Lorsque l'on demande aux pilotes, aux organisateurs ou aux fans comment décrire la Formule E, il est très souvent -voire systématiquement- question du futur de l'automobile électrique et du sport automobile en général. Pourtant, le championnat de monoplaces 100% électriques fait face à de nombreuses contraintes qui freinent son ancrage dans le paysage du sport automobile. La Formule E peut-elle alors s'établir comme une véritable discipline d'avenir ou est-elle destinée à rester secondaire, derrière la Formule 1 ou le WEC ?
Image : Formula E
En amont de cette question se trouve un constat : La Formule E, qui s'est d'abord vantée à juste titre d'avoir su attirer de vraies stars des circuits comme par exemple Jarno Trulli, Sébastien Buemi, Bruno Senna, Jean-Éric Vergne, Lucas di Grassi, Stéphane Sarrazin ou encore Loïc Duval, fait aujourd'hui les frais du double agenda de la plupart de ces pilotes.
En effet, si la majorité des pilotes de Formule E sont titulaires dans leurs équipes respectives et profitent de contrats portant sur une voire plusieurs saisons complètes, ils courent pour la plupart dans une seconde catégorie, également à temps plein. Ainsi, Sébastien Buemi, Lucas di Grassi ou Sam Bird pour ne citer qu'eux, sont engagés à la fois en Formule E et dans le championnat du monde d'endurance, le WEC.
Si les calendriers de ces deux disciplines leur permettent de piloter dans chacune d'elles sans avoir à en sacrifier une, la Formule E est très rapidement devenue la "discipline d'appoint", celle à laquelle le pilote participe car le calendrier de son championnat principal le lui permet. Mais Antonio Félix Da Costa par exemple, engagé chez Aguri en Formule E, a récemment dû faire l'impasse sur le ePrix de Berlin, privilégiant le meeting autrichien du DTM à Spielberg.
Le calendrier de la troisième saison de Formule E met d'ailleurs en évidence ce problème. Comme nous vous en parlions il y a quelques jours, les organisateurs font face à l'obligation de respecter les impératifs des pilotes, ce qui implique des contraintes supplémentaires dont le championnat se passerait bien. En effet, un championnat mondial comme la Formule E, souhaitant mettre en scène une technologie d'avenir, a besoin d'un calendrier suffisamment rempli pour promouvoir la discipline comme il se doit.
Toute une organisation !
Mais au-delà de l'incompatibilité de dates entre la Formule E et les autres disciplines majeures telles que la Formule 1, le WEC, le WTCC ou le WRC, toutes encadrées par la FIA, les organisateurs du championnat 100% électrique doivent également affronter le revers de la médaille de l'organisation de courses en plein centre-ville. L'organisation d'un ePrix dans une grande ville est en effet une chance formidable pour tous les habitants d'approcher de près un événement sportif de grande envergure, mais également un vrai défi logistique afin que tout soit prêt dans les temps, en évitant au maximum de perturber le quotidien des riverains. Tout un défi.
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La tenue d'une course automobile dans le centre-ville d'une grande capitale n'a, en soi, rien de nouveau, le Grand prix de Monaco en étant la preuve. Mais toutes les villes souhaitant accueillir un ePrix de Formule E ont également leurs propres impératifs, et il n'est pas simple de concilier les intérêts des uns et des autres en un seul et unique calendrier. La saison 3 de Formule E aura pourtant réussi à aligner 14 rendez-vous dans son agenda, soit quatre de plus que cette saison.
Une belle performance, quand on sait que le championnat a connu quelques couacs depuis sa création, comme par exemple des difficultés techniques rencontrées sur les écrans géants de Long Beach ou la pauvre visibilité offerte aux spectateurs du ePrix de Paris. Rien d'insurmontable pour un championnat si ambitieux, mais cela reste des problèmes qu'il faudra résoudre pour passer un nouveau cap dans l'ancrage du championnat dans les mœurs.
Un défi technologique
Un autre problème auquel la Formule E doit faire face aujourd'hui sont les limites actuelles de la technologie embarquée. On sait par exemple que les batteries utilisées par toutes les équipes devraient théoriquement offrir une autonomie suffisante pour rallier l'arrivée sans avoir à changer de voiture à mi-parcours d'ici la saison 5. Mais d'ici là, les pilotes doivent bel et bien sauter d'une voiture à l'autre lors de leur arrêt au stand, ce qui peut donner la sensation que la technologie n'est finalement pas prête, et que la vulgarisation de la voiture électrique dans nos rues est plus lointaine qu'elle ne l'est réellement.
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Sans compter qu'en ouvrant le développement de certains composants embarqués aux constructeurs, la FIA, qui obligeait alors les équipes à aligner des voitures relativement semblables, a malgré elle instauré une certaine hiérarchie au sein des équipes.
