Le concept de la Roborace, ces nouvelles voitures électriques autonomes, a vu le jour l'année dernière. Depuis, de nombreux tests ont été effectués, mais le véritable lancement de cette discipline qui devait ouvrir chaque ePrix de Formule E dès cette saison se fait attendre. Dans une longue interview accordée à e-racing.net, Bryn Balcombe, directeur technique de la Roborace, explique où en est le développement de la voiture et où celui-ci conduira la discipline.

Le cerveau de la Robocar

e-racing : "Le bon côté avec la Robocar est qu'elle ne remontera probablement pas la pitlane en furie en ayant des disputes avec quiconque..."
Bryn Balcombe : "Oui, c'est ce qui est intéressant... [...] C'est un autre challenge, avec l'IA [Intelligence Artificielle, ndlr]. Tout l'enjeu de la Roborace est de développer la technologie des IA, et l'une des questions est : comment est-ce que la voiture, une voiture de route du futur, communique avec l'occupant ? Il y a beaucoup de recherches en terme de communication vocale, donc comment la voiture parle-t-elle à l'humain pour attirer son attention et l'informer de choses qui pourraient aller mal techniquement. Donc plutôt que d'avoir un voyant lumineux qui s'affiche sur le tableau de bord, elle vous le dit simplement".

e-racing : "Comme Siri [d'Apple] ou Alexa [d'Amazon] ?"
B.B. : "Oui, donc elle est capable d'interpréter des données et de les communiquer. Donc ce que nous recherchons dans cet exemple précis d'une voiture qui en percute une autre, c'est que la voiture elle-même doit interpréter ses propres données et fournir une justification à ce qui est arrivé".

e-racing : "Donc elle traite les données ?"
B.B.
: "Oui, disons que nous voulons savoir quels risques les véhicules prennent. Quand une voiture effectue une manoeuvre de dépassement par l'intérieur, quel est le pourcentage de chance de contact ou de dépassement complété avec succès ? Vous savez immédiatement si c'est 80% ou 50% de chance qu'il y ait un contact. Mais ce qui arrive également, c'est que la voiture devant fait aussi cette évaluation à propos du fait de se faire dépasser, et de si oui ou non la voiture derrière va réussir à effectuer ce qu'elle essaie de faire.

Et c'est uniquement comme cela qu'elle serait capable d'éviter un accident, en restant à l'extérieur, laissant l'autre voiture freiner tardivement, et en croisant à l'intérieur. Toute cette logique à un lien avec le risque et c'est tout ce qui fait la course. Comment je contrôle ton comportement, comment tu réagis à mon comportement, tout est affaire de prédiction. Et quand vous avez deux IA différentes qui sont en compétition, c'est un vrai challenge.

Il n'y a aucune différence avec la façon dont vous entrez dans un rond-point, comment vous vous insérez ou sortez de l'autoroute, c'est le même challenge. Vous essayez d'influencer le comportement des autres objets. Donc uniquement faire ce que nous faisons en ce moment, conduire tous seuls et en rond sur une piste, c'est la fondation, la première ébauche, cela touche à la précision de votre localisation dans un environnement. Une fois que vous avez cela, c'est votre fondation - ensuite vous avancez vers l'interaction entre les véhicules".

e-racing : "Donc vous pouvez les voir se faire la course. Je sais qu'il y a maintenant deux Robocars..."
B.B : "En fait nous avons deux voitures - trois d'ici l'été, la troisième est en construction en ce moment. Et ensuite nous avons trois Devbots [des châssis de prototypes d'endurance permettant à un pilote d'accompagner le logiciel embarqué et de réagir en cas de problème, ndlr], ce qui nous fait six véhicules que nous pouvons tester et développer. Ce qui est très important d'un point de vue logiciel mais aussi pour créer des interactions.

2016/2017 FIA Formula E Championship.
Round 9 - New York City ePrix, Brooklyn, New York, USA.
Saturday 15 July 2017.
Roborace car.
Photo: Steven Tee/LAT/Formula E
ref: Digital Image _O3I2388

Un design se passant des contraintes habituelles

e-racing : "[La Robocar] a une sorte de cockpit pour l'IA ?"
B.B : "(rires) Oui oui, il y a une trappe - donc effectivement la seule différence [avec un cockpit conventionnel avec un pilote à son bord] est que les "yeux" du pilote sont à l'avant de la voiture, pas au niveau d'un casque qui doit ressortir du châssis. C'est plus ou moins la seule différence".

