Bonjour Alexandre, merci de nous accorder cette interview. Nous allons tout d'abord revenir sur ta carrière. Tu commences le karting à l'âge de 9 ans. D'où t'es venue cette passion pour le sport automobile ?
C'est venu un petit peu par hasard. Mon père faisait du karting en loisirs et un peu de compétition. Un jour, il m'a dit que le jour où j'irai plus vite que lui, il me paierait mon propre karting. Étant donné que j'étais très léger à l'époque, c'est très vite arrivé. Je me suis du coup vite mis au karting.
C'est donc parti d'un pari avec ton père ?
C'est parti d'un pari effectivement mais ma mère m'avait inscrit à un stage de pilotage en karting quand j'avais 8 ou 9 ans. Du coup, j'y ai pris goût et depuis, je ne m'en suis plus détaché.
Tu vas rester 8 ans en karting, finissant 6e lors de ta dernière saison en Championnat de France de Formule Kart. Quels souvenirs gardes-tu de tes années karting ?
Je regrette un peu maintenant, avec du recul, de ne pas avoir été plus sérieux, de ne pas avoir participé à la totalité d'un championnat de France avant la filière (FFSA) ou d'avoir participé à des courses internationales. C'est vrai qu'à l'époque, on n'avait pas trop le temps. Mon père et un mécanicien m'accompagnaient sur les circuits de karting. C'est vraiment pour ça que j'ai choisi d'intégrer la filière à l'époque, pour me consacrer à mon sport. Mais je pense qu'un parcours international en karting m'aurait aidé à franchir plus rapidement certains paliers en voiture.
En 2009, tu participes au championnat de Formul'Academy Euro Series (actuellement F4) où tu connais une saison plutôt mitigé. Tu termines 14e du championnat avec 8 points. Cela a été un choix pour toi d'aller dans cette catégorie ?
En fait, suite à la Formule Kart, j'ai obtenu des bourses pour participer à la Formule Campus et je me suis entraîné à côté, j'ai roulé mais pas suffisamment. Ça a été une saison un peu noire où j'ai eu beaucoup d'accrochage et un manque d'expérience. C'est une saison qui m'a fait me remettre en cause à la fin. J'ai été déçu par le résultat et j'ai choisi, suite à cette année-là, de faire une année d'entraînement en Formule Renault 2.0 pour me mettre au niveau et participer à des courses par la suite.
Tu n'as pas cru que c'était trop tôt pour toi ?
Pas forcément trop tôt mais je pense, avec du recul toujours, que je n'ai pas vraiment mis les moyens en face pour bien m'entraîner et arriver à niveau sur les circuits.
En 2010, tu accèdes à la catégorie supérieure. Tu participes à 2 meetings de Formule Renault 2.0 MEC, à Magny-Cours et Monza, où tu décroches le podium. Pourquoi ne pas avoir fait la saison complète ?
J'ai choisi avec ARTA Engineering et Arnaud Tanguy - qui vient juste de racheter l'écurie Pôle Services à l'époque - de faire une année entière rien qu'avec des entraînements avec les pilotes officiels de son team. Au trois-quarts de la saison, Arnaud Tanguy me dit "Je pense que tu es prêt. Tu es capable de faire les deux dernières courses du championnat Middle European Cup (équivalent du ALPS maintenant). Je lui dis "Avec plaisir". Je fais la première course à Magny-Cours où je finis 4e, ce qui est un très bon résultat, et je fais 3e à Monza. Ça m'a redonné confiance en moi. J'ai su à ce moment-là que je pouvais recommencer la compétition en voiture.
A Monza justement, tu signes un podium avec la 3e place et tu finis à la 9e place du championnat. C'était une grande satisfaction pour toi ce résultat. En 2011, Tu participes au championnat de Formule Renault 2.0 ALPS. Tu finis 17e du championnat avec pour meilleur résultat une 8e place. Que s'est-il passé ?
