Les courses automobiles ne se sont pas toujours disputées sur des circuits dédiés, mais parfois sur des tracés urbains et non permanents. Le Grand Prix de Pau est le seul circuit urbain de France, et en 1938, cette France dut affronter le nazisme...
En 1937, dans une Europe déchirée par les tensions politiques et économiques, les voitures de course continuent de rouler. Pour sauver son industrie automobile face à la menace allemande, l'État Français offre alors une prime d'un million de Francs à quiconque pourra battre les automobiles allemandes sur la piste.
Des courses politiques dans les années 30
Le début des années 30 fut marqué par la dominance incontestée des Alfa Romeo rouges sur les circuits européens, gagnant tous les grands meetings de l'époque. En 1933, à la suite de la faillite de la marque Milanaise, Benito Mussolini, alors au pouvoir en Italie, ne se fit pas prier pour injecter d'importantes sommes d'argent dans la marque et en faire un instrument de propagande.
Lors de son arrivée au pouvoir, son homologue allemand Adolf Hitler s'inspire alors fortement de ses idées pour retrouver un sentiment patriotique en Allemagne. Le pays est alors toujours marqué par les dures sanctions du Traité de Versailles et frappé de plein fouet par la crise économique de 1933. La même année, il annonce lors du Salon Automobile de Berlin le financement d'un programme visant à équiper tous les foyers allemands d'une automobile, avec le développement de la Volkswagen (voiture du peuple en allemand) confié à Ferdinand Porsche.
Il annonce également un don annuel de 500 000 Marks à Mercedes-Benz, afin que la marque développe des voitures de course qui domineront les pistes européennes. Ferdinand Porsche, qui avait alors pu se rapprocher de Hitler, lui souffla qu'il venait également de monter sa propre entreprise de voitures de course, nommée Auto Union, et qu'une petite compétition nationale ne pourrait que pousser Mercedes à faire de meilleures voitures.
C'est ainsi que naquit la légende des Flèches d'Argent, et que débuta une période de domination sans précédent d'un pays sur la scène européenne du sport automobile. Alors que les constructeurs étrangers se remettaient à peine de la crise économique, Adolf Hitler avait fait de ses voitures de course argentées une cause nationale.
Et chaque victoire était accompagnée de son lot de propagande, mais aussi de nouveaux dons au constructeur victorieux, enfonçant un peu plus les autres compétiteurs. À chaque Grand Prix on retrouvait alors des hordes de politiciens allemands en costume noir dans les stands des écuries allemandes, et les départs étaient toujours précédés par le traditionnel salut nazi.
La réponse française
À la fin de l'année 1936, malgré la menace montante d'une guerre avec une Allemagne toujours plus dangereuse et puissante, l'État Français souhaite redorer le blason de son industrie automobile, et surtout mettre un terme au monopole allemand sur les victoires européennes. Elle propose alors un prix d'un million de Francs via le Fonds de Course à quiconque pourra développer une voiture capable de battre les Flèches d'Argent. Le défi est lancé pour fin août 1937.
Les bureaux d'étude des grands constructeurs français, Renault, Talbot Lago, Bugatti, se mettent alors au travail, en quête de la voiture de course ultime. C'est alors qu'apparaît un trio... inattendu.
Le premier personnage est Lucy Schell. Pilote irlando-américaine passant la plupart de sa vie en France, elle s'illustre comme une des premières pilotes de course. Elle remporte notamment La Coupe des Dames, la compétition réservée aux pilotes féminines du Rallye Monte Carlo en 1929, et monte ensuite à trois reprises sur le podium du rallye général pendant les années 30.
Fille d'un riche banquier américain, elle fonde l'Écurie Bleue, écurie de course engageant des Delahaye et Maserati en Grand Prix. Elle est également la mère de Harry Schell, pilote et playboy américain des années 50, passant également la plupart de sa vie en France.
