Tout le monde se souvient de la dernière spéciale du Monte-Carlo 1991 qui voit le rêve de victoire s’envoler de François Delecour. Avec Anne-Chantal Pauwels, ils débutaient sur la Ford Sierra Corsworth qu’ils avaient mené de main de maître face aux ténors du Championnat du Monde.
Les images de François Delecour hurlant « J’ai pas tapé », comme pour exorciser l’impensable, écarter cette terrible injustice. Ce rallye marquera l’apogée du duo, et cette terrible infortune contribuera davantage à leur popularité.
Anne-Chantal raccrochera le casque à la fin de saison ; on connait la suite pour François, vice-champion du monde en 1993. Près de 30 ans ont passé et les deux nous livrent les souvenirs de leurs débuts dans ces deux entretiens (Partie 1 et Partie 2). Passion et franc parler toujours présents !
Delecour / Pauwels, les vainqueurs moraux
Carlos Sainz arrive en Champion du Monde sur ce Monte-Carlo 1991 et va étrenner son titre sur ce rallye qui avait tourné à l'avantage de son adversaire l'année précédente : Didier Auriol. Malheureusement, ce duel tournera court, à l'issue de la première journée, le Français sera victime de l'électronique de sa Lancia Delta et perdra 9 minutes.
Si le Français, triomphant de l'édition 1990 ne défendra pas son titre, dans son ombre, son jeune compatriote fera rapidement parler de lui : François Delecour. Le duel va rapidement s'orienter entre le jeune loup et le Champion du Monde en titre.
Face à eux, leurs adversaires ne soutiendront pas la cadence, à commencer par Miki Biason (Lancia Dela Integrale), Bruno Saby (Lancia Delta Intregrale) souffrant du dos, Timo Salonen (Mitsubishi Galant VR-4) qui n'a pas encore sa monture bien en mains, quant aux deux autres Ford de Wilson et Fiorio, ils ne peuvent pas imprimer la cadence de Delecour.
Delecour se lance dans le combat
C'est lors de la deuxième étape et la spéciale de Burzet (41,41 km) que Delecour va faire le scratch pour 6 secondes devant Sainz, la paire Delecour / Pauwels est à 55 secondes du leader Sainz. C'est dans cette même spéciale que Didier Auriol abandonnera pour le compte, moteur serré.
Les duellistes se jaugent, à toi, à moi, à coups de secondes, l'écart se stabilise autour de la minute. Mais dans les deux dernières spéciales de la journée, Delecour excelle et reprend 11 et 36 secondes, le pilote Ford est deuxième au classement général à 9 secondes de Sainz.
Dans la dernière journée, le Col du Turini 2, Delecour y signe le scratch pour 11 secondes sur Sainz, il n'avait que 9 secondes de retard sur l'espagnol ce qui signifie qu'il vire en tête de l'épreuve pour la première fois. Réaction attendue de Sainz qui signe le scratch sur la spéciale suivante, Delecour perd 10 secondes, il repasse derrière l'espagnol au général.
Delecour se reprend, 3 secondes dans une spéciale puis à nouveau 3 secondes dans la suivante, l'écart se resserre à 2 secondes au général, petite réaction de Sainz dans l'ES23 pour doubler l'écart. Dans l'ES24, Delecour fait parler la poudre à nouveau, 6 secondes devant Sainz, la Ford mène à nouveau l'épreuve.
Et il va continuer sa maestria, 14 et 25 secondes de repris sur Sainz à une spéciale de la fin du rallye. Qui peut désormais stopper le duo Delecour / Pauwels qui caracole en tête avec 41 secondes d'avance ?
Qui peut les stopper, personne, mais plutôt quoi ? La malchance, la casse mécanique, l'épée de Damoclès qui plombe tout pilote de rallye, et de s'en remettre au destin... et il ne va pas frapper à la bonne porte !
Alors que Carlos Sainz s'avoue vaincu, François Delecour termine cette spéciale en hurlant "j'ai pas tapé, j'ai pas tapé, j'ai perdu une roue...". Les larmes, Delecour et Pauwels n'y échapperont pas, le bras de suspension gauche arrière s'était cassé.
