La semaine dernière, Netflix et la F1 Academy dévoilaient une série documentaire de 7 épisodes retraçant la saison 2024 de la catégorie. Une production signée Hello Sunshine qui s'inscrit dans la lignée d'autres réalisations en partenariat entre la plateforme de diffusion et la Formule 1, à l'image de Drive To Survive, diffusé annuellement depuis 2019.

Annoncée dans le courant de la saison dernière, F1:The Academy levait de nombreuses interrogations. Est-ce que nous allions avoir la production documentaire qui nous était promise ou est-ce que nous aurions le droit à la version féminine de Drive To Survive ? Est-ce que l'objectif était de nous permettre de nous immiscer dans le paddock ou est-ce que l'on aurait une nouvelle téléréalité à succès ? Est-ce que le but était de détailler le fonctionnement du championnat ou simplement de le faire connaître ?

Une série documentaire ?

« Film de caractère didactique ou informatif qui vise principalement à restituer les apparences de la réalité ». Telle est la définition d'un film documentaire selon Vincent Pinel, historien du cinéma, dans son ouvrage Dictionnaire technique du cinéma publié en 2012 par Armand Colin. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) évoque quant à lui un « film, généralement de court ou moyen métrage, à caractère informatif ou didactique, présentant des documents authentiques sur un secteur de la vie ou de l'activité humaine, ou sur le monde naturel ». Si l'on s'en tient à ces deux définitions, relativement similaires dans leurs idées, il est impossible de considérer F1:The Academy comme un documentaire.

Passons outre le sujet du format et de la longueur de la production, puisque que l'on parle d'un film documentaire ou d'une série documentaire, l'objectif reste le même. Le choix de la série est d'ailleurs ici on ne peut plus cohérent compte tenu de deux éléments importants : la quantité faramineuse de matière recueillie tout au long de la période de tournage et le découpage assez évident de cette dernière, chaque meeting faisant plus ou moins l'objet de son propre épisode. Ce qui va nous intéresser ici, c'est donc le contenu de ces très exactement 264 minutes d'images, réparties en sept épisodes d'une quarantaine de minutes chacun.

« La Formule 1 est dominée par les hommes, mais ça va changer ».

C'est sur cette affirmation de Susie Wolff que s'ouvre la série, dans un premier épisode qui sert d'introduction à ce qui nous attend ensuite. Il nous est présenté le championnat, toujours par l'intermédiaire de sa directrice, qui nous raconte la genèse de la catégorie, son fonctionnement, et d'une façon générale, l'objectif qui est porté par la démarche. C'est clair, concis, et relativement honnête avec la réalité sportive de la F1 Academy. Car bien que la catégorie soit par moment sacralisée et élevée à un rend au-delà du sien, il est tout de même précisé à plusieurs reprises que ce n'est pas de la Formule 1 et qu'on est bien ici en train de suivre une formule de promotion. Si l'on veut pinailler, il reste cependant dommage de n'avoir aucune mention à la Formule 4, laissant éventuellement planer un doute chez les téléspectateurs qui n'auraient pas connaissance de la pyramide de la monoplace et de la position de la F1 Academy à la base de cette dernière.

Une fois les bases du championnat posées, la série se charge de nous présenter les premières pilotes. On retrouve alors Lia Block à New York, puis Bianca Bustamante lors du meeting américain de Miami. Dans l'épisode suivant, ce sont Abbie Pulling, Amna et Hamda Al Qubaisi, et Chloe Chambers, qui sont mises en avant, et puis c'est à peu près tout... Il faut attendre au-delà de la moitié de la série pour que l'on nous présente Doriane Pin, et les huit autres pilotes à temps plein sont à peine, voire pas du tout mentionnées. Lola Lovinfosse et Aurelia Nobels bénéficient de quelques apparitions au début, Maya Weug est brièvement présente dans les derniers épisodes, et à part quelques passages dans le champ des caméras, aucune mention à Jessica Edgar, Emely de Heus, Carrie Schreiner, Nerea Marti, Tina Hausmann, ni aux différentes Wild-Card présentes au fil de la saison. Le parti pris de la série est ainsi de se focaliser sur une poignée de pilotes dont la production a estimé les parcours plus intéressants à suivre et à raconter. Pourquoi pas après tout.