En 2011, il y a pas mal de championnat qui se sont métamorphosés en Formule Renault: l'arrivée de la nouvelle voiture, le championnat MEC a été transformé en championnat ALPS (les organisateurs suisses se sont alliés avec les organisateurs italiens pour faire un championnat d'Europe). J'ai choisi de participer à la totalité du championnat ALPS. Avec du recul, je me suis fait avoir puisque beaucoup de pilotes d'Eurocup ont choisi de faire le double programme avec le championnat ALPS. Je me suis retrouvé avec des pilotes qui roulaient deux fois plus que moi dans le même championnat. Il y a eu un très bon niveau dans le championnat ALPS. Sur le papier, la position ne fait pas rêver mais si on regarde les pilotes présents cette année-là, surtout le top 10 qui participaient à l'Eurocup cette année, je pense que c'est un résultat correct. Si j'avais fait une année derrière en Eurocup, j'aurais été confronté au même type de pilotes. C'est une année où j'ai acquis pas mal d'expérience.
Ton meilleur résultat a été fait à Pau, la piste où tu avais réalisé justement ton meilleur résultat en 2009. Tu entretiens une belle histoire avec cette piste.
J'aime bien les circuits en ville. Je n'ai pas vraiment peur d'aller taper ou scratcher la voiture. Je n'y pense pas forcément. Pour les autres circuits, à l'époque, j'étais moins expérimenté que certains pilotes. C'est vrai qu'à Pau, on y roule très rarement. Les pilotes arrivent avec une équité au début du week-end. On voit la réelle performance de certains pilotes sur ce type de circuit. On ne peut pas s'y entraîner tous les 15 jours.
2012, tu participes à l'European F3 Open ainsi qu'à la Copa Class. Tu termines 15e du championnat et 3e de la coupe avec 8 podiums. Tout d'abord, comment s'est passé ton intégration en F3? Y a-t-il de grandes différences avec une Formule Renault 2.0 ?
Je me suis très bien intégrer à la F3. C'est une voiture qui a beaucoup plus d'aérodynamisme que la Formule Renault. Elle met plus facilement en confiance dans les virages rapides. C'est une voiture extraordinaire où les limites de celle-ci sont plus lointaines. C'est vraiment une voiture qui m'a plu tout de suite, que j'ai su adapter avec ma façon de conduire assez rapidement. Ce championnat était très intéressant pour moi puisque j'y ai participé avec les anciennes voitures (Dallara 308). Les nouveaux modèles venaient juste de sortir. On était plus nombreux dans la catégorie Copa que Général avec les 312. Ça a été vraiment une expérience très positive pour moi.
Pourquoi n'as-tu pas participé au championnat Eurocup de 2.0 ?
Alors tout d'abord parce que si je participais à l'Eurocup pour optimiser mes chances, comme les autres pilotes, il fallait que je participe à un double programme, avec le championnat ALPS ou NEC. Aussi, à l'époque, je n'avais pas le budget pour participer à ses deux championnats, et j'avais une bonne offre pour participer à la F3 avec les anciens modèles avec la perspective derrière d'évoluer avec les nouveaux modèles. C'était plus intéressant d'aller vers la filière F3.
Pourquoi avoir participé à la Copa ? C'était un choix de ta part ?
Tout à fait. J'ai voulu prendre les choses dans l'ordre. Le championnat était plus intéressant en Copa puisqu'il y avait plus de voitures. Et puis, je me suis dit que si ça marche bien en 308, pourquoi pas passer en 312 après et faire quelque chose de bien.
Cette saison, tu participes à nouveau à l'European F3 Open. Tu effectues un bon début de saison, te plaçant à chaque fois dans le top 10 sur les 4 premiers meetings. Comment expliques-tu cette réussite ? Ta saison en 308 t'a préparé à cette saison ?
Comparé à toi, je trouve que mon début de saison n'a pas été bon. C'était en dessous de mes espérances. C'est vrai qu'on a beaucoup testé pendant l'hiver. J'ai eu de la chance d'avoir eu une bonne proposition du meilleur team du championnat, qui est champion depuis 3 années. On a beaucoup roulé, ils m'ont mis comme leur pilote n°1 et lors des essais d'hiver, j'étais tout le temps dans le top 3. Selon moi, je devais arriver et frapper un grand coup en ce début de championnat et au Paul Ricard, je suis passé un peu à côté, j'ai eu des problèmes en qualifications. Après, ça s'est enchaîné sur les deux – trois premiers meetings où je n'arrivais jamais à concrétiser. Je ne montais pas sur le podium, j'étais dans des places correctes. Mais bon, 6e, 7e ou 8e, ce n'est pas extraordinaire.