Au km 4 de cette spéciale, Delecour sait qu'il va souffrir, il sent que la voiture louvoie du train arrière. Il s'arrête et demande aux spectateurs si la roue est toujours bien serrée... elle l'est ! Le mal est plus loin et Delecour tentera de terminer comme il pourra, il tirera tout droit sur de la neige (jetée par les spectateurs) et aura perdu 6'15 alors qu'il avait rallye gagné avant cette dernière spéciale. Il terminera néanmoins sur le podium, à la troisième marche, Carlos Sainz s'impose, mais François Delecour est le vainqueur moral de cette édition.
Entretien avec François Delecour / Anne-Chantal Pauwels
Un mot sur le Monte Carlo 91. Quel regard portez-vous maintenant ?
FD : C’est à la fois le meilleur et le pire (sur le moment) des souvenirs. C’était magique car on était devant le gratin du championnat, notamment Sainz, la référence mondiale d’alors. J’ai pris en une nuit dix ans dans la gueule !
ACP : Cette course nous a beaucoup plus apporté en capital sympathie que si nous l’avions gagnée. Cela a été tellement fort, une telle injustice ! Trente ans après, il n’y a pas une semaine où je n’ai pas plusieurs messages par rapport à cette course. Il est clair qu’il y a eu un avant et un après, cela a été une fracture dans nos vies.
François, après une telle longévité, quel regard portez-vous à la fois sur votre carrière et sur l’évolution des rallyes ?
FD : Elle a été riche en rebondissements et en même temps chaotique. Il y a eu mon accident en 94 alors que j’étais en tête du championnat du monde. Même si cela a été un événement extra-sportif, cela a été compliqué de revenir. Il y a eu également l’éviction de chez Peugeot. J’aurais pu également signer chez Subaru…
Je pense avoir été un privilégié d’avoir connu l’ancienne époque. Même si on limait la route en reconnaissances, on restait malgré tout des acrobates. Aujourd’hui, les rallyes sont réduits et ne laissent plus la place à l’improvisation et l’aventure.
Et la règle des deux passages en reconnaissances est dangereuse ; passer à trois est important pour la sécurité. Sur les voitures WRC actuelles, j’aurais peur ! La sortie de route de Tänak au Monte-Carlo 2020 en témoigne. Les passages en virages sont hallucinants au niveau adhérence et efficacité, c’est pourquoi limiter à deux passages rend les rallyes actuels dangereux !
Anne Chantal, pourquoi avoir arrêté en 91 ? Quel a été votre parcours depuis ?
ACP : Au San Remo 1991, durant les reconnaissances on a tué un cheval. Je suis cavalière et cela m’a secouée, sans compter que cela aurait pu avoir des conséquences pour nous. En fait, j’avais concrétisé tous mes rêves et j’avais l’hélico.
J’avais fait le tour de la question. J’ai tout de même fait quelques piges et gagné le volant Get Cergy. Après avoir vu François piloter, j’ai acquis un petit coup de volant. En 98, je fais le Dakar aux côtés de Jean-Louis Schlesser et on termine 4ème.
La même année, je fais 5 manches du championnat du monde avec Isolde Holderied sur une Corolla officielle. Entre temps, j’avais eu une proposition de Gilles Stievenart de créer le Stadium d’Abbeville. Je me suis investie dans l’école de pilotage. Ca m’a passionné et cela a été un régal pendant sept ans. Et puis j’ai rencontré mon mari dans les Alpes et j’ai eu un enfant.
Bernard Occelli (ancien copilote champion du monde avec Didier Auriol) m’a sollicitée pour sa structure European Sport Comunication comme guide pour des groupes sur les manches du championnat du monde des rallyes. Je m’occupe de VIP depuis leur arrivée à l’aéroport jusqu’à leur départ. Je suis également journaliste, j’ai déjà crée plusieurs revues, dont une au Canada. J’écris actuellement pour Rallye Magazine.
En septembre 2020, j’ai fait le Tour Auto historique avec Mélina Priam, journaliste automobile qui a un bon coup de volant, sur une Opel GT de 1972. On était inscrites en régularité et on finit deuxième suite à une panne de pompe à essence alors qu’on a emporté quatre étapes. On avait préparé ça très sérieusement.