Niki Lauda, le pilote autrichien et triple Champion du Monde de F1 s'est éteint le 20 mai 2019 à l'âge de 70 ans. Retour sur le Grand Prix de Monaco 1975, là où il a rallumé la flamme de la Scuderia Ferrari.
La Scuderia Ferrari est en crise depuis quelques saisons, le dernier titre constructeur date de 1964 tout comme celui des pilotes avec John Surtees, le champion sur 2 et 4 roues ! Il y a urgence en cette année 1974, la Scuderia Ferrari décide de se retirer du monde de l'endurance pour se concentrer uniquement sur la F1.
Ferrari, Di Montezemolo, Lauda, Forgheri
Deux hommes vont œuvrer rapidement à remettre sur la selle du Cheval Cabré, un pilote capable de décrocher la couronne mondiale. Enzo Ferrari, sous les recommandations de Giovanni Agnelli, désignent le jeune Lucas Di Montezemolo à la tête de la Scuderia Ferrari alors âgé de 25 ans et tout droit sorti de son université de Columbia aux USA.
Clairvoyant, diplomate et stratégique, Di Montezemolo a l'étoffe du rôle et de la charge qui lui incombe : trouver la perle rare pour décrocher ce titre mondial. Il n'ira pas chercher bien loin l'élu car dès 1973, un autrichien battait Jacky Ickx dans l'exercice des qualifications dans les rues de la Principauté, sa BRM face à la Ferrari du belge, Niki Lauda avait tapé dans l'œil d'Enzo Ferrari.
L'affaire fut rapidement emballée, Niki Lauda, 24 ans et Lucas Di Montezemolo à peine plus âgé s'entendaient bien, le début d'une nouvelle idylle pour l'écurie de Maranello. Le rouge et le blanc de la Scuderia Ferrari allaient se marier à merveille avec les couleurs des nationalités de leurs deux pilotes : un autrichien, nouvellement titularisé et un suisse, Clay Regazzoni. Ce dernier avait d'ailleurs fait un interlude d'une saison chez BRM en 1973 (où il côtoya déjà son coéquipier autrichien) après 3 saisons passées chez les rouges de 1970 à 1972.
Dès 1974, les deux pilotes étaient des candidats pour la couronne mondiale, Niki Lauda s'octroya 9 pole positions, 4 meilleurs tours en course et 2 victoires. Il aurait pu doubler la mise si le Nürburgring ne l'avait pas piégé et ce dès le premier tour, idem pour le Canada à Mosport où il mena les débats jusqu'à une sortie de piste au 68e tour (sur 80) et un abandon synonyme des dernières chances de titre restantes qui s'envolaient.
Plus régulier avec 6 podiums dont 1 victoire, Clay Regazzoni conserva ses chances jusqu'à l'ultime Grand Prix à Watkins Glen. La Ferrari ne sera jamais en mesure d'inquiéter la McLaren d'Emerson Fittipaldi qui enleva le sacre cette année-là.
Et puis, la 312 T...
Le choc pétrolier de 1973 avait eu des conséquences économiques et notamment sur la valeur de la monnaie britannique quelque peu dévaluée. Les écuries anglaises en pâtirent, ce qui fît les affaires de Maranello. Mauro Forghieri, de retour en Italie, était en charge de développer et d'extrapoler les performances de la 312B3 de 1974, il présenta un concept à Niki Lauda dont l'autrichien n'était pas convaincu sur le papier : la boite de vitesses transversale.
Les premiers tours de roues de l'autrichien vont effacer ses doutes pour laisser place à une opinion plutôt positive. La position de la boite de vitesses dans l'axe des roues motrices permettait de réduire les inerties polaires et concentrer les masses.
Ainsi l'aérodynamique a pu être retravaillé pour déplacer les radiateurs d'eau et d'huile positionnés face à l'avant, proche de l'essieu avant. Mauro Forghieri, le sorcier de l'époque avait réussi à développer une monoplace qui convenait parfaitement au style de Niki Lauda, un pilotage dépouillé et sobre.
Néanmoins, la Ferrari 321 T ne débuta pas la saison 1975, Maranello lui préféra son ancêtre la 312B3 pour la tournée en Amérique du Sud et les deux premiers Grands Prix. Hors du coup et déjà dans l'âge, elle ne permit ni à l'autrichien, ni au pilote suisse de monter sur le podium. Niki Lauda n'inscrivit que les points de la 6e place en Argentine et ceux de la 5e place au Brésil. Le pilote suisse ne fera qu'à peine mieux avec deux 4e place en ce début de saison.
Il faudra attendra l'Afrique du Sud pour la nouvelle 312 T (le châssis 312T/023 pour l'autrichien, le 024 pour le suisse, excepté en France où Lauda pilotera le 312T/022), mais un moteur récalcitrant douchera les espoirs de Niki Lauda d'y briller.
En Espagne, à Montjuic pour la course suivante, les Ferrari monopolisent la première ligne, mais au premier virage, Andretti percute Lauda qui sort à son tour Regazzoni, c'est l'abandon dès le premier tour. Cette course sera arrêtée pour un autre incident plus grave et mortel, la monoplace de Stommelen s'envola au-dessus des glissières de sécurité (refixées à la hâte par des mécaniciens d'écuries après la grève des pilotes s'insurgeant justement contre l'insécurité...), la Lola de Rolf-Johann Stommelen causera le décès de 4 personnes dans le public.
