom : Autódromo Hermanos Rodríguez).