Le deuxième personnage est le constructeur Delahaye. Alors plutôt habituée à construire des camions ou coupés confortables que sportifs, la marque sort en 1935 la Type 135, petit coupé dont seront dérivées les versions Spécial et Sport, qui remporteront alors de nombreuses courses de côte.
La voiture plaisant à Lucy Shell pour son Écurie Bleue, un fort lien commercial naît entre les deux parties. C'est alors l'américaine qui, ayant pris connaissance de l'offre alléchante de l'État Français, pousse le constructeur à développer une version plus performante de ses petits coupés. Elle prendra alors à sa charge les coûts de développement du véhicule.
Le troisième personnage est René Dreyfus. Pilote français né en 1905, il rencontre un bon succès au début des années 30 au volant de Maserati, Bugatti, Ferrari et autres Alfa Romeo. Malheureusement, l'antisémitisme grandissant à cette époque en Europe coupa court à sa carrière, la consonance de son nom de famille ne jouant pas en sa faveur. Cependant, la riche baronne américaine décida de lui faire appel pour le projet avec Delahaye, et il participa ensuite à d'autres courses au volant de voitures engagées par l'Écurie Bleue.
Record battu
Les ingénieurs du constructeur français, sous la direction du jeune ingénieur Jean François, se mirent alors aussi au travail, développant et construisant quatre prototypes sur la base du nouveau coupé Type 145. Le développement de la voiture prit plusieurs mois et, après de nombreux tests et ajustements, une nouvelle voiture était née.
La face avant de la voiture de route avait complètement disparu, la carrosserie, seulement recouverte de la plus fine couche de peinture bleue possible, avait un nouveau profil aérodynamique, et un nouveau moteur V12 4.5 litres à triple arbre à cames équipé d'un bloc magnésium, un matériau alors très peu répandu dans l'industrie automobile, était installé sous le capot.
Fin juin, la voiture fit ses premiers tours de roue sur le circuit de Montlhéry. Cependant, l'accueil réservé au nouveau bolide en bleu ne fut pas des plus chaleureux. Les attentes placées dans la Delahaye n'étaient déjà pas très hautes, la marque devant notamment se battre face à Bugatti, marque qui avait déjà fait ses preuves sur les circuits européens.
Mais la pire surprise fut alors la face avant de la voiture. Le développement aérodynamique de la carrosserie avait alors placé les phares très bas et les garde-boue très hauts, afin d'optimiser l'écoulement de l'air. La carrosserie ne correspondant alors plus aux standards de beauté de l'époque, les discussions au sujet de la Delahaye étaient plus remplies de moqueries que d'admiration.
L'heure de vérité devait arriver le 27 août. Les pontes de l'industrie automobile française se retrouvèrent alors sur le circuit Montlhéry, référence à l'époque pour les records de vitesse. L'exercice était de parcourir la distance de 200 km avec la meilleure vitesse moyenne. Le précédent record allemand était de 146,508 km/h, établi en 1935 par Mercedes. En avril 1937, Bugatti avait déjà battu ce record, avec une performance à 146,64 km/h. René Dreyfus devait faire mieux.
Sous les yeux attentifs des commissaires de l'Auto Club de France, Dreyfus parcourt alors la distance de 200 km avec une vitesse moyenne de 146,654 km/h. Record battu.
Le 31 août, dernier jour pour participer à l'exercice, Bugatti tente de reprendre la première place. Malheureusement, une casse mécanique va causer l'arrêt de la tentative. Malgré cela, grâce à sa deuxième place, la firme alsacienne empoche tout de même la coquette somme de 400 000 Francs.
Un triomphe en bleu
Pour continuer sur sa lancée triomphale, Lucy Schell décide d'engager deux Delahaye Type 145 au Grand Prix de Pau 1938. Les deux bolides bleus faisaient alors pale figure face aux Mercedes et Alfa Romeo.
