A l'approche du weekend traditionnel des 24 Heures du Mans, revenons sur la troisième édition de la course Mancelle en 1925.

Les 24 Heures du Mans 1925

La marque

Une Lorraine-Dietrich Roadster de 1928

La voiture ayant gagné la troisième édition des 24 Heures du Mans était une Lorraine-Dietrich B3-6.

La marque a été créée à la fin des années 1870, sous la forme d'une société de fabrication de wagons. Eugène de Dietrich, dirigeant de l'entreprise et admirateur des premières automobiles, fit l'acquisition en 1897 de plans d'Amédée Bollée Fils, ingénieur reconnu pour ses travaux sur les moteurs à combustion interne. L'année suivant fut présenté le Torpilleurvoiture révolutionnaire pour l'époque avec son moteur quatre cylindres monobloc et des suspensions avant indépendantes, raflant d'emblée la victoire sur la course Paris-Amsterdam.

En 1902, l'entreprise embaucha un jeune ingénieur italien du nom de Ettore Bugatti, qui jouissait d'une excellente réputation dans son pays d'origine. Avant de quitter la firme en 1904 pour rejoindre Mathis, le futur fondateur de sa marque éponyme conçu les Type 3/4 et 5/6/7.

Lorraine-Dietrich ambitionnait alors d'entrer dans le cercle fermé des marques de luxe européennes. La marque compte également étendre sa réputation en dehors des frontières françaises grâce à ses succès sur les circuits. C'est pour cette raison que fut construite la deuxième usine en 1907, se spécialisant dans la fabrication de voitures de tourisme, et comprenant même un atelier spécialisé dans la construction des voitures de course.

La marque fait également l'acquisition de licences pour construire des châssis Isotta Fraschini, étant alors une des marques de référence dans le luxe, afin de les amener sur les marchés français et anglais. Comme beaucoup d'autres entreprises automobiles, Lorraine-Dietrich construit des véhicules lourds et des moteurs d'avions destinés à l'armée pendant la première Guerre Mondiale.

Par la suite, un nouveau modèle équipé d'un moteur 6 cylindres 3,5 litres fut dévoilé en 1919, sous la tutelle de Marius Barbarou, le nouveau directeur technique de la marque. La voiture nommée 15 CV était notamment équipée d'un nouveau moteur à soupapes en tête, chambres de combustion hémisphérique et de nouveaux pistons en aluminium.

Pour retrouver l'éclat d'antan, la marque décide alors de retrouver le chemin des circuits, en prenant notamment le départ de la première édition des 24 Heures du Mans en 1923. Avec une voiture finissant 19ème (sur 30 voitures à l'arrivée) et un abandon, Lorraine-Dietrich décide alors de développer un nouveau modèle, avec en ligne de mire la victoire dans la course Mancelle.

C'est donc en 1924 que sort la 15 Sport, notamment équipée d'un double carburateur, de plus grosses soupapes et de freins aux quatre roues, installation alors inédite. Après n'avoir pu faire mieux que deuxième et troisième lors de leur première participation en 1924, les équipages de la marque vont revenir encore plus forts l'année suivante, et gagner la course en 1925 (1 et 3) et 1926 (1,2 et 3).

La 15 CV Sport continua alors à courir sur les circuits européens et acheva sa carrière sur le Monte Carlo 1931, où elle laissa la victoire filer pour un dixième de point. La version de route fit ses adieux en 1932. Trois nouveaux modèles s'en suivirent, la 12 CV, la 20 CV (remplaçante de la 15 CV) et la 30 CV.

Cependant, les ventes n'étaient plus profitables et la nouvelle 20 CV n'obtint pas le succès espéré. Comme de nombreuses autres petites marques françaises, les années 30 furent fatales à Lorraine-Dietrich, et la marque fit définitivement ses adieux en 1935.

En parallèle de sa branche automobile, la marque continua également à produire des moteurs d'avion sous le nom Lorraine à la suite de la première Guerre Mondiale. Cette branche fut absorbée en 1930 par la Société Générale d'Aviation, et le nom disparu définitivement 1934.

La voiture

La Lorraine-Dietrich B3-6 ayant fini 3ème aux 24 Heures du Mans en 1925

Après une deuxième et une troisième place en 1924, Lorraine-Dietrich revient donc en 1925 avec trois B3-6. Présentée en 1923, la voiture est dotée d'un moteur atmosphérique 6 cylindres en ligne de 3.5 litres, d'une boîte quatre vitesses et de quatre freins à tambour. Les roues furent également retravaillées, les anciennes jantes type "d'artillerie" étant remplacées par un modèle plus modernes à rayon. Les binômes de pilotes seront également revus ; de Courcelles et Rossignol restent ensemble, mais les deux autres équipages sont mélangés (Brisson-Salter, Bloch-Saint Paul).

