Bien que le Tourist Trophy de l’Île de Man, soit mondialement renommé, le milieu des courses sur routes et ses spécificités reste peu connu dans l’hexagone. Le Berrichon Morgan Govignon, 34 ans, fait partie de ces français qui participent aux Road Races. Il nous raconte comment il a atteint son rêve de gosse et une multitude d’anecdotes dans un entretien très enrichissant.
Ta passion pour la moto, elle te vient d’où ? Peux-tu nous raconter également ton premier TT en spectateur ?
Moi je voulais d’abord être chauffeur routier comme mon grand-père ! Mes parents avaient un side-car et on partait en vacances avec. Mais on côtoyait surtout d’autres motards, des jeunes qui roulaient comme des fêlés sur des Suzuki 1100 GSXR, Kawasaki ZXR… Et je trouvais ça carrément cool. On les retrouvait sur des grosses fêtes comme les 24 Heures du Mans, des concentrations... La passion est née comme ça.
En 1996, ma mère avait glissé sous le sapin des billets bateau pour aller sur l’Île de Man. Un grand rêve de mon père mais qui ne parle pas du tout anglais, contrairement à ma mère. Ils nous ont emmené au Tourist Trophy pour la toute première fois en side-car et toile de tente en 1997 donc, avec mon petit frère qui avait à peine 7 ans et moi un peu plus de 10 ans. La découverte en vrai du Tourist Trophy ! J’en entendais déjà parler depuis plusieurs années à la maison, je savais que c’était énorme mais quand tu le vois en vrai... c'est un truc de fou !
Et quand tu en reviens, et que tu as un t-shirt du Tourist Trophy dans les gradins du Bol d’Or les gars te disent "putain t’as un t-shirt du TT ! c’est pas vrai que tu y es allé gamin ! Je ne l’ai jamais fait mais moi, j’ai 50 ans", "ben si m’sieur !" . C’est vraiment une passion transmise par mes parents et leurs amis qui avaient des motos de fou.
Raconte-nous tes débuts en compétition
Ma toute première course… En fait je ne pensais jamais être pilote, et je ne me considère pas comme un pilote, je suis un amateur. Ma toute première course c’était le Moto Tour en 2007. Mon objectif à travers mes études était d’intégrer une écurie, mais comme ingénieur piste. J’ai découvert le Moto Tour à travers l’écurie Tecmas pour laquelle j’avais fait un stage au cours de mon parcours scolaire. J’avais donc déjà quelques notions de base sur le déroulement et la préparation d’une course.
En parallèle avec des copains étudiants de l’ISAT de Nevers, on a monté un projet pour faire rouler une vieille BMW au Bol d’Or Classic. Avant de quitter l’école, j’ai dit aux copains "on fait un dernier coup tous ensemble ! Je m’inscris au Moto Tour, on équipe la BM de piste pour la route, et feu !". J’avais pas une thune, je suis parti bosser à la chaîne chez Rosières pour boucler le budget.
La voiture d’assistance était une 4L « piquée » aux copains qui faisaient le 4L Trophy… On avait vendu à notre école un espèce de truc où, à travers la course, on présenterait la formation ISAT dans des lycées sur le parcours. C’était n’importe quoi (rires). J’avais pas beaucoup roulé sur cette moto de 79, et nous voilà partis pour 3 000 km au Road-Book.
Je pensais que ça serait la seule course de ma vie, que je n’aurai plus la possibilité ensuite… Mais en fait ça a été le déclenchement et tout s’est enchaîné.
Avant de nous parler de tes débuts sur l’Île de Man, peux-tu nous présenter le déroulement des courses là-bas.
Pour accéder à l’Île de Man c’est de plus en plus compliqué. Il y a une vingtaine d’années, la course était un peu tombée en désuétude. Avec l’arrivée d’internet, des vidéos, des infos plus accessibles et aussi l’augmentation de la répression routière, voir qu’il y avait un coin dans le monde où l’on pouvait rouler très très vite sur route, ça a fait le buzz pour une génération qui ne connaissait absolument pas.
