Le Grand Prix de Monaco est l'une des courses de F1 qui détient certainement le plus d'anecdotes incroyables. L'édition 1982 au douloureux souvenir du regretté Gilles Villeneuve, s'amusera avec ses leaders, jusqu'à l'improbable final des derniers tours.
Pour cette année 1982, il fallait avoir une Renault Turbo pour exceller dans les rues de la Principauté. En effet, l'armada des V8 Ford-Cosworth dont la fiabilité était jugée redoutable avait pour adversaire la technologie Turbo dont on lui prédisait un bel avenir.
Monaco 1982, un final à couper le souffle
Mais dans les rues sinueuses de Monaco le long temps de réponse d'un turbo n'était pas la solution idéale... jusqu'à la trouvaille de Renault qui, grâce à l'injection électronique permettait au V6 français d'être plus souple, d'avoir plus de couple et de mieux convenir au tracé de Monaco.
C'est ainsi que la domination des Renault à moteur Turbo allait décrocher pour la première fois, une pole position à Monaco pour un moteur non atmosphérique. On se souvient qu'en 1981, Gilles Villeneuve remportait la course sur sa Ferrari 126CK T, celle qui fut la première victoire d'un moteur Turbo dans les rues monégasques.
Quant à ce week-end de mai 1982, l'ambiance était plus que lourde avec la disparition tragique de Gilles Villeneuve, pilote Ferrari, à Zolder deux semaines plus tôt. Monaco connaîtra d'autres week-ends de Grand Prix où la mémoire d'un pilote disparu ternira l'ambiance (1994).
C'est ainsi que Ferrari n'amènera qu'une seule monoplace en Principauté, celle de Didier Pironi. N'ayant pas trouvé de remplaçant au pilote canadien et pour lui rendre un hommage, la Scuderia n'aura qu'une seule représentante en piste.
La pluie était annoncée...
A la surprise générale, les Renault ont fait bonne figure en qualifications, bien aidées par leur nouveau système d'injection directe. René Arnoux s'impose dans l'exercice avec une bonne demi-seconde d'avance sur Riccardo Patrese et sa Brabham-Cosworth à moteur V8 atmosphérique.
D'ailleurs, Bernie Ecclestone alors à la tête des opérations chez Brabham a compris l'intérêt du moteur Turbo et s'associe avec BMW. A Monaco, les deux monoplaces utiliseront les deux technologies, le V8 Cosworth atmosphérique pour Riccardo Patrese et le BMW Turbo pour Nelson Piquet. Chez McLaren, un certain Ron Dennis commence les pourparlers avec Porsche via la société TAG (Techniques d'Avant-Garde) de Mansour Ojjeh, l'un des actionnaires de l'écurie britannique.
Sur la seconde ligne de la grille de départ, Bruno Giacomelli a placé son Alfa Romeo en troisième position devant la seconde Renault, celle d'Alain Prost. Didier Pironi a qualifié sa Ferrari en cinquième place devant Keke Rosberg et sa Williams-Cosworth.
A l'heure du départ, un ciel bleu colore encore la carte postale du Rocher de la Principauté, René Arnoux prend un bon envol et mène les débats. Alain Prost derrière se montre dans les rétroviseurs de Bruno Giacomelli et parvint à s'en défaire à l'entame du quatrième tour, les deux Renault sont en tête du Grand Prix du Monaco.
Ces positions de tête vont rester figées jusqu'au tour 14 où René Arnoux se fait surprendre aux virages de la Piscine après avoir escaladé une bordure. Il évite de justesse la touchette fatale avec les rails mais son tête-à-queue lui coûtera la course, la Renault a calé, René Arnoux pose pied à terre.
Alain Prost récupère la tête et c'est une autre course qui commence pour le pilote français. Tel un métronome il semble filer vers la victoire se sentant en confiance après ses victoires à Kyalami en Afrique du Sud et Jacarepagua au Brésil. Le Professeur se dirige vers sa troisième victoire de la saison.
La course parfaite qu'il menait de main de maître va être perturbée au tour 71 lorsque celle qui fut annoncée arriva, la pluie ! Alain Prost fait une réelle aversion pour les conditions humides et déteste plus que tout prendre trop de risques.
Il n'aime pas plus le simple fait d'endommager une voiture ou une monoplace, même une simple casse mécanique l'obsède. Alors piloter ces engins gavés au turbo, sous la pluie, entre les rails... il sait que les probabilités sont élevées pour qu'un pilote embrasse le métal à n'importe quel virage. Il fit un geste de la main au Directeur de Course pour signifier que la piste devenait dangereuse mais ce dernier ne répondit pas à son appel, la course continua.
Et au tour 73 ce qui devait arriver... ! La pluie s'étant intensifiée, Alain Prost perdit l'arrière de sa monoplace à la sortie de la chicane du port. La Renault part à l'équerre et tape les rails, une suspension cassée, une roue arrachée et c'est la fin de la belle échappée.