La voiture participe au Mans de 1923 à 1926 avec l'écurie officielle, puis fait son retour en 1931 (4ème), 1933 (abandon), 1934 (abandon) et 1935 (abandon), où elle sera engagée par des équipages privés.

Les pilotes

André Rossignol

André Rossignol (1890 - 1960)  est le premier pilote de la voiture victorieuse. Né dans une famille aisée à Paris, il passe sa jeunesse à suivre les exploits automobiles de son père et de son parrain, qui participent notamment à la course Paris-Rouen de 1894, considérée comme la première course automobile de l'histoire.

Il s'engage dans l'aviation lors de la première Guerre Mondiale, aux côtés de noms comme Guynemer et Nungesser. Après la guerre, il commence à prendre goût à la vitesse et se fait remarquer pour sa dextérité lors de rassemblements automobiles avec d'autres parisiens fortunés et amateurs de sensations fortes.

Sa carrière en sport automobile commence avec les 24 Heures du Mans en 1923, et une prometteuse 8ème place. L'année suivante il réussit à atteindre la troisième place. En 1925, la victoire lui tend enfin les mains. En 1926, séparé de de Courcelles et maintenant associé à Robert Bloch, il signe le premier doublé de l'histoire de la course mancelle. Malheureusement l'aventure avec Lorraine-Dietrich n'ira pas plus loin, la marque décidant alors de mettre fin à son engagement en course.

Il reviendra en 1928 et 1929 avec une Chrysler, mais il ne peut mieux faire que troisième. Ne pouvant plus se battre pour la victoire, il décide peu à peu de se retirer de la scène du sport automobile. On le retrouvera toutefois sur quelques courses locales jusqu'en 1932, telles que le GP de Picardie ou le GP de La Baule. Il est décoré en 1952 par la Légion d'Honneur pour son engagement pendant la première Guerre Mondiale.

Gérard de Courcelles

Lors de son succès en 1925, il est accompagné par Gérard de Courcelles (1889-1927). Pilote fidèle à Lorraine-Dietrich, il finit deuxième des 24 Heures de Spa 1924, déjà avec André Rossignol. Malheureusement, sa carrière automobile ne fut que de courte durée, se tuant le 3 juillet 1927 sur l'autodrome de Montlhéry lors d'un accident au cours d'une course préliminaire au GP de France. Il était également pilote de chasse au cours de la première Guerre Mondiale, lui valant plusieurs décorations militaires.

La course

Circuit des 24 Heures du Mans de 1923 à 1928

Pour cette troisième édition des 24 Heures du Mans, l'ACO a décidé de faire quelques ajustements dans la réglementation. L'année précédente, un test de résistance de capotes avait été mis en place. Chaque voiture devait rentrer aux stands après cinq tours, monter la capote, rouler deux tours de plus, puis rentrer aux stands pour subir plusieurs tests de robustesse.

En 1925, pour simplifier la procédure de tests, les pilotes devraient monter leur capote avant de prendre le départ. Afin d'éviter toute tentative de triche, il avait été décidé que les voitures commenceraient alignées en épi devant les stands, et que les pilotes devraient y courir au moment du coup de feu, en partant du côté opposé de la piste. C'était le début des départs type "Le Mans" qui y furent utilisés jusqu'en 1969. Les voitures y étaient toujours classées par ordre décroissant de cylindrée, ordre gardé jusqu'en 1963.

La piste avait toujours le même tracé qu'en 1923, mais fut équipée pour l'occasion de nouveaux box, gradins et éclairages sur la ligne droite de Mulsanne. La course partageait également des portions de circuit avec des routes publiques, permettant un meilleur état de piste.

Pour la course de 1925 l'ACO a reçu 68 inscriptions, avec 55 voitures se présentant pour la course. Après la victoire d'une Bentley en 1924, la course commençait à avoir un rayonnement international. On retrouve donc 15 voitures non françaises au départ, avec Sunbeam, AC et Bentley pour le Royaume-Uni, Diatto et O.M. (Officine Meccaniche) pour l'Italie et même une Chrysler pour les États Unis.

Les voitures sont alors réparties en trois catégories suivant leur cylindrée, moins de 1,1 litre, entre 1,1 et 2 litres et plus de 2 litres. La dernière classe était elle-même divisée entre trois sous classes 2 litres, 3 litres, 5 litres, qui comptaient toujours pour le système d'objectifs de tours.

Pour la première fois, des tests officiels sur route fermée sont organisés en amont de la course. Malheureusement, lors de la deuxième séance d'essais, un camion de livraison s'aventura sur les routes normalement fermées, causant un accident à l'épingle de Pontlieue avec une Ravel. André Guilbert, mécanicien de l'équipe alors au volant de la voiture, décéda de ses blessures à l'hôpital la semaine suivante.