C'est à Monaco que la Ferrari 312 T va connaître son essor. Une vraie renaissance pour Ferrari grâce à cette monoplace dont l'appellation signifie 3 litres de cylindrée pour 12 cylindres, le "T" est là pour rappeler la boite de vitesses transversale.
Cette boite de vitesses à 5 rapports est la trouvaille de Mauro Forghieri qui équilibre véritablement la monoplace dotée de son V12 3l à 180° et qui délivre 495 ch à 12 200 trs/min. C'est dans les rues de la Principauté qu'elle va exploiter tout son potentiel.
Monaco 75, le début du Festival
C'est sur le Rocher que Niki Lauda va récidiver avec la pole position déjà décrochée 15 jours auparavant en Espagne, la Ferrari 312 T annonce la couleur. Ce Grand Prix de Monaco se déroule après la tragédie de Montjuic, Michel Boeri, le Président de l'ACM, a décidé de répondre favorablement aux inquiétudes sur la sécurité et demanda à ce que l'on renforce les barrières de sécurité. Une autre mesure fut prise, ce sont seulement 18 monoplaces qui seront autorisées à prendre le départ (elles furent 25 au départ à Montjuic).
Sur la grille de départ, aux côtés de Niki Lauda on retrouve les étonnantes Shadow, celle de Tom Pryce devant celle de Jean-Pierre Jarier. Ronnie Peterson a qualifié sa Lotus au 4e rang devant Vittorio Brambilla sur la March, Clay Regazzoni est relégué en 6e position sur la seconde Ferrari.
Un déluge s'est abattu à Monaco mais ce dernier a cessé au moment de prendre le départ. La piste reste néanmoins détrempée, Lauda maîtrise parfaitement son départ, Jarier le prend en chasse mais n'ira pas plus loin que le virage du Bureau de Tabac, son offensive sur Lauda a échoué, le français a frappé le rail.
L'autrichien mènera les débats jusqu'au tour 24 où il rentrera aux stands en anticipant sur ses adversaires pour chausser les pneus slicks, la trajectoire idéale commence à se distinguer. Ronnie Peterson brièvement en tête, le temps d'opérer lui aussi le même changement de gommes, Niki Lauda ne sera plus inquiété, si ce n'est par le retour d'Emerson Fittipaldi, mais le drapeau à damier viendra le sauver au bout des deux heures de course réglementaire, au tour 75 (tiens !!!) contre 78 prévus initialement...
Victoires et foudres des Tifosi
Ce sera le début d'une chevauchée fantastique pour la Ferrari 312 T avec une victoire sur les deux courses suivantes en Belgique et en Suède. A Zolder, pris de vitesse par Pace et Brambilla, il remonta ses adversaires en 6 tours pour virer en tête et franchir le premier, le drapeau à damier. A Anderstorp en Suède, il dut encore se défaire de Brambilla pour fondre sur Reutemann qu'il doubla à 10 tours de l'arrivée. Il terminera second aux Pays-Bas (une course remportée par James Hunt) et s'illustrera sans mal au Grand Prix de France.
Cette saison 1975 connaîtra d'ailleurs 3 Grands Prix écourtés avant le terme des tours prévus, on se souvient de Montjuic en Espagne après les décès des spectateurs, puis il y eut la Grande-Bretagne avec une météo détestable, impraticable où 16 monoplaces sortaient de piste, un massacre ! Enfin, des conditions tout aussi épiques ont été vues en Autriche, où l'on présenta le damier prématurément à Vittorio Brambilla, qui réussit à sortir de la piste quelques hectomètres plus loin...
Entre temps, Niki Lauda avait assuré une troisième place en Allemagne, alors que la Scuderia Ferrari allait s'imposer à la maison à Monza, grâce à Clay Regazzoni, non sans avoir des Tifosi en délire. Niki Lauda en stratège épicier, ne courut pas le risque de tout perdre et assura une nouvelle troisième place, synonyme pour lui de titre mondial, son premier.
Il essuya de vives critiques pour ne pas avoir tenté par panache d'arracher une victoire à Monza, un titre à domicile pour les Tifosi, un rêve qu'il faudra remettre à plus tard. Par sursaut d'orgueil, l'autrichien ira s'imposer pour la dernière course aux USA à Watkins Glen.
Niki Lauda totalise donc au long de sa carrière : 3 titres de Champion du Monde, 171 Grands Prix (départs), 25 victoires, 24 pole positions, 24 meilleurs tours en course, 54 podiums, sa première victoire était en Espagne à Jarama en 1974 au volant d'une Ferrari 312B3, la dernière était en 1985 au volant d'une McLaren MP4/2B TAG Porsche au Grand Prix des Pays-Bas à Zandvoort, un circuit annoncé de retour au calendrier en 2020... Niki Lauda ne sera pas des nôtres pour y célébrer les 35 ans de sa dernière victoire en F1 !