Qu'en est-il donc de cet accompagnement en immersion dans leurs saisons ? La série nous offre des séquences hors des circuits, mais aussi dans les coulisses du paddock, souvent lors d'échanges entre les pilotes et leurs coachs, managers, directeurs d'équipes, et autres concurrentes au championnat. Certaines de ces séquences s'avèrent très intéressantes, et par moments la série nous donne véritablement l'impression de faire partie de ce monde, et de vivre des moments qui nous sont habituellement impossibles à voir. On découvre également les pilotes sous un aspect très humain, puisque toutes les jeunes femmes que la série suit ont le droit à leur séquence dans un cadre familial, où l'on évoque leurs parcours, leurs difficultés, et ce qui les motive à poursuivre leur rêve de course automobile. Mais à vrai dire, c'est à partir de là qu'à mon sens la série documentaire perd de son sérieux...

Une téléréalité.

En effet, au-delà d'une présentation des pilotes et de leurs environnements familiaux, ces séquences ont plus pour but de coller à la construction de personnages qu'à véritablement nous permettre de nous immiscer dans la vie des pilotes. Et de manière générale, la majorité des séquences hors des monoplaces sont construites en ce sens. On nous impose des pilotes avec des traits de personnalité marqués, qui ne sont pas forcément faux pour autant, mais qui sont exagérés à la limite de la caricature afin que le téléspectateur puisse facilement poser une étiquette sur les différentes pilotes et rapidement identifier chaque personnage du programme qu'il est en train de suivre.

Cet aspect très narratif à la Drive To Survive est appuyé par de trop nombreuses séquences mises en scène qui sonnent fausses. Les discussions lors de ces moments ne sont évidemment pas scriptées, mais ce n'est pas la caméra qui s'invite dans une interaction privilégiée entre deux personnes, c'est toute une équipe de tournage qui a soigneusement installé un plateau, des lumières, des micros, des caméras, en réfléchissant aux plans réalisables, et à la façon dont cela pourrait être intégré au montage final. Le tout agrémenté d'une ambiance sonore et de musiques qui nous ramène au cœur des années 2000, à l'âge d'or des Teen Movies, tranchant pour le coup avec l'ambiance sonore très grave et épique que cherche à installer Drive To Survive.

Enfin, plus gros point noir d'une série qui se veut être un documentaire : les erreurs factuelles. Bien que Netflix soit en mesure de réaliser des documentaires immersifs et respectant une réalité factuelle comme peut l'être le tout récent The Seat avec Kimi Antonelli par exemple, la plateforme nous a également habitué à ce que la réalité soit plus ou moins manipulée afin de coller à un récit souhaité par les producteurs de sa série phare en matière de sport automobile. F1:The Academy ne suit pas la trajectoire de la première production citée, mais bien de la deuxième. La présence de Ian Holmes en tant que producteur exécutif, également présent dans les crédits de Drive To Survive en est peut-être une raison. Le cahier des charges transmis par la Formule 1 à Hello Sunshine, boîte de production en charge de réaliser la série, en est peut-être une autre. La présence d'une "Story Producer", métier indissociable des émissions de téléréalités, en est incontestablement une. Passons sur le montage qui se permet d'utiliser des images d'un meeting pour en illustrer un autre, qui crée des conversations radios inexistantes et qui répète les mêmes séquences sous différents angles pour en augmenter le côté spectaculaire, et concentrons-nous uniquement sur les faits.

« F1:The Academy met en lumière le suspense des courses ».

D'un côté, la réalité n'est que légèrement manipulée. « F1:The Academy met en lumière le suspense des courses », soulignent les producteurs dans un communiqué de presse. C'est le cas tout le long de la série par l'intermédiaire des voix-off, enregistrées à part et qui permettent de lier de façon plus ou moins plausible les événements montrés en piste. À Singapour, alors que Bianca Bustamante commet une erreur l'envoyant en tête à queue, elle repart dernière et doit alors enchaîner les tours rapides pour revenir sur le peloton. Aucune mention à la Safety Car qu'elle a elle-même provoquée, lui permettant d'être collée au diffuseur de la voiture devant elle au moment de la relance... Plus tôt dans la série, alors que ce sont 84 points qui séparent Abbi Pulling de Doriane Pin, le narratif nous fait croire qu'en cas de victoire de la française, l'écart sera considérablement réduit, et que la britannique sera sérieusement mise sous pression. Heureux hasard, Doriane Pin remporte l'une des deux courses du weekend, et plus aucune mention des points, ni du résultat d'Abbi Pulling qui terminera pourtant sur le podium...  Et ce ne sont que deux exemples, la liste est encore longue...

