Les dernières 24 Heures du Mans n'ont pas offert l'occasion à la concurrence de Ferrari en Hypercar d'enfin faire tomber le Cheval cabré de Maranello, invaincu en quatre courses. Avant la 5e manche du WEC, à Interlagos, l'heure est au bilan de mi-saison, aux perspectives et aux réflexions.

Les attentes de cette saison 2025 de WEC étaient immenses, au sortir d'un cru 2024 époustouflant du début à la fin. Il était attendu que la catégorie Hypercar allait proposer un spectacle encore plus grandiose, même en étant déplumé de deux constructeurs (Lamborghini et, logiquement, Isotta Fraschini). L'arrivée d'Aston Martin et de son V12 a apporté une touche de noblesse, appelée par les puristes de tous leurs vœux.

Mais finalement, une domination en a chassé une autre : le cavalier presque seul de Toyota en 2023 a laissé place à une parenthèse très ouverte l'an dernier, avant que Ferrari ne soit désormais l'équipe à battre en 2025. Nombreux sont les observateurs à fustiger une BoP très favorable aux 499P, bien aidée évidemment par une performance intrinsèque indiscutable.

Ce qui pose question en revanche, c'est le fait que Toyota paie les pots cassés de sa domination “involontaire”, en ayant tenu le WEC à bout de bras, le temps que la potion magique de l'Hypercar booste le plateau de la catégorie reine. Alors même que le constructeur japonais, avec ses GR010 plus abouties que jamais, pourrait être une menace évidente pour Ferrari.

Même l'absence de Porsche en haut de tableau a de quoi interroger : le tandem N°6 de l'équipe officielle n'est rien de moins que le champion du monde en titre. Or, grâce à son héroïque 2e place au Mans, où il a fait trembler Ferrari, il est remonté au 5e rang du championnat avec Kevin Estre et Laurens Vanthoor, Matt Campbell étant, lui, 7e... Mais déjà à des lustres de la Ferrari N°51 de tête. Il suffit de faire un état des lieux au championnat pour constater qu'aller chercher les prototypes transalpins demandera un gros retroussage de manches.

Pilotes et constructeurs : les trois Ferrari au commandement du WEC

Ferrari - WEC - Qatar

Le triplé de Ferrari à Losail avait déjà fait peur à la concurrence. (DPPI/FIA WEC)

Ainsi, la Ferrari N°51 (Pier Guidi/Giovinazzi/Calado) domine les débats côté pilotes avec ses deux victoires et ses deux podiums depuis le début de saison. Le total se chiffre à 105 points, devant la Ferrari "privée" (ou semi-officielle selon les avis de chacun), la N°83 (Ye/Hanson/Kubica), qui sort d'une victoire au Mans (89 unités). La N°50 (Fuoco/Molina/Nielsen) est 3e, même avec son déclassement aux 24 Heures du Mans où elle a fini en course sur la dernière marche du podium dans la Sarthe.

La Ferrari N°51 compte déjà plus du double des points du premier équipage non-Maranello : la Toyota N°7 (Kobayashi/Conway/De Vries) n'a enregistré que 44 points en quatre courses, et la N°8 (Buemi/Hartley/Hirakawa) n'est que 8e avec 37 unités. Cet équipage sera d'ailleurs privé de Sébastien Buemi lors du prochain rendez-vous du WEC, le 13 juillet, à Sao Paulo.

La marque nippone, rappelons-le, est championne sortantes des constructeurs en 2024, en ayant maximisé de gros résultats malgré des performances en berne. En somme, Ferrari et Toyota sont les deux références dans la catégorie reine... Mais l'affrontement direct pour les titres n'a pas lieu : Ferrari mène chez les marques avec 172 points, devant Toyota (95 unités) et Porsche, revenu du Diable Vauvert (84 points).

Les surprises sont même venues d'Alpine et de BMW, qui ont réalisé des courses époustouflantes à Imola et surtout à Spa, avec leurs N°36 et N°20 respectives. Mais les gros points ont été perdus au Mans : le A Fléché de Dieppe est 6e (54 pts), à dix unités de la 5e place de l'Hélice de Munich.

Cadillac, de son côté, a enfin connu une course pleine au Mans. Le podium n'a pas été au rendez-vous malgré une performance XXL en qualifications, où les deux V Series R de Jota ont verrouillé la première ligne. Et à la clé se trouvait une 4e place constructeurs qui contraste fort avec un début de saison très, très compliqué.

Quant à savoir qui pourrait aller chercher Ferrari, Aston Martin et ses majestueuses Valkyrie ne sont pas incluses dans l'équation, puisque le programme est encore tout jeune. Mais la progression se voit, autour d'un projet très crédible. Pour Peugeot, les 9X8 ont joué le podium face à l'armada italien à Spa. Mais un programme qui a désormais trois ans se doit d'être bien plus performant et la manche spadienne ne doit plus être une exception. Quitte à homologuer un nouveau modèle.