La Mercedes W154, nouveau bolide de la marque à l'étoile, faisait alors ses débuts. Supportée par Adolf Hitler qui voyait dans ces bolides un moyen de propagande pour l'industrie allemande, la dernière voiture de course du constructeur avait donc tous les projecteurs pointés sur elle, et tout le monde s'attendait à la voir passer la ligne d'arrivée en première position.
Malheureusement pour les allemands, la fiabilité n'était pas encore au rendez-vous, et les deux voitures rencontrèrent beaucoup de problèmes pendant les essais. Ceux-ci se conclurent par un accident pour le malheureux Hermann Lang et seulement une Flèche d'argent prendra alors le départ de la course, au nom du champion Rudolf Caracciola. Alfa Romeo fut également contraint à l'abandon après qu'une de ses deux voitures ait pris feu pendant la session d'essais.
Sur la grille de départ, Dreyfus est deuxième derrière Caracciola, les deux pilotes ont signé un temps dans la même seconde. Gianfranco Comotti, le coéquipier de Dreyfus chez Delahaye, part troisième mais est déjà relégué à onze secondes du duo de tête ! Si la course se déroule sans incidents, la victoire devrait donc se jouer entre les deux hommes.
Dès le départ, les deux pilotes prennent donc de l'avance sur le reste du peloton. Le pilote Mercedes, malgré quelques attaques du pilote Delahaye, garde la tête jusqu'à la mi-course. À ce moment-là, le principal désavantage de la Mercedes arrive, et le bolide allemand doit s'arrêter aux stands en raison de son gourmand moteur à compresseur.
En plus de ravitailler la Flèche d'Argent, l'équipe Mercedes doit également changer de pilote. Son pilote star Caracciola avait été accidenté en 1933 à Monaco, et les nombreux changements de vitesses et freinages liés au circuit tortueux de Pau ont ravivé ses douleurs. Lang doit donc prendre le relais.
Pendant ce temps, Dreyfus ne se fait pas prier pour prendre de l'avance en tête. Son adversaire allemand ne peut alors pas remonter le retard accumulé, le tracé tortueux du circuit Pyrénéen l'empêchant d'utiliser le principal point fort de sa monture, la puissance.
Le pilote Delahaye remporte donc la course avec presque deux minutes d'avance sur la Mercedes. Les deux pilotes de tête avaient alors été complètement intouchables pendant toute la course, le troisième étant relégué à six tours !
La Guerre arrive
Après l'humiliation concédée par Hitler avec les quatre médailles d'or remportées par l'athlète américain noir Jesse Owens lors des JO de Berlin 1936, qui devaient permettre au Führer de montrer la puissance et la richesse de son empire au monde, la cuisante défaite d'un pilote allemand au volant d'un des monstres roulant face à un juif est la goutte d'eau de trop pour le Führer.
Dès l'invasion de la France par l'armée allemande en 1940, Adolf Hilter ordonna alors à ses troupes de réduire en cendres les bolides construits par la marque, et une fin des plus morbides était aussi sûrement réservée au pilote.
Lucy Schell, craignant pour la sécurité de son pilote, l'envoya alors aux États-Unis en 1940 pour prendre le départ des 500 Miles d'Indianapolis. Il resta en Amérique jusqu'à sa mort. En entendant les menaces proférées par le Führer au sujet des autos, les mécaniciens décidèrent de les démonter et de cacher les pièces dans une cave au nord de la France.
L'histoire des châssis refit surface dans les années 60 lorsque Serge Pozzoli, un collectionneur de voitures français, fit l'acquisition d'un des châssis. Il passa ensuite les vingt années suivantes à collecter des pièces liées aux châssis. Il réussit à reconstruire une auto complète, qu'il dit être la voiture du record, mais le peu de documentation sur les pièces à l'époque et le risque d'échanges de pièces lors des Grands Prix empêchent les experts d'attester quant à la véracité de ces propos.