D'un autre côté, certains des éléments présentés sont tout bonnement erronés. Dès les premières minutes, la série nous accueille à Miami pour la manche inaugurale de sa saison, la véritable manche inaugurale en Arabie Saoudite étant totalement absente du montage final. À plusieurs moments, on nous parle de l'irrégularité d'Abbi Pulling, dans une saison où on le rappelle elle n'aura jamais terminé hors du podium en course et où elle aura signé 10 des 15 pole positions possibles. Enfin, le meeting d'Abu Dhabi est le summum de ce qui est reprochable à la série : les courses étant mélangées, les événements de la dernière course du weekend étant utilisés pour raconter la première et inversement, et le montage global construisant d'abord une frustration globale pour la majorité des pilotes suivies avant une ultime course qui sert finalement de rédemption générale synonyme d'une fin heureuse pour toutes.

Une vitrine pour le sport féminin

Il est évident qu'à la lecture de cet article, vous comprendrez que je n'ai pas apprécié F1:The Academy, pour de multiples raisons. Mais la raison principale est tout simplement que je ne suis pas le public visé. Et si vous lisez ces lignes, il y a fort à parier que vous ne l'êtes pas non plus.

Susie Wolff, Directrice Générale de la F1 Academy

Nous voulons être le moteur de la participation des femmes à notre sport, tant sur la piste qu'en dehors. Le lancement mondial cette série documentaire n'est pas seulement un énorme pas en avant dans la visibilité de notre mission, mais aussi une déclaration retentissante sur l'élan et la demande pour le sport féminin. Nous voulons inspirer et responsabiliser la prochaine génération de jeunes femmes, et Netflix ouvrira la F1 Academy à un public mondial de fans existants et futurs.

Ces mots de la directrice de la catégorie datent de l'année dernière, au moment de l'annonce de la série, et ils résument parfaitement l'objectif de cette dernière. Car depuis plusieurs jours, voire semaines, l'espace médiatique s'est réservé une case pour y parler F1 Academy. En France, les médias généralistes en ont fait mention, et France 5 y a même consacré un segment de son émission C à vous en y invitant Doriane Pin. Outre-Manche, la série a eu le droit à son avant-première ultra médiatisée, et outre-Atlantique, même traitement, avec des apparitions de Lia Block et Doriane Pin, entre autres, dans de célèbres talk-shows américains, et Vanity Fair consacrera même un plein article aux trois pilotes américaines engagées pour la saison 2025. Si l'on ajoute à cette nouvelle exposition la stratégie de communication déjà très agressive de la F1 Academy et de certaines des participantes, comme Bianca Bustamante qui s'est vue apparaître en Une de Vogue Philippines notamment, on se retrouve avec un championnat qui s'avère être autant voire plus médiatisé que la Formule 2, en faisant quoi que l'on en pense une véritable vitrine d'un sport au féminin.

Et le parallèle dressé avec Drive To Survive précédemment ne s'arrête pas uniquement au contenu des épisodes, mais également à cet objectif de démocratiser un sport. Car exactement comme a pu le faire la série sur la Formule 1, cette production sur la F1 Academy attirera les curieux. Qu'ils soient des consommateurs de Drive To Survive désireux de donner une chance à sa version féminine, ou de simples abonnés Netflix qui verraient la série apparaître dans leurs recommandations, il n'y a aucun doute sur le fait que la catégorie verra des milliers de nouveaux yeux se poser sur elle. La majorité s'arrêtera à la fin du dernier épisode, certes, mais une partie, inévitablement, s'intéressera au sport au-delà de son cadre narratif fixé par la série. Certains verront que ce n'est pas si spectaculaire et intense que l'on veut nous faire croire et partiront, d'autres seront happés par la réelle action en piste et resteront. Exactement comme Drive To Survive a pu le faire avec la Formule 1, toutes proportions gardées. Et c'est là qu'est l'objectif de F1:The Academy. Car parmi les nouveaux fans qui se laisseront porter par cette série et ses éventuelles saisons à venir, il y aura inévitablement des petites filles qui se prendront à rêver, et peut-être que dans le lot, l'une d'entre elles atteindra la Formule 1, d'une manière ou d'une autre, pour finalement donner raison à une démarche bien plus importante initiée par la F1 Academy.

Des monoplaces de F1 Academy en piste lors d'une course.

© Aston Martin