Quelles étaient tes attentes ?
Mes attentes étaient de finir dans le top3 du championnat. Mais ma saison a été ascendante. Je n'ai fait qu'évoluer au cours de la saison, ce qui est positif. Vaut mieux ça que l'inverse mais au final, je n'ai pas rempli mon objectif principal.
Silverstone, tu fais une course dans le vide avec un abandon et une 16e place. Que s'est-il passé sur ce meeting ?
Pour la deuxième course, je finis 5e mais on me met 30 secondes de pénalité. C'était un week-end noir. Aux essais, je suis dans le top 5 et en qualifications, j'ai un problème électronique. Ma voiture s'immobilise au bout de 5 tours. Je ne fais que le 10e temps. Au deuxième virage de la première course, je m'accroche avec Emil Bernstorff, un pilote invité.je suis out pour cette course-là et à la deuxième, je pars 7e avec des petits soucis en qualifications mais rien de très méchant et je fais une course super agressive pour remonter et un pilote porte réclamation à la fin pour conduite dangereuse et on me déclasse avec 30 secondes de pénalité, ce qui est vraiment une honte parce que je n'ai touché aucun pilote. Il y a eu une grosse polémique suite à cette course. Le résultat était là, avec zéro point alors que j'étais toujours là en performance.
Est-ce que d'autres personnes de ton équipe ou d'autres pilotes ont trouvé aussi cette sanction injuste ?
J'étais avec le team manager de l'équipe qui été très surpris, comme moi. En fait, sur le papier, ils m'ont mis un Drive-Through alors que la course était déjà finie et cette pénalité, une fois la course finie, est retranscrite en une pénalité de 30 secondes. Et c'est l'une des seules pénalités où l'on ne peut pas faire appel. A la fin, c'est des points qui me manquent pour finir dans le top 5.
Spa, tu reviens dans le top 10 avant d'enchaîner sur un podium lors de la deuxième course de Monza, 3 ans après ton podium en 2.0 MEC. C'était un bonheur pour toi de remonter sur ce podium italien ?
Avant cela, j'ai fait un podium à Jerez qui a été un déclic pour ma fin de saison. Après ça découle sur Monza qui est mon circuit préféré. Je suis arrivé là-bas plus que déterminé parce que malheureusement, mon mécanicien attitré est décédé pendant la semaine. C'était très important, pour moi, de marquer le coup. Week-end très positif sachant que je fais 3 pôles aux essais libres. J'arrive le samedi matin en me disant que je vais faire la pôle. Mais lors du premier tour, ma voiture s'éteint suite à un problème électronique. Je ne fais pas les qualifications de la course 1 d'où je pars à la 29e place. Je remonte à la 7eplace en 12 tours. Ça a été une grosse course de ma part, même si 7e, ce n'était pas la place que je méritais. Le lendemain, je ne me loupe pas et je fais la pôle. Je fais une belle course où je perds la victoire dans le dernier tour mais une 2e place, c'était très positif.
Catalogne, c'est l'apothéose! 3e de la première course et première victoire lors de la deuxième course. Peux-tu nous raconter ce meeting, tes impressions ?
Je suis arrivé là-bas décontracté car dans tous les cas, peu importe mes résultats, je ne pouvais pas finir dans le top 5 au général. J'étais assuré, si je faisais des bons résultats, de finir 6e. Je savais que presque tous les pilotes avaient roulé là -bas puisque c'est un circuit d'entraînement durant l'hiver. Je me suis dit qu'on allait essayer de dérouler comme on le fait l'hiver sans se prendre la tête. Le jeudi, on a eu pas mal de souci d'électronique mais je sentais que les réglages étaient bons. Le vendredi, on se positionne dans le Top 5 régulièrement. C'était de bon augure pour le lendemain. Très bonne qualification le lendemain où je fais 2e et où Ed Jones était très rapide puisque je suis à 3 dixièmes de lui. Lors de la première course, je fais un mauvais départ, je me retrouve 4e. Je me concentre et j'arrive à repasser 3e. Je fais un bon temps au tour, ce qui me permet de remonter sur les deux premiers. Mais j'avais en tête de me dire que si j'étais passé premier au premier virage, j'aurais pu gagner cette course. C'est ce que je fais le lendemain où je prends un bon départ de la 4e place. Je passe à la 2e place et après, j'avais qu'une seule chose à penser: c'était la dégradation de nos pneus, qui ne tenaient que 8/9 tours. J'ai essayé de conduire sans violenter mes pneus et au bout de 8/9 tours, je voyais que les pneus de Jones se dégradaient et j'en ai profité. J'ai réussi à m'échapper par la suite et là, c'était le bonheur! L'écart s'est fait et j'ai pu gérer sur la fin.
