La deuxième journée des essais hivernaux de F1 à Barcelone a été marquée par la présentation de la dernière innovation de l'écurie Mercedes F1 ; une direction permettant au pilote de régler l'angle de pincement des roues avant.
Alors que la saison hivernale 2020 s'annonçait sans grande surprise, en raison d'une réglementation inchangée et d'une mentalité tournée vers la performance, tout le paddock a été surpris ce jeudi par la caméra embarquée de la voiture de Lewis Hamilton. En effet, celui-ci a été aperçu en train de modifier la position de son volant en entrée et sortie de ligne droite. Explications.
Le DAS, le contexte
En observant la camera embarquée lors des tours de Lewis Hamilton, de nombreux téléspectateurs et journalistes ont donc pu remarquer que le pilote britannique rapprochait son volant en entrée de ligne droite, et le repoussait dans sa position initiale en approchant d'une courbe.
Le système semblant trop bien huilé pour correspondre à un problème de serrage de colonne de direction, et la marque à l’étoile n’étant pas habituée à des problèmes de fiabilité si basiques, le stratagème devait donc couvrir un gain de performance. Les spectateurs les plus attentifs ont alors pu observer que les roues avant (visibles sur la même camera embarquée) bougeaient également.
Les bases
Afin d’améliorer le comportement d’une voiture de course, et notamment jouer sur les phénomènes de sous et sur-virage, les ingénieurs peuvent régler deux paramètres (parmi plein d’autres) sur les roues avant, les angles de carrossage et de pincement.
Le premier correspond à la rotation des roues autour de l’axe longitudinal de la voiture, c’est à dire l’angle observé sur les roues en regardant la voiture de face. Le second correspond à la rotation des roues autour de l’axe vertical de la voiture, c’est à dire l’angle observé sur les roues en regardant la voiture depuis le dessus. Dans le cadre du système de Mercedes, c’est l’angle de pincement qui est modifié.
L'angle de pincement (Toe angle en anglais) peut aller dans les deux sens : le pincement positif (schéma 1, Toe-in en anglais), où l'avant des roues va se rapprocher, et le pincement négatif (schéma 2, Toe-out en anglais), également appelé ouverture, où l'avant des roues ira vers l'extérieur.
Le premier réglage permet une meilleure stabilité dans une ligne droite, les roues avant pointant dans la même direction, alors que la deuxième disposition permet des virages plus rapides, au détriment du comportement en ligne droite.
De plus, les pneus verront alors leur surface de contact réduite avec la piste lors de la conduite en ligne droite. Cela aura alors deux conséquences négatives : une dégradation prématurée de cette bande de contact et des températures augmentant rapidement, au détriment du comportement de la voiture, et l'angle de pincement offrira aussi une résistance à l'avancée de la voiture, réduisant donc sa vitesse de pointe.
En ligne droite, le réglage optimal est donc de n'avoir aucun pincement. Cependant, le réglage en pincement négatif est généralement préféré sur les voitures de course, offrant le meilleur compromis entre vitesse et comportement de la voiture. Et pourquoi pas un pincement négatif en virage et nul en ligne droite ? C'est là que vient l'innovation de Mercedes.
Le fonctionnement
L'équipe Mercedes F1 est donc arrivée aux essais en Espagne avec une nouvelle innovation ; le DAS (Dual Axis Steering). Le principe est simple, en tirant sur le volant en ligne droite, le pilote peut réduire l'angle de pincement afin d'améliorer sa vitesse de pointe et réduire l'usure de ses pneus. En entrant en virage, il peut rétablir le réglage de pincement simplement en repoussant le volant.
Lewis Hamilton's steering wheel moving forward and back
Look closely at the Lewis Steering wheel.
Credit: Mrwadconsole
Is this legal?
@ScarbsTech @tgruener#F1Testing #F1 pic.twitter.com/5kBNREUSV3
— Eau rouge (@Insidef1) February 20, 2020
Concernant le mécanisme monté dans la voiture, Craig Scarborough, célèbre pour ses analyses techniques sur Twitter, est le premier à avoir peut-être percé le mystère.
Updated toe out diagram pic.twitter.com/Txb7yql2dm
— Craig Scarborough (@ScarbsTech) February 20, 2020
Pour ceux à qui la langue de Shakespeare fait encore défaut, voici un schéma en français, avec quelques ajustements maison :
Comme pour une F1 "conventionnelle", la Mercedes W11 a donc toujours l'axe de rotation des roues (point rouge) que nous considérerons vertical pour nos explications, et qui passe par les points de fixation des deux triangles de suspension.
Le point bleu situé dans la roue correspond à la fixation conventionnelle de la colonne de direction sur le porte-moyeu. Enfin, selon notre compréhension, une deuxième rotation (point bleu également) serait fixée dans le monocoque, à côté du système de direction.
Les deux points bleus combinés permettent alors une rotation supplémentaire dans la direction, d'où l'attribution du nom "direction à double axe". En tirant sur le volant, le pilote déplace alors le point de rotation de la monocoque suivant l'axe longitudinal de la monoplace. Le tirant (noir) va alors tirer sur la roue et modifier son angle en position neutre. La modification d'angle peut être réglée en changeant la distance entre le point rouge et le point bleu dans la roue.
Même si le système se base sur une cinématique relativement simple, il a tout de même fallu à l'équipe adapter le nez de la voiture, élément crucial pour les crash-tests, afin d'y disposer un mécanisme de plus en grande envergure qu'un système de direction classique. Tâche pas évidente quand on connaît le confinement des monoplaces d'aujourd'hui.
De nombreuses questions restent tout de même en suspens. Lors d'une conférence de presse organisée lors de la pause déjeuner de la journée de jeudi, James Allison, le directeur technique de Mercedes F1, a annoncé être resté en contact avec la FIA pendant tout l'hiver, afin de s'assurer que le concept respectait le règlement technique de la F1. Cependant, en cas de réclamation d'une autre équipe, l'organisme devra se pencher de plus près sur l'innovation pour valider, ou non, sa conformité.
Si le système peut être utilisé pendant toute la saison 2020, on peut s'imaginer que Mercedes continuera le développement de sa "direction réglable". Une possibilité serait notamment d'installer un ajustement par crans. Le pilote aurait alors accès à plus de deux positions, et pourrait régler l'angle de pincement de ses roues en fonction du virage, de sa vitesse, mais aussi de l'usure des pneus. Cela donnerait un avantage considérable à la firme allemande face à des concurrents qui devront rattraper leur retard sans changer la conception du nez, ce qui nécessiterait de nouveaux crash tests.
Cependant, la W11 a également roulé toute la journée de mercredi sans signe d'utilisation du DAS, et a tout de même signé le meilleur tour. La nouvelle Flèche d'Argent semble donc être performante sur tous les plans, et ne pas avoir besoin de son système polémique pour rafler un dernier titre en attendant la nouvelle réglementation.