En plus de la Ravel accidentée, les trois Oméga-Six ont déclaré forfait avant la course pour des problèmes d'usure prématurée de moteur, ainsi qu'une Chrysler, laissant 50 voitures sur la ligne de départ.

La Lorraine Dietrich n°4 avant le départ de la course

Le départ de l'édition 1925 se fit sous un soleil de plomb. John Duff sur la Bentley #9 fut le premier à assembler sa capote, et donc à prendre le départ. Il fut rapidement suivi par la Sunbeam, puis la Bentley #10. Les trois hommes prirent un départ frénétique, acclamés par le public d'Outre-Manche.

Malheureusement, ils ne furent pas épargnés par les ennuis. Le premier à rencontrer des problèmes était Moir, au volant de la Bentley #10, alors en troisième position. La raison de ce premier arrêt était la disparition du bouchon de système d'huile, qui fut alors remplacé par un bouchon de bouteille d'eau le temps de rentrer aux stands.

La manœuvre couta cependant de précieuses minutes au pilote britannique, qui n'était pas enthousiaste à l'idée de laisser filer l'autre bolide vert en tête. En poussant sa Bentley pour rattraper son retard, le pilote consomma plus d'essence que calculé par ses ingénieurs, et il tomba en panne sèche au 19ème tour. Le règlement stipulant qu'aucun liquide ne pouvait être introduit dans un véhicule lors des 20 premiers tours, il fut contraint à abandonner.

Pendant son 20ème tour, l'autre Bentley #9 de tête pilotée par Duff soufra d'une rupture de la conduite d'essence. Le règlement stipulant également que les ravitaillements ne pouvaient être effectués que dans les stands, le pilote britannique, alors en panne à l'opposé du circuit, était donc légalement contraint à l'abandon.

Plus rusé que son coéquipier, John Duff refusa alors de baisser les bras, et courra jusqu'à son stand au travers des bois. Après avoir dérobé un bidon d'essence, il retourna à sa voiture, puis conduit au stand pour effectuer un ravitaillement, réglementaire cette fois.

La course fut ensuite marquée par un autre accident fatal, lorsque Marius Mestivier perdit le contrôle de son Amilcar sur le freinage en approche du virage Mulsanne, et partit en tonneaux. La tombée de la nuit s'accompagna également de son lot d'accidents. Le premier fut Davis qui, en voulant dépasser un concurrent en retard, finit dans un fossé après une mauvaise manœuvre. Il put tout de même rejoindre les stands, où son équipe répara le pont arrière de sa Sunbeam qu'il avait endommagé.

Juste après minuit, la suspension de la Lorraine-Dietrich #6 se brisa à haute vitesse, envoyant la voiture faire des tonneaux. Le pilote fut sauvé par Tulio Vesprini, alors en  5ème position, qui attendit même l'ambulance aux côtés du pilote français. Peu après 3 heures, la Bentley #9 pris feu lors d'un ravitaillement en essence, la mettant complètement hors d'usage pour le reste de la course.

Ravitaillement sur la Sunbeam n°16

À la mi course, la Lorraine de Rossignol et de Courcelles était première avec une avance de deux tours sur leurs coéquipiers Brisson et Stalter. La Sunbeam précédemment accidentée occupait la troisième place, à un tour. Au petit matin, 29 voitures sur les 49 ayant démarré avaient survécu à la nuit. Les deux Lorraine-Dietrich étaient maintenant séparées par la Sunbeam, et les deux OM occupaient les quatrième et cinquième places.

Le dimanche matin, le peloton continua à s'amoindrir, et seules 20 voitures passèrent la ligne d'arrivée. La première Lorraine-Dietrich #5 remporta la course avec six tours d'avance sur la deuxième voiture, la Sunbeam. Celle-ci devançait la deuxième Lorraine-Dietrich #4 d'un tour.

Anecdotes

La voiture gagnante a perdu ses freins au petit matin, obligeant l'équipage à freiner à l'aide du "frein moteur" pendant plusieurs heures. L'écurie s'est bien sûr abstenue de partager cette information avec l'ACO, ce qui lui aurait valu une disqualification.

Différents prix plutôt insolites étaient également à gagner au cours de la course:

  • Plus rapide à monter la capote (500 Francs) & premier après 1 tour (1 000 Francs)
    • Bentley n°9
  • Premier après 50 tours (500 Francs) & 100 tours (500 Francs)
    • Lorraine-Dietrich vainqueur
  • Voiture la plus confortable (2x 500 Francs)
    • Ravel
    • Rolland-Pilain
  • Voiture la plus silencieuse (500 Francs)
    • Chrysler