e-racing : "Oui car effectivement il n'y a pas d'aileron arrière, parce que la voiture a un profil bas ?"
B.B : "Oui, la voiture n'a pas d'aileron arrière et nous amenons le plus gros de l'aérodynamique avec l'effet de sol, grâce au large diffuseur à l'arrière. Il y a un petit aileron arrière au dessus du diffuseur, qui ajoute de l'appui et il y a deux dérives à l'avant, à gauche et à droite de la voiture".

e-racing : "J'ai lu que la voiture pesait 975kg, ce qui est près de 100kg de plus que le poids minimal d'une Formule E, pilote compris [...]".
B.B : "En terme de poids, nous avons une batterie qui fait deux fois la taille de celle d'une Formule E [...]. Et nous avons quatre moteurs quand ils n'en ont qu'un. Donc une grande partie du poids vient de ses composants. La raison pour laquelle nous avons quatre moteurs est que nous pouvons gérer le couple. Donc nous pouvons avoir une stabilité très avancée de la voiture".

e-racing : "Il y a un groupe propulseur sur chaque roue ?"
B.B : "Oui, un moteur par roue, complètement indépendant. Et quand nous avons testé cela juste en l'implémentant sur la voiture, nous avons pu gagner près de deux secondes au tour, sur une piste de Formule E [...].

Cela sans autre réglage - c'est uniquement grâce au déploiement de la puissance, donc nous n'avons pas amélioré nos moteurs, nous n'avons rien amélioré du tout sur le groupe propulseur, nous n'avons pas changé la batterie, tout ce que nous avons fait est de déployer le couple d'une façon très différente. C'est comme une utilisation intelligente de l'énergie que vous avez à disposition. Et ça vaut deux secondes au tour.

Cela veut aussi dire que sur les voitures de route vous serez capable de bien mieux contrôler la voiture dans des conditions extrêmes. Donc quand il y a des tests comme le test de l'élan, où un élan surgit et où vous devez faire un écart pour l'éviter, ce genre de mouvement est là où la gestion du couple peut vraiment aider à la stabilité de la voiture".

Le face à face : homme-machine

e-racing : "Donc vous avez dit que la batterie fait deux fois la taille de celle d'une Formule E, notamment grâce au fait qu'avec quatre unités de puissance vous pouvez avoir beaucoup plus de récupération d'énergie - ou est-ce que la Robocar gère la récupération aussi ? Parce que pour un humain c'est très complexe".
B.B : "Oui, alors c'est très intéressant - nous avons un système de récupération d'énergie sur chaque moteur. Quand vous dites que la récupération d'énergie est complexe pour le pilote, c'est assez intéressant parce qu'actuellement il y a un ordinateur qui contrôle ça.

Ils ont une pédale de frein et ils peuvent ajuster l'équilibre, mais effectivement ils ne sont plus responsables de la distribution du couple. C'est un mix entre l'humain et l'ordinateur. Donc c'est un autre exemple de l'arrivée d'une technologie qui remplace le talent du pilote - si vous donniez au pilote la possibilité d'avoir deux pédales de frein, une pour la récupération d'énergie et l'autre pour le freinage manuel, alors vous pourriez chercher l'équilibre entre ces deux choses et dans ce cas vous retourneriez à une pure compétition entre humains. A partir du moment où vous dites qu'un ordinateur le fait alors l'humain ne le fait plus.

Donc je trouve ça vraiment intéressant. Encore une fois, si vous regardez la compétition entre humain et robot, il y a beaucoup de choses dans la course moderne où l'ordinateur fait en réalité le travail pour l'humain".

e-racing : "J'ai entendu Di Grassi - qui est vraisemblablement très enthousiaste à propos de la Roborace - parler du fait que les voitures d'endurance ont beaucoup de logiciels embarqués et je pense que les gens ne réalisent pas à quel point les logiciels entrent en jeu quand il s'agit de faire d'une voiture de GT une voiture de course".
B.B. : "C'est vraiment intéressant parce que quand vous vous penchez sur l'interface homme-machine dans un véhicule, c'est très simplement un volant, un accélérateur et un frein. Et nous avions déjà ça dans les années 1800. Quand la voiture a été conçue à l'origine [...] c'était comme avoir un clavier et une souris, c'est un volant, un accélérateur et un frein, ce sont des systèmes mécaniques.

Mais avec ça il y a des limitations. Vous ne pouvez pas contrôler individuellement les freins aux quatre coins de la voiture, vous ne pouvez pas contrôler individuellement la distribution du couple. En freinage, vous ne pouvez pas changer l'équilibre entre le frein mécanique et la récupération d'énergie. Tout ça tient du domaine du logiciel. Mais la chose vraiment, vraiment intéressante à long terme est : Est-ce qu'un volant, un accélérateur et un frein sont la meilleure interface homme-machine dont nous avons besoin pour contrôler les voitures de course du futur ? Si vous voulez avoir une compétition homme-machine, il doit y avoir une parité dans le contrôle qu'ont l'homme et la machine de la voiture. Si vous donnez juste un volant, un accélérateur et un frein à l'humain, vous entravez ses capacités".

e-racing : "Parce qu'il sera plus lent à gérer tout cela que la machine ?"
B.B. : "Oui, effectivement vous n'avez qu'une commande pour gérer le couple. Donc par exemple, si vous mettez un humain dans le Devbot sans gestion logicielle du couple, donnez-lui juste un accélérateur que vous distribuez équitablement entre les quatre roues, et il aura ces fameuses deux secondes de retard sur l'IA qui utilisera la gestion du couple.

Si vous activez la gestion du couple pour l'humain, alors il n'est plus en contrôle - le logiciel est en contrôle. Donc ces deux secondes au tour viennent du fait de donner le contrôle à l'ordinateur, pas à l'humain. Donc il n'y a pas de compétition homme-machine".

e-racing : "Non, c'est une collaboration".
B.B. : "Oui - donc ça touche à la pureté de ce que nous voulons être la course humaine dans le future. Nous avons déjà vu ça en Formule 1 où nous avions des freins "truqués" sur les voitures. McLaren avait une pédale ou un levier "secret", qui était conçu pour aider avec la distribution du couple à l'arrière de la voiture.

Mais la FIA a banni ce système. Ils l'ont banni en tant qu'aide au pilotage quand, en fait, ce n'en est pas vraiment une, c'est une interface de contrôle. En réalité c'est le talent du pilote - être capable de contrôler le véhicule que vous avez pour en faire quelque chose, et c'est vraiment intéressant, c'était quelque chose qui n'aurait pas dû être banni à l'époque et qui montre que si vous avez deux pédales de frein, alors il cela relève du talent du pilote de les utiliser".

2016/2017 FIA Formula E Championship.
Round 12 - Montreal ePrix, Canada
Sunday 30 July 2017.
Roborace car.
Photo: Sam Bloxham/LAT/Formula E
ref: Digital Image _W6I6295

Pas de date butoir

e-racing : "[...] Est-ce que vous avez un emploi du temps concernant le moment où la Robocar pourra être produite à échelle réelle ?"
B.B. : "A l'heure actuelle ce n'est pas confirmé, le contrat n'a pas été signé donc je ne peux pas vraiment en dire plus. En tant que constructeur, nous avons recours à beaucoup de partenaires pour construire le châssis - nous nous occupons de l'assemblage. Tout le design vient de nous, et est ensuite réalisé par nos partenaires. Nous faisons l'assemblage final des véhicules, et à l'heure actuelle nous faisons cela à Yarnton, dans notre usine".

e-racing : "Est-ce que nous verrons les Robocars en piste l'année prochaine ?"
B.B. : "Nous avons déjà eu une Robocar en piste à Paris cette année. Et en réalité nous avons déjà eu les deux voitures en piste en essais privés - nous utilisons une réplique d'un circuit de Formule E dans un lieu privé, et nous l'utilisons pour tout le développement de notre logiciel et du véhicule, et c'est ce que nous avons fait durant ces quatre ou cinq derniers mois".

e-racing : "Donc c'est assez proche de faire la course ?"
B.B. : "L'objectif est vraiment décembre, à Hong Kong, pour la Formule E, pour voir ce que nous mettons sur la piste à ce moment là. Nous sommes en discussions avec la Formule E à propos du meilleur format, du meilleur divertissement que nous pouvons proposer sur l'événement, mais aussi pour avoir l'opportunité de communiquer sur ce qu'est la technologie autonome, il y a un travail d'éducation que nous devons faire. Plutôt que de simplement dire : "Oh, il y a quelques voitures sur la piste", c'est : "comment raconter l'histoire des véhicules autonomes ?". La Formule E a fait un travail génial à ce niveau pour les groupes propulseurs électriques, nous devons faire la même chose pour les véhicules connectés et autonomes".

e-racing : "C'est à peu près le même travail de communication que vous devez effectuer entre la voiture et le pilote, le transposer au grand public ?"
B.B. : "Oui, exactement, et ça prendra du temps. Mais c'est un challenge vraiment intéressant auquel l'industrie devra faire face d'ici deux ou trois ans. En fait, avec Audi cela viendra très rapidement..."