A l'occasion de la sortie du livre d'Anne Chantal Pauwels, "J'ai pas tapé", dans lequel la copilote de François Delecour partage son expérience durant ses années rallyes, nous avons pu échanger avec le célèbre binôme des rallyes.
L'occasion d'avoir pu rencontrer les deux compères qui ont partagé de nombreux rallyes, traversé des épreuves et collectionné de nombreuses anecdotes qui nous livrent ici dans un échange où les souvenirs reviennent avec nostalgie.
Entretien avec François Delecour et Anne Chantal Pauwels
La « rage », comment se traduisait-elle chez chacun ? Est-ce que vous avez eu rapidement l’ambition d’aller loin ?
FD : "Nous avions un dynamisme à toute épreuve, on ne se posait pas de questions et étions sans limites dans la résistance physique. On a commis des erreurs et on en a payé le prix fort car la route était notre terrain de jeu ; maintenant ce ne serait pas possible. On a eu quelques problèmes avec les flics."
"Comme au rallye Charlemagne où nous devions terminer 4e au scratch. Je rentre et grille un feu car nous étions à la bourre juste avant le parc fermé d’arrivée. Je n’avais pas vu un gendarme, planqué… « N’avez pas vu le feu ? » Je lui réponds « Oui, c’est vous que je n’ai pas vu ». Scandale, les organisateurs nous mettent hors course. On se fait virer de la ligue du Nord. Ca a été un coup dur financier. Combien de fois les banquiers nous ont vu arriver le lundi matin…"
ACP : "J’ai toujours eu l’optique du haut-niveau. Je suis toujours à fond dans ce que je fais, dans l’optique de gagner. C’est une démarche intellectuelle. Même dans le club de ski de fond de mon fils où une course pour les mamans avait été organisée, j’y allais pour gagner !"
"Avec François on avait la rage pour devenir champions du monde et on affirmait cet objectif. Cela nous a valu pas mal d’inimitiés. J’ai toujours cette énergie qui à l’époque nous a permis d’avoir cette capacité de résistance. Et François l’avait encore plus, étant déjà sportif de haut niveau du temps où il était junior au LOSC."
Y’a-t-il eu des moments de découragement ?
FD : "Oui, mais ça n’a jamais duré bien longtemps. Le plus gros coup dur a été au Madère 85. On prend une voiture de location pour tracter sur un plateau la 205 GTI. Pour limiter les frais on ne précise pas notre véritable destination et on débranche le compteur. Sur le périph’ de Madrid, une camionnette crève et vient percuter de plein fouet le plateau et la voiture de course."
"Eux sont blessés, pas nous. Mais il a fallu expliquer au loueur qu’on était à Madrid… On a perdu la 205 car les assurances ne marchaient pas. Cela a été très compliqué pendant quelques semaines jusqu’à ce qu’on reçoive une aide du Groupement des concessionnaires Peugoet (GCAP) car on était jusqu’à l’accident premiers de la coupe 205 GTI. Ce coup du sort a été finalement un détonateur et une porte d’entrée vers le professionnalisme. Pour la saison 87, Peugeot prenait en charge tous nos frais, c’était pour nous hallucinant !"
ACP : "Oui, mais c’était éphémère et on repartait au combat. Je pense que d’être deux a été aussi un facteur de réussite car on se soutenait l’un l’autre."
Quel était le rôle de chacun en dehors de la voiture ?
FD : "Je m’occupais de la mécanique ; j’avais tout le temps les mains dans la graisse et je n’étais pas présentable auprès des sponsors. Anne Chantal faisait tout pour me décharger et elle avait un talent fou auprès des sponsors. Elle a un tel dynamisme ! Quand on n’avait pas de ronds, elle partait en stop à Lille pour démarcher."
"Si elle se faisait mettre à la porte, elle rentrait par la fenêtre ; elle avait une force de persuasion incroyable ! Elle a aussi réussi à enrôler les médias locaux ; il faut dire qu’on était les seuls du Nord à s’exiler, notamment au Monte Carlo. C’était aussi une copilote parfaite : ses notes tombaient toujours justes et elle savait les annoncer avec le bon ton, motivant quand il le fallait."
ACP : "Plus tard j’ai eu plus d’influence sur le choix des courses, mais pas au début. C’est François qui a eu l’excellente idée de faire de longs rallyes pour faire des bornes et accumuler de l’expérience, de l’entraînement. On a vite saisi qu’il fallait apprendre à glisser. C’est pour ça qu’on s’est alignés aux Boucles de Spa ou au Monte Carlo. C’était formateur."
"Quand on était petits copains, on partageait. Quand je me suis retrouvée seule, cela a été plus compliqué. Je vivais dans un HLM et je n’ai pas bouffé tous les jours. Si François avait été mauvais, j’aurais pu me retrouver comme une conne. J’ai eu de la chance qu’il ait ce talent."
"Quand François décroche le volant de la 205 GTI du groupement des concessionnaires (GCAP), Peugeot ne m’a pas payée ; je l’ai eu en travers du gosier. De plus les résultats n’ont pas été au rendez-vous car on partait avec de gros numéros et nous étions gênés.
Peugeot engage ensuite Fréquelin sur la 309 GTI pour la saison suivante et on l’apprend tardivement, en janvier. On se retrouve à pied. Je trouve un sponsor, la Compagnie européenne du textile, qui mise sur nous à travers la marque Winston et nous avons un beau budget.""François voulait repartir en Coupe 205, je lui ai dit qu’il fallait frapper fort avec une grosse voiture. On s’est rapproché de Bouhier et Cilti Sports pour faire trois rallyes sur une M3. Et là on se fait remarquer. Peugeot rappelle François pour succéder à Fréquelin sur la 309, mais ils imposent finalement un autre copilote, Tilber."
"J’étais épuisée, sans fric et sans reconnaissance de Peugeot. J’ai pu alors m’occuper de moi. Il y avait une vie hors du rallye. J’ai eu la charge d’une boutique à Béthune grâce à la Compagnie européenne du textile. Quand la boutique a coulé, je me suis retrouvée au chômage et j’ai décidé de concrétiser un de mes rêves : devenir pilote d’hélico."
"J’ai fait un prêt et j’ai suivi une formation pendant un an et demi. Mais fin 1990, François m’appelle un soir : « J’ai un contrat avec Ford. C’est ta place, si tu veux revenir tu as la priorité ». Les essais commençaient le 1er décembre et j’avais mon examen de pilote d’hélico le 30 novembre ! J’ai un peu réfléchi mais je n’avais aucun doute et j’ai repris le cahier de notes…"
Le duo pourrait-il se reformer l’espace d’une course ?
FD : "Cela n’a rien d’impossible. Beaucoup de gens nous sollicitent…"
ACP : "Pourquoi pas, ce serait drôle, mais tu fais du neuf avec du vieux. Ce sont les nostalgiques qui aimeraient, mais ça n’a pas d’intérêt sportif. J’ai fait mon dernier rallye au début des années 2000 avec François à Madère. Tous les réflexes étaient revenus ; ça m’a fait plaisir, mais point, j’ai tourné la page."
Fin de cet entretien dédié à leur vie du rallye, un dernier épisode arrive avec leur injustice du Monte-Carlo 1991. Si vous souhaitez vous procurer le livre d'Anne Chantal Pauwels, c'est possible via la boutique en ligne de son site. Pour relire la partie 1.