La BoP en WEC : vaste débat

Alpine - Spa - WEC

Il n'y eut guère qu'à Spa que les Ferrari ont tremblé, notamment face à des Alpine bien aidées par la BoP. (DPPI/FIA WEC)

La catégorie Hypercar fait croître la popularité du championnat du monde d'endurance à une vitesse exponentielle : l'affluence du Mans a de nouveau été battue avec 332 000 spectateurs, sans compter que les autres épreuves comme Imola et Spa ont aussi fait le plein. Les constructeurs rappliquent les uns après les autres : les huit déjà présents sont bien partis pour rester, Genesis arrive l'année prochaine, Ford et McLaren se jetteront dans la mêlée en 2027, tandis que les présences d'Acura/Honda et Mercedes, bien que fermement démenties, se font attendre et entendre par des bruits de couloir...

Impossible de faire venir autant de monde sans la BoP, qui reste pour les organisateurs un outil très complexe à mettre en place, afin d'offrir au plateau une garantie à minima d'être dans le coup face aux autres. Ce n'est cependant pas un cadeau bonus qui offre la victoire sur un plateau, auquel cas la meilleure des BoP (poids minimal à 1 030 kg et 520 KW de puissance allouée sous 250 km/h) aurait donné la timbale à Peugeot à Spa.

Mais si la logique veut qu'un constructeur ne doit pas trop s'échapper face aux autres, Ferrari n'aurait alors bénéficié d'aucun allègement pondéral, notamment au Mans. Et ce qui complique la tâche des organisateurs, c'est que la réalité d'une année sur l'autre et d'une course sur l'autre n'est jamais la même, surtout avec des voitures aux caractéristiques si singulières. Cette BoP, même si elle fait débat, ne désengage pas les ingénieurs d'un travail à fournir pour améliorer leurs machines.

A bien y regarder, jamais une course de WEC, depuis l'avènement de cette catégorie reine incroyablement attractive, n'a vu ce que cela donnerait sans le moindre lest ni aucune bride de puissance. La BoP n'a pas empêché Ferrari de remporter toutes les épreuves, même si la concurrence a pu s'approcher de très près. Sans elle, les courses seraient-elles soporifiques ? Elles seraient possiblement morcelées et le plateau Hypercar serait sans doute moins serré.

La donnée qui peut en revanche tout changer, c'est que chaque voiture a des forces et ses faiblesses plus prononcées : toutes peuvent aussi bien être en retrait sur un circuit que très à l'aise sur un autre. Un peloton ultra serré a deux facettes : les écarts sont si faibles que les luttes rapprochées peuvent durer un long moment et être d'une rare intensité (la bataille Buemi-Fuoco à Imola peut en témoigner). Mais cela réduit la marge de progression pour faire la différence : changer son fusil d'épaule en stratégie ou en réglages devient une tâche plus délicate pour rester dans le coup ou pour regagner du temps perdu.

De l'avis de nombreux observateurs, la BoP n'a pas lieu d'être. D'aucuns préfèreraient un système comme ce qui se fait en F1, avec un budget capé pour que le tout reste financièrement “viable”, tout en permettant une grande liberté technique pour les constructeurs (là où le WEC, justement, agit en ce sens). Il conviendra alors de savoir quelle solution serait la meilleure : plus du tout de BoP, donc fatalement moins de constructeurs et une hiérarchie bien plus espacée ; ou alors, un maintien de cet instrument, mais avec une vision plus claire de ce que serait cette hiérarchie sans le moindre ajustement.

Enfin, l'existence de deux plateformes d'Hypercar, le LMH et le LMDh, ajoute forcément un peu de difficulté pour donner à tout le peloton des cartes équitables. Le règlement actuel a été étendu jusqu'en 2032, pour offrir aux concurrents actuels la possibilité d'homologuer une nouvelle voiture et à ceux qui arrivent d'intégrer le championnat avec assez de temps pour se mettre dans le rythme.

La question pourrait tomber sous le sens : avec la convergence entre l'ACO et l'IMSA, n'eût-il pas été plus judicieux de ne créer qu'une seule et même règlementation au lieu de deux ? Chacune ayant ses bons côtés, la formule LMDh a cela dit beaucoup plus de cote, car bien moins chère et de toute façon pertinente pour les constructeurs avec l'hybridation obligatoire.

Toutes ces questions n'auront pas forcément d'éléments de réponse dans l'immédiat. Mais certaines pourraient d'ores et déjà ne plus avoir cours lors des 6 Heures de Sao Paulo, le 13 juillet à venir.