Ajoutons à cela les 100 ans du Tourist Trophy en 2007. Il faut savoir qu’il y a 25 ans, des membres du gouvernement de l’île parcouraient l’Europe et proposaient des primes de départ et d’arrivée pour remplir la grille ! Maintenant il y a tellement de pilotes qu’il y a une sacrée sélection.
Il y a 2 courses notamment, le Tourist Trophy (pour les pros) qui se déroule en juin et le Manx Grand Prix (réservé aux amateurs) en août. N’étant ni connu ni rapide, j’ai dû passer par la case Manx GP pour accéder au Tourist Trophy. Et encore pour y participer, il faut constituer un petit dossier justifiant de son expérience et participer à certaines courses qui permettent d’obtenir une licence spéciale pour rouler sur l’Île de Man.
Les 2 courses se déroulent sur le même tracé mais il faut réaliser un bon chrono au Manx pour pouvoir participer au TT. Le Manx c’est un truc pour les pilotes amateurs, alors qu’au TT il y a des équipes avec des très gros moyens, c’est pas évident d’être là-dedans quand on est un « petit ». Mais c’est un plaisir énorme de côtoyer des mecs que tu as en photo chez toi !
Tu as des souvenirs particuliers de ton tout premier tour sur le fameux Mountain Course ?
Pour guider les nouveaux pilotes là-bas (appelés « newcomer » et affublés d’une chasuble orange), le premier tour se fait derrière un marshall, sous contrôle. C’est un pilote expérimenté connaissant très bien le circuit. Toi tu arrives avec ta moto de course, tes couvertures chauffantes, et tu vas voir le marshall qui n’a pas de couvertures chauffantes, qui attend tranquille... Je me présente à lui et lui demande comment ça va rouler, il me répond « nice and smooth » que l’on pourrait traduire par tranquille et propre.
Sauf que lui il connaît le tracé… Toi, tu as beau avoir regardé des vidéos, joué au jeu vidéo, tu n’as encore jamais vu le tracé à cette vitesse-là. Tu descends Bray Hill, il a les pneus froids, c’est plutôt cool. Tu arrives à Quarter Bridge, virage à droite où tu fais chauffer le flanc droit. A Braddan, tu fais chauffer le flanc gauche. Les pneus sont désormais chauds et là c’est parti…
Lui il se promène mais toi tu es à la ramasse pour essayer de le suivre. Au bout de 5 km, tu arrives à Crosby, c’est une grande montée et en haut tu sautes, tu es à 230, et tu sautes déjà des 2 roues. Sauf qu’ensuite il reste encore 55 km à faire pour boucler le tour. Je me suis dit que c’était le rêve de ma vie, mais que je m’étais peut-être trompé !
Un énorme moment de doute… Mais il y a un minimum d’honneur qui te pousse à suivre le marshall dans ce tour sous vitesse contrôlée ! En descendant de moto, je me suis dit que je pensais savoir des choses mais qu’en fait je ne savais rien.
La chance cette année-là, c’était d’avoir Julien Toniutti (ndlr : plusieurs titres de Champion de France des rallyes routiers, et actuel recordman du tour français au TT) qui débutait aussi au Manx GP. Julien est notre référence en France en termes de courses sur routes, et un ami. Quand je suis descendu de moto, je suis allé le voir et il m’a dit "je ne sais pas faire de moto, le rallye, c’est un truc pour enfant". J’ai compris que si lui prenait une claque dans la gueule, c’était normal que j’en prenne une aussi.
Le premier plaisir a été le tour suivant, sans marshall. Plus personne devant, tu es à 240 dans la montagne et là, un flash, où tu te dis « putain j’ai le droit de faire ça ! » et avec des gens qui applaudissent en plus !!! Le premier tour c’est une grosse claque, une remise en question et une leçon d’humilité. Tu comprends que sur aucun circuit au monde tu prendras une descente à 220, 800 m après le départ... Sachant qu’à la fin tu la prendras avec 40 km/h de plus !
Y a-t-il du monde également au Manx GP ?