Tu es pilote officiel B.R.M. . Quel soutien t'apporte l'horloger ?
Bernard Richards (patron de B.R.M.), j'ai eu la chance de le rencontrer par le biais de mon coach actuel, qui officie pour B.R.M. depuis 10 ans. Bernard Richards m'a accepté au sein de sa grande famille. Il ne m'apporte pas de soutien financier direct mais j'ai un droit de revente sur les montres (la plus-value sur une montre me sert de budget pour ma saison).
Tu es issu d'une famille d'industriels. T'ont-ils toujours soutenu dans tes choix ?
Yves Cougnaud est le groupe de mon grand-oncle. C'est surtout mes parents, qui sont dans l'immobilier, qui financent ma saison, mon père me trouvant des partenaires via son réseau. Yves Cougnaud me soutient mais c'est loin d'être l'un de mes plus gros partenaires. Ils me soutiennent puisqu'ils sont très accès sport eux-aussi, mais plus vers le football. Le cousin de mon père, qui dirige la société, est le président du club du Poiré-sur-Vie. Ils ne sont pas passionnés de sport auto mais ils me soutiennent dans ce que je fais et ils m'assurent une partie de mon budget.
Quels sont tes plans pour la saison prochaine ?
J'ai participé au Porsche Scholarship Program qui est un programme de détection en France créé cette année. On était 12 sélectionnés et le gagnant remporte une bourse et un soutien du constructeur. Mon programme en monoplace devient compliqué parce qu'il faut du budget. Il faudrait que je fasse de la GP2 ou de la 3.5. Mon objectif est de devenir pro rapidement. Pour moi, la filière Porsche est une bonne option. En participant à la Carrera Cup et à quelques manches de la Super Cup l'année prochaine, je pourrais essayer d'intégrer la International Scholarship Program pour passer pilote officiel Porsche dans les années à venir.
Tu viens d'avoir ta licence et tu es actuellement à l'ESPI (école immobilière). Comment se passe l'entente entre école et course ?
C'est de plus en plus compliqué vu le niveau des études. J'ai le statut de sportif de haut niveau, ce qui me permet d'avoir un justificatif auprès de l'école. En amont, on s'entend avec l'école avant d'intégrer le cursus et il m'autorise à aller aux courses. Après, c'est à moi de rattraper les cours et de m'organiser en fonction mais c'est vrai que ce n'est pas toujours facile.
Tu as choisi de faire ses études par envie ou par sûreté ?
C'est une roue de secours. Ça me passionne mais ma priorité est d'être pilote professionnel à court terme.
Ta volonté est d'accéder à la F1 ou alors d'aller là où le vent te portera ?
D'aller plus là où le vent me portera parce que malheureusement, pour aller en F1, il n'y a aucun vent qui nous porte actuellement. Pour y accéder, soit il faut de gros partenaires, soit intégrer une filière comme Ferrari, Red Bull ou Mercedes. Je vais avoir 22 ans et il faudrait que je passe dans des catégories où les budgets sont supérieurs à un million d'euros. A l'heure actuelle, ce n'est pas possible.
Aujourd'hui, en F1, pour avoir un volant, il faut avoir de l'argent. Que penses-tu de cette situation où l'argent prend le pas sur le talent ?
Je trouve ça plutôt triste. Je ne citerai aucun nom mais c'est vrai qu'il y a énormément de pilotes qui sont prêts pour aller en F1 et qui se font piquer leurs places ou attendent des années jusqu'à ce qu'on les mette au placard parce que d'autres pilotes arrivent avec des mallettes. C'est pour ça qu'un cursus chez Porsche pour faire de la GT, voire même de l'endurance vu que le marque revient au Mans, me plairait. A terme, je ne veux plus être un pilote payant mais un pilote payé, et ça, en F1, c'est très compliqué.