Lors de la saison 1, ce sont sept pilotes différents qui s'étaient imposé lors des 11 courses du calendrier. Lors de la saison 2, bien qu'il reste encore deux épreuves à disputer à Londres les 2 et 3 juillet prochains, seuls quatre pilotes différents se sont imposés (Jérôme d'Ambrosio ayant cependant bénéficié de la disqualification de Di Grassi au Mexique, sans quoi seuls trois pilotes auraient gagné au moins une course à ce stade de la saison).
Certains fans pourront ainsi dire que le spectacle a légèrement baissé en intensité, avec des vainqueurs plus prévisibles et des batailles plus à l'arrière du peloton qu'en 2014-2015.
Ce sont pourtant des bonds en avant que la Formule E a effectué pour l'image du sport automobile, surtout auprès du grand public. En venant à la rencontre de son public et en lui proposant des billets d'entrée à un prix très faible par rapport à d'autres catégories, le championnat a tout de même créé une dynamique qui pourrait instaurer une nouvelle image de la course dans l'esprit des spectateurs. Car derrière toutes les difficultés évoquées précédemment se cache un concept prometteur, qui mériterait une meilleure place entre les grandes disciplines du sport automobile.
Le choix du tout-électrique à lui seul a quelque chose de fascinant, tout d'abord car cela fait de la Formule E un championnat unique en la matière mais également parce que la technologie en est à ses balbutiements. La plupart des grands constructeurs automobiles s'est déjà penchée sur la voiture électrique, que ce soit Renault avec sa Zoé, Venturi avec la Fetish ou encore BMW avec la I3, et l'existence d'un championnat 100% électrique auquel certains de ces constructeurs participent ne peut être qu'une incitation à développer la technologie au travers de la compétition.
De plus, l'électrique commence à intéresser de plus en plus les automobilistes qui semblent suivre avec envie ce qui devrait remplacer petit à petit les moteurs à combustion, et ce n'est pas l'explosion du nombre de commandes de la future Tesla Model 3 (325.000 en une semaine) qui dira le contraire.
Mais cette scène offerte à la technologie électrique ne servirait à rien sans un public à qui s'adresser, et c'est aussi en cela que la Formule E peut s'attendre à finalement trouver sa place entre les autres grandes disciplines automobiles. Là où le prix moyen du ticket d'entrée à un Grand Prix de Formule 1 oscille entre 120 et 130€ en catégorie Bronze, les ePrix de Formule E sont accessibles pour 6 fois moins cher (25€ en moyenne).
Couplé à la proximité de l'événement avec ses spectateurs, les courses ayant lieu dans les grands centre-villes, cet argument fait de chaque ePrix un succès populaire, ce qui est l'un des objectifs principaux des organisateurs qui souhaitent une interactivité constante entre le championnat et ses fans. C'est également dans ce but qu'a été créé le Fanboost, qui a ensuite évolué lors de la saison 2 en offrant aux spectateurs la possibilité de voter une fois par jour pour leur pilote préféré.
A la fois pour palier au problème de la logistique en centre-villes et pour toucher un public plus large que le cercle relativement fermé des grands amateurs de sports mécaniques, le choix d'organiser toutes les séances d'un même ePrix le même jour permet au spectateur de profiter d'un flux quasi-continu de spectacle tout au long de la journée. Le spectateur peut donc profiter de l'épreuve sans avoir à y consacrer la totalité d'un weekend, comme c'est souvent le cas sur d'autres événements sportifs.
Cela permet également aux organisateurs d'encombrer le moins longtemps possible les centre-villes où se déroulent chaque ePrix et de limiter au maximum les perturbations engendrées.
Ainsi, la Formule E propose de gros avantages comparé aux autres grandes disciplines automobiles mais rencontre aussi quelques problèmes qui la freinent dans son objectif de réussite et de développement. Si la base sur laquelle a été bâtie le championnat est effectivement très prometteuse pour l'avenir, en se focalisant sur une énergie électrique prenant petit à petit l'avantage sur les énergies fossiles et en s'offrant une très bonne visibilité auprès du grand public grâce à des billets vendus à prix très bas et en se rendant directement à la rencontre du spectateur dans des lieux attirant les yeux du monde entier (Paris, Berlin, New York, Singapour ou encore Monaco), le championnat de monoplaces 100% électriques devra un jour ou l'autre faire sa place entre les grandes disciplines qui lui font encore de l'ombre, en continuant de s'en démarquer comme elle le fait actuellement. Pour cela, des compromis devront être trouvés pour que le calendrier de la Formule e ne dépende plus de ceux de la Formule 1 ou de l'endurance notamment, et que ces autres disciplines s'inclinent parfois afin de faire une place d'honneur à plusieurs manches du championnat électrique qui aura incontestablement besoin de gagner en importance s'il veut rester une véritable vision du futur de l'automobile.