Bien moins de monde, les deux événements sont gérés de manière différente mais le Manx est essentiel au TT car il constitue son réservoir de pilotes. Assez récemment, ils ont intégré le Classic TT au Manx GP et où les pros ont le droit de rouler, les grands du TT comme John McGuinness et Michael Dunlop y sont. Et il n’y a pas de secrets, plus ils roulent, même sur une vieille moto, plus ils continuent de prendre encore de l’expérience. Et ils ramènent du public !
Bon et ton premier TT en 2016, c’était comment ?
Après deux Manx, le TT c’était le but ultime. La différence avec le Manx GP n’est pas énorme. Au Manx on m’avait dit de poser ma tente à un endroit, et c’était à côté du motor-home de John McGuinness (23 victoires sur le TT). J’ai pu discuter avec lui et Michael Dunlop, et ces grands pilotes n’ont pas hésité à me donner quelques conseils.
L’ambiance au TT est moins décontractée, il y a des enjeux sportifs et économiques pour les meilleurs. Je me sentais sous pression, avec la peur de ne pas réussir si près du but. Heureusement, j’avais ma famille et mes mécanos, Stéphane et Ludo, sur qui je pouvais plus que compter.
Terminer la première course de Supersport au TT a été une vraie libération J’étais très content de faire le Manx, de rouler sur l’île de Man, mais l’objectif c’était le TT ! Ça peut paraître un peu con car le tracé est le même… Mais le TT c’était mon rêve de gamin, et je me revois en larmes à l’arrivée.
En 1997, sur le ferry au retour du TT j’ai dit à mes parents que je roulerai au TT, et ensuite une grosse partie de ma vie a été guidée par ce rêve de gosse. Forcément quand tu y arrives et sans trop de moyens, après avoir bien galéré, c’est énorme...
J’avais 21 ans lors de ma première course, montée de bric et de broc avec des copains… Et là, 9 ans après, tu vois à l’arrivée ta femme, ta fille dans une poussette, et tu te dis que tu as réussi. La joie est au-delà de tout. Un véritable accomplissement pour un amoureux de cette course comme moi.
Au TT, comme partout, les pilotes phares sont adulés mais qu’en est-il du traitement des amateurs comme toi ?
Ce que j’aime beaucoup dans les courses sur route, et c’est une des raisons pour lesquelles je me suis tourné vers ces courses, c’est qu’il y a énormément de respect. J’ai été mécano quelques temps sur les circuits en France, et même si ce n’est pas une généralité, j’ai vu beaucoup de mecs essayer de tirer la couverture à eux, limite être content quand un adversaire ne pouvait être au départ faute d’avoir pu réparer sa monture à temps.
En course sur route, l’esprit est différent. Il y a plus de « bricoleurs » qu’ailleurs ! J’ai vu de ces trucs… Un gars qui lorsqu'il n’était pas sur sa moto était sous son van en train de gratter la culasse car il avait fait un joint de culasse à l’aller. C’est la vraie vie ! (rires) Il y a beaucoup de mecs qui n’ont pas grand chose, on voit plus de mecs dans les paddocks avec les mains sales qu’avec une casquette plate et les lunettes de soleil.
Il y a énormément de respect entre les pilotes, les pros respectent les amateurs. Quand tu te dis que le mec sur la moto d'à côté a des chances de ne plus être là à la fin des 2 semaines. Tu penses autrement, et tu souhaites juste que ce gars soit toujours là et que tout le monde reprenne le bateau. De toute façon sur ces courses, tu peux avoir la meilleure moto du monde, si tu n’es pas le meilleur cette année-là, tu ne seras pas devant.
L’esprit de compétition est très très fort mais le respect aussi, car tout le monde sait ce qu’il va vivre le temps de la course. Les tops pilotes sont ultra accessibles. Je me suis retrouvé à pisser à côté de Gary Johnson qui compte deux victoires sur le TT, à la sortie j’ai discuté avec lui. Il n’a pas hésité à prendre une dizaine de minutes pour me conseiller. Je trouve ça génial.