Le jeu de l'élimination directe
La Brabham de Riccardo Patrese surgit alors en tête de la course, il entame alors un nouveau tour en tant que leader mais dans la descente vers l'épingle du Loews, il perd l'adhérence, escalade les trottoirs et se retrouve en marche arrière dans l'épingle, bien mal placé, son moteur a calé. Les commissaires essaient de le pousser pour l'évacuer vers l'échappatoire la plus proche, mais l'italien se laisse glisser par la descente et réussit à repartir... en seconde vitesse, le moteur V8 Ford-Cosworth avait cette aptitude.
C'est donc un nouveau rebondissement et Didier Pironi sur sa Ferrari prend les commandes de la course, il franchit la ligne pour entamer le dernier tour, le tout sur un rythme relativement prudent et se laisse dédoubler par les retardataires. Mais lorsque la Ferrari s'engage dans le Tunnel, elle n'en ressortira pas. L'eau qui s'était infiltrée avait causé des dommages électriques sur l'allumage. Le nouveau leader aurait pu être Andrea De Cesaris sur l'Alfa Romeo, mais lui aussi dans le dernier tour va abandonner au Casino sur panne d'essence.
Dereck Daly qui avait heurté un rail plus tôt dans la course, a piloté sa Williams sans son aileron arrière et on pensait que l'irlandais se dirigeait vers le drapeau à damier. Mais, n'est pas Maître de son destin qui veut à Monaco, sa boite de vitesses à court d'huile rendra l'âme au Bureau de tabac...
Cette fin de course est un film à elle seule, c'est la confusion et l'excitation la plus totale, une Brabham termine ce dernier tour en tête, c'est Riccardo Patrese, l'italien ignore totalement qu'il vient de remporter le Grand Prix.
La victoire miraculeuse
C'est ainsi donc la première victoire en carrière pour Riccardo Patrese, lui qui en compte six et dont le record fut celui du plus grand nombre de Grands Prix disputés (256) avant que Rubens Barrichello ne le déloge. Mais l'italien ignorait totalement qu'il venait de gagner la course, il se croyait deuxième.
Je ne savais pas que j'avais gagné la course, dans le dernier tour, l'Alfa Romeo de De Cesaris s'est arrêtée, puis sous le tunnel c'est la Ferrari de Didier Pironi. Je pensais que la Williams de Keke Rosberg était encore en tête parce que je croyais qu'il m'avait doublé. Je me voyais seulement deuxième, dans le dernier tour j'ai bien vu à mon passage les commissaires et la foule dans les tribunes agiter leurs drapeaux. Je me disais qu'ils étaient contents de me voir deuxième.
En réalité j'étais très, très déçu... j'étais tellement persuadé d'avoir perdu que j'ai pris mon temps pour retourner aux stands, m'arrêtant dans le tunnel pour faire monter Pironi sur ma Brabham et rentrer avec lui. Les organisateurs d'avant-course, lors du briefing des pilotes avaient précisé que seule la voiture du vainqueur avait le droit et l'honneur à l'issue de la course de s'immobiliser devant la tribune princière.
Quand ils m'ont empêché de rentrer aux stands et m'ont obligé à poursuivre jusqu'à la ligne, j'ai sincèrement cru qu'ils avaient changé d'avis et que le Prince Rainier recevrait les trois premiers.En m'extrayant de ma voiture, un officiel en blazer bleu marine frappé de l'écusson de l'ACM est venu vers moi en me pointant du doigt. Par trois fois il m'a crié tout excité : 'tu as gagné, tu as gagné, tu as gagné...'. Voilà comment j'ai appris avec surprise ma victoire.
Riccardo Patrese inscrivit ce jour-là son nom au Palmarès de la F1, une victoire qui refléta le renouveau du pilote qui subit quelques saisons auparavant la controverse des pilotes suite à la mort de Ronnie Peterson à Monza 78.
Quant à Alain Prost, ses doléances ne furent pas suivies, lui qui estimait que les conditions n'étaient pas assez sécurisantes pour terminer ce Grand Prix (alors que deux ans plus tard, le Grand Prix de Monaco 84 célébrera la sagesse du Professeur avec les mêmes recommandations d'interrompre la course, qu'il remporta, alors qu'un chien fou pestera contre cette décision, un certain Ayrton Senna, que l'on pleurera dix ans plus tard ici même dans les rues de la Principauté. Le cynisme de la F1...).
Les nombreux accidents en fin de course donnèrent raison à Alain Prost, mais quelles étaient les préoccupations de la FISA à cette époque ? Pourtant après le décès tragique de Gilles Villeneuve deux semaines auparavant, il aurait de bon aloi d'infléchir cette courbe de risques pour considérer un début de sécurité en F1, alors que cette année 1982 fut